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Élie de Moustier : « Le mariage des cultures PME et startups peut donner un puissant avantage compétitif »

Élie de Moustier

Ancien cadre dans deux scale-ups, Élie de Moustier s’est aujourd’hui reconverti dans la reprise de TPE et PME dans les secteurs de la Défense et de l’Agriculture, deux filières qu’il affectionne particulièrement. Il nous livre son expérience et sa vision de ces secteurs hautement stratégiques.

Vous avez occupé les fonctions de manager opérationnel chez Deliveroo France puis de vice-président chez MEERO, et souhaitez désormais investir dans des entreprises de taille plus modeste à pavillon tricolore. Pourquoi cette volonté de revirement vers les TPE/PME ?

Les années passées en startups sont précieuses. En termes d’expérience, on a coutume de dire qu’« elles comptent double ». Elles confrontent les équipes à des environnements stimulants et des défis majeurs auxquels il faut faire face dans une temporalité réduite. Quant à moi, j’ai simplement eu le sentiment d’être arrivé au bout d’un cycle et je mûris, de longue date, un projet de reprise de TPE/PME. Surtout, j’ai désormais la certitude d’avoir accumulé assez d’expérience pour mener ce revirement.

Le paysage actuel de ces entreprises offre aussi de nombreuses opportunités. Les TPE/PME sont des entreprises profitables, dont 25 % des dirigeants ont plus de 60 ans. Cette seule réalité devrait, mécaniquement, offrir des opportunités de transmission. Plus encore, les startupers peuvent apporter des choses à ces entreprises : le sens de la résilience développée dans le cadre volatile des startups peut notamment être précieux pour des PME évoluant dans un contexte économique de plus en plus incertain.

Vous avez passé un peu plus d’un an au sein de la Marine nationale, comme officier volontaire, et vous conservez un fort intérêt pour le monde de la Défense. Vous possédez par ailleurs une formation dans le domaine agricole. Prospectez-vous prioritairement dans l’un de ces deux secteurs d’activité ?

Pour une reprise qui devrait m’occuper dans les prochaines décennies, j’estime que les seuls critères valables ne peuvent être seulement géographiques ou financiers : ils doivent aussi être affinitaires. J’entends par là une empathie réelle pour ses partenaires et un intérêt marqué pour le produit ou le service proposé. Si je me concentre aujourd’hui sur les deux secteurs cités, l’Agriculture et la Défense, c’est tout simplement parce que je m’y intéresse, à titre personnel et professionnel, depuis plusieurs années. Mon passage dans la Marine et ma formation tardive dans le domaine agricole ont naturellement renforcé l’affinité entretenue pour ces filières. Nous sommes ici, dans une certaine mesure, bien loin du monde des scale-ups. Mais comme je vous l’indiquais précédemment, certains principes sont parfaitement transposables. Et le mariage des deux mondes peut donner un puissant avantage compétitif.

Le point commun à ces deux secteurs est finalement d’incarner, chacun à leur manière, une facette de la souveraineté française. En quoi la guerre en Ukraine a-t-elle remis, tant dans la défense que l’agriculture, le concept de souveraineté au cœur du débat politique et économique ?

La proximité géographique retrouvée de la menace militaire suffit à justifier le fait de muscler notre capacité de défense sur l’ensemble de la chaîne : des usines jusqu’à nos forces armées. Avoir des capacités autonomes de production et indépendantes de celles de l’Alliance atlantique est essentiel dans un contexte où nos intérêts peuvent être ponctuellement désalignés. Mais c’est aussi un atout précieux pour nos alliés, car les enjeux de Défense imposent une logique partenariale dans la conception, la production des matériels, ainsi que la recherche et développement pour rester compétitifs. Il s’agit de trouver le bon équilibre, car, comme en témoignent les difficultés du SCAF et du MGCS, l’approche tout-partenariale est parfois un terrain miné…

Le secteur agricole fait, depuis la guerre en Ukraine, aussi face à des tensions majeures. L’explosion du prix du gaz a entraîné un fort renchérissement des engrais azotés, dont la production est énergivore et qui sont indispensables au maintien de la productivité céréalière. Les coûts supplémentaires ont certes été compensés par l’augmentation du prix de vente des céréales, mais l’effet n’est pas neutre pour le consommateur final. Par ailleurs, de plus en plus d’aliments sont importés, notamment des produits de base comme les fruits et légumes ou les volailles. Le chantage aux grains exercé par la Russie sur certains pays africains est un rappel net de l’importance de l’autonomie alimentaire, qui repose en partie sur des capacités domestiques de production de denrées de base, mais aussi de transformation de ces produits.

Avec la guerre en Ukraine, l’accroissement des financements de la BITD (base industrielle et technologique de défense) apparaît plus que jamais comme un enjeu de souveraineté nationale. Y voyez-vous une bonne nouvelle et, potentiellement, une opportunité ?

Cet accroissement est bien sûr une bonne nouvelle pour la BITD, d’autant plus qu’il est planifié et mesuré. À cet égard, le pactole allemand de 100 milliards d’euros est générateur de dangereux effets d’aubaine. Le discours politique qui accompagne la hausse des budgets français est aussi un signal important pour les acteurs financiers qui, pour beaucoup, se désengageaient du financement de la défense avant 2022. Je crains cependant que les nouveaux budgets ne permettent pas de répondre à la crise du financement de certaines PME/ETI, à qui on demande de produire plus, mais qui ne peuvent pas financer le BFR additionnel correspondant. La vraie bonne nouvelle réside plutôt dans le changement d’état d’esprit des citoyens vis-à-vis de la défense et les signaux positifs envoyés aux entrepreneurs. Si je peux faire partie de ce mouvement, tant mieux !

La guerre a mis en valeur la puissance agricole de la France, véritable grenier à blé de l’Europe, devant l’Ukraine. Notre pays n’est toutefois pas indépendant alimentairement, les importations pesant pour 20 % de l’alimentation nationale. Sur quels secteurs (et innovations) l’accent pourrait-il donc être mis, selon vous, pour réduire ce déficit ?

La production agricole française fait face à un défi similaire à celui de la BITD : il faut choisir entre qualité et quantité. Le choix politique au niveau français et européen a été celui de la qualité qui, dans une certaine mesure, présente des externalités positives en termes de biodiversité et de santé publique. Citons, par exemple, l’agriculture biologique. Mais cette montée en gamme s’est traduite dans les prix et a laissé de côté une partie du marché : d’où les poulets du Brésil et les légumes espagnols.

À mon sens, le coût écologique de ces importations, notamment en termes d’émissions de CO2, justifie que l’on ait plus de tolérance en France face à certains modes de production intensifs, qui demeurent socialement trop mal perçus. La rigueur de nos normes et les qualifications des agriculteurs français sont certes des garanties fortes pour le bien-être animal et l’impact écologique de ces modes de production en France. Mais cela doit se faire en parallèle d’une valorisation de toutes les agricultures, qui se complètent mutuellement pour nourrir la France et l’Europe. Ne négligeons d’ailleurs pas les entrepreneurs de l’agritech, dont les solutions pourraient, à terme, permettre de dépasser ce dilemme quantité/qualité.

Linkedin : https://www.linkedin.com/in/elie-de-moustier

Victor Cazale


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