Par Cyril Ferey, operating partner chez I&S Adviser
« L’art de la guerre » ressurgit dans les références et le vocabulaire des chefs d’entreprise. Ce peut être dû à la recrudescence des conflits armés et au durcissement des relations diplomatiques à travers le monde qui imposent de repenser les stratégies de croissance des entreprises. Mais c’est aussi lié aux rivalités économiques de ce début de XXIe et à la remise en cause croissante du multilatéralisme depuis une petite dizaine d’années qui entrainent également des réflexions, voire des remises en cause de nos modèles de développement. Sans compter le fait que développer une entreprise est un combat de tous les jours.
Le retour de Sun Tzu
Dans ce contexte, l’invocation des principes de Sun Tzu revient en force. Livres de management, articles d’expert, citations, etc., les références sont nombreuses et fréquentes. Si au prime abord, L’art de la guerre semble promouvoir un concept agressif de communication et de stratégie d’entreprise réservé à quelques grands entrepreneurs subversifs, celui qui est aussi désigné comme le « monstre sacré de la pensée stratégique » a avant tout écrit un livre plein de sagesse sur l’art de la stratégie. L’ouvrage est en effet adapté aux situations de conflit en général et pas uniquement aux affrontements à proprement parler.
Qui plus est, dans la période économique trouble et incertaine que nous vivons, les entreprises vivent une guerre économique et se battent contre un ennemi masqué, sinon invisible. A force d’évoluer dans un climat anxiogène et avoir la tête dans le guidon, les chefs d’entreprise ne savent plus quoi faire et cherchent de nouvelles voies pour avancer. Ce codex strategia est donc revenu sur les tables de chevet des du dirigeant.
Au-delà de l’inspiration, revenir aux fondamentaux
Pour autant, les grands discours ne suffiront pas pour trouver des solutions qui assurent la croissance. Mettre son entreprise en ordre de marche en temps de guerre signifie aussi revenir aux fondamentaux du développement d’entreprise.
Autrement dit, les entrepreneurs vont devoir continuer à oser et à lancer des initiatives, quel que soit le contexte ; se pencher sur leurs sources de chiffre d’affaires et de rentabilité ; et travailler l’organisation opérationnelle pour valoriser ses atouts et être en mesure de « faire ce que l’on dit » pour atteindre l’objectif fixé. C’est une façon d’agir moins conceptuelle et plus pragmatique qui produit des résultats mesurables et aide à avancer.
Sur chacun de ces sujets, l’appui d’entrepreneurs expérimentés est un atout. Et les chiffres le démontrent. Lors de leurs sorties, les fonds de capital-risque observent une hausse du chiffre d’affaires de +18,3% chez les entreprises accompagnées par un operating partner, contre 10,3% pour celles qui n’en ont pas sollicité. L’EBITDA généré par ces mêmes entreprises est respectivement de +23,2% versus +11,9%[1]. Quant aux entreprises ayant fait appel d’elles-mêmes à des operating partners indépendants, 30% notent une augmentation de 50% de leur chiffre d’affaires. Toutes le voient progresser d’au moins 5%[2].
Miser sur le business staging pour révéler son potentiel
Dans les faits, 3 types d’actions peuvent être lancés. Le premier consiste à travailler la structuration opérationnelle de l’entreprise pour tenir compte du contexte actuel et être plus agile – autrement dit faire du business staging. Cela consiste à mettre en valeur son potentiel de développement, puis à se doter de la capacité opérationnelle de le mettre en œuvre pour qu’il se traduise en chiffre d’affaires.
Pour cela, tout va être passé en revue : organisation, processus internes, compétences disponibles, etc. Des “questions qui fâchent” doivent aussi être abordées. Il s’agit de prendre de la hauteur par rapport à une vision purement comptable (bilan, résultat d’exploitation, marge, valorisation, etc.).
Ne jamais cesser de challenger son business model
Second point d’action : le modèle économique. S’interroger régulièrement sur ce qui motive l’achat d’une offre et en fait un “must to have” fait partie des fondamentaux de la gestion d’entreprise. Sun Tzu écrit que « celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre ». Un dirigeant n’oubliera jamais que la vocation première d’une entreprise est de générer suffisamment de chiffre d’affaires pour pouvoir rémunérer ses collaborateurs, payer ses charges sociales et ses impôts et de dégager de la marge afin d’investir pour l’avenir.
Dans le contexte actuel, il étudiera attentivement son business model et ses différentes sources de revenus afin d’acter d’aménagements lui permettant de compte des évolutions de ses marchés et de ses clients. Il veillera aussi à sa rentabilité, par exemple en répercutant les hausses induites par l’inflation sur ses coûts de revient – car aucune entreprise ne tient dans la durée si elle vend à perte.
Impliquer et embarquer ses équipes
Troisième axe : embarquer ses équipes dans cette guerre d’un nouveau genre. La clé de la croissance est entre les mains des hommes et des femmes qui composent l’entreprise. Au-delà de travailler sur son leadership et sa stature de chef de guerre, le dirigeant sera attentif à communiquer régulièrement vers ses collaborateurs pour leur présenter la situation, le contexte économique, le début de solutions et ainsi lever les doutes, les craintes, et prévenir le désengagement.
Il est également important d’apprendre à écouter les retours et suggestions des équipes et du terrain qui sont souvent pleines de bons sens et très bonnes. C’est aussi une manière de les impliquer davantage dans l’entreprise et son avenir. Enfin, il gagnera aussi à s’appuyer sur un pair expérimenté ou un operating partner pour disposer d’un second point de vue de dirigeant sur la situation, les projets et les décisions à prendre.
Le temps presse. Même si les perspectives de croissance ont été un peu relevées début 2024, par exemple par le FMI en janvier ou la DG Trésor en mars[3], elles restent annoncées aux alentours de +3% pour les années qui viennent. Dans le même temps, les risques de défaillances s’accentuent. L’heure n’est donc plus à se voiler la face. Pour durer, les entreprises doivent revenir aux fondamentaux et préparer l’avenir. Car comme l’écrit le célèbre sage de l’art de la guerre, « celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent ».
Cyril Ferey
Operating partner chez I&S Adviser
[1] Source : France Invest – analyse des sorties réalisées par les fonds français de capital-investissement entre 2020 et 2021.
[2] Source : I&S Adviser
[3] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/03/19/perspectives-mondiales-au-printemps-2024-une-croissance-moderee-et-inegale