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Doit-on se réjouir de la fin du christianisme ?

Entreprendre - Doit-on se réjouir de la fin du christianisme ?

Par Marc Alpozzo, philosophe et essayiste

Tribune. Notre Occident décadent vit non seulement une crise spirituelle, une crise de foi, mais ses pays chrétiens mettent tout en œuvre pour déchristianiser leurs terres, voulant balayer sous le tapis 2000 ans d’histoire. Par exemple, on ne dit plus désormais « Joyeux Noël » mais « Passez de bonnes fêtes » pour ne pas opprimer les croyants d’autres confessions, comme si ces gens-là pouvaient être bêtes au point de se sentir offensés que l’on souhaite une autre fête religieuse que la leur.

Pour beaucoup de personnes, le débat sur la religion est clos puisque, allant vite en besogne, elles considèrent un peu hâtivement que, la science ayant échoué à démontrer l’existence de Dieu, la preuve est ainsi faite qu’il n’existe pas, inversant ainsi la proposition de Dostoïevski, « si Dieu n’existe pas alors tout est permis » en une autre formule dénuée de tout bon sens : « Si tout est permis c’est que Dieu n’existe pas ».

Reprenant à mon compte cette idée d’André Glucksmann, je trouve qu’elle démontre bien la réalité de l’inversion des valeurs qui est le propre de cette époque. Alors qu’il est plus difficile de prouver l’inexistence de Dieu que le contraire, les athées et autres laïcards demandent aux croyants de démontrer l’existence de leur Dieu. Ce n’est pourtant pas là le croyant que l’on offense, mais l’intelligence. Lorsqu’on vous affirme que Dieu n’existe pas, parce que la matérialité du monde est largement prouvée par la science, que l’univers est le résultat de l’explosion d’un filet de gaz, on se dit qu’une connaissance mal digérée peut faire plus de dégâts que l’explosion d’une bombonne de gaz.

Il faudrait dire également à ces gens enfermés dans un scientisme comtiste dix-neuvièmiste largement dépassé aujourd’hui que, ne constituant qu’un élément parmi d’autres d’une interrogation philosophique sur la religion, la question de l’existence de Dieu a nourri des débats récurrents tout au long de l’histoire de la philosophie et, nombre de métaphysiciens se sont efforcés de démontrer rationnellement l’existence de Dieu, soit à partir de son concept, soit à partir de l’ordre du monde, soit enfin à partir de la contingence de l’univers, sans jamais parvenir à une réponse définitive ; il est utile de rajouter que la science n’a jamais démontré l’inexistence de Dieu jusqu’ici.

Un point partout ! Si donc, la métaphysique ne peut plus se présenter comme une science depuis le XVIIIe siècle, elle demeure la plus ancienne et plus estimée des « sciences » malgré tout. On peut être également assuré qu’elle survivrait à la pire des barbaries, à la destruction de toutes les sciences. Ce simple exemple nous démontre que les choses sont compliquées que l’on ne veut le croire. Mais continuons…

Pour la petite histoire, si la preuve ontologique a connu sa plus grande fortune dans sa version anselmienne, ainsi que dans ses versions cartésiennes, Saint Thomas d’Aquin a préféré défendre un argument cosmologique qui greffe un contenu dogmatique chrétien sur le modèle d’argumentation aristotélicien. C’est pourtant Kant qui a mis définitivement fin à toute tentative de traitement métaphysique de la question de l’existence de Dieu. Ce qu’il dit, c’est qu’une telle prétention est illusoire, compte tenu de nos capacités limitées de connaissance. Dieu peut être pensé mais nullement connu, tant pour le métaphysicien que pour le scientifique moderne. La grande porte de la métaphysique ayant été refermée et condamnée de manière irrévocable, l’ouverture sur la religion paraît si ténue désormais. Les athées en ont profité pour affirmer leur croyance en une absence de Dieu, et Kant, voyant le danger se profiler, s’est précipité pour ramener Dieu par la fenêtre, avec son fameux postulat de l’existence de Dieu.

La Révolution française est également passée par-là, les Révolutionnaires ayant saccagé les églises et pourchassé les prêtes, alors qu’ils éprouvaient en même temps le besoin de fonder une religion civile, avec un culte de l’Être suprême, des rites et des cérémonies. Et c’est très certainement Nietzsche qui a apporté la plus judicieuse critique de l’illusion de ceux qui, se croyant athées, dépendent encore de la religion. Dans des pages remarquables, Nietzsche a souligné l’illusion d’une humanité libérée de tout sentiment religieux, montrant combien cela représentait le symptôme du nihilisme. Cette civilisation qui se croit si avancée, n’est en réalité que l’expression parfaite de la dévalorisation de toutes hautes valeurs, aux prises d’un processus de décadence. Or, force est de constater, qu’il y avait quelque chose de nihiliste dans la Révolution française, qui tenait encore sa force de la foi religieuse, condamnée toutefois à mourir afin de laisser place à l’épanouissement de la particularité dans ce qu’elle a de plus insignifiant.

Si Nietzsche tirait à boulets rouges sur le christianisme, il demeurait profondément chrétien cependant, restait passionné par le Christ, et se réjouissait autant de la mort de Dieu qu’il ne la pleurait, conscient qu’elle conduisait les hommes à deux cents ans de nihilisme passif. Ce ne sera donc pas dans les textes de Nietzsche, mais bien dans une réflexion éthique de Kant que nous trouverons la réponse à notre question : doit-on saluer la fin du christianisme ? Est-ce que cette haine de Dieu, comme on avait autre fois la haine de la raison (misologie) se justifie ? Les travaux de Kant sont importants, essentiels car ils posent de nouvelles bases au problème de l’existence de Dieu. L’examen de cette question se situe paradoxalement à la marge d’une approche philosophique de la religion, puisque son propos concerne moins le pourquoi de l’attitude humaine que le quoi de la causalité du monde. En un mot, son enjeu demeure d’ordre métaphysique, alors même que le père de la Critique de la raison pure, est connu pour son assassinat spectaculaire de toute métaphysique.

En tant que tel, ce débat a subi au cours de l’histoire de la philosophie, les aléas qui affecteront tous les questionnements métaphysiques, et il ne sortira pas indemne, notamment de la révolution kantienne, justement parce que le problème de l’existence de Dieu ne peut être tranché par la science ou la philosophie de manière irréfutable, et ne le pourra jamais, laissant ainsi le champ libre aux choix proprement humains, soit strictement subjectifs, soit à prétention universelle comme l’exigent les principes de la morale kantienne.

De fait, le problème philosophique de l’existence de Dieu ne disparaît nullement, mais se déplace sous la forme de nouvelles questions : quels sont les choix que nous devons faire face à une question qui demeurera fatalement sans réponse positive et qui ne pourra jamais être totalement tranchée sans contestation possible ? Comment peut-on justifier ces choix ? Au nom de quoi faut-il en décider et pourquoi s’y engager ? Dans sa Critique de la Raison pure (1781), ouvrage critique sur les conditions de la connaissance, Kant réfute la preuve ontologique, et par elle toutes les preuves de l’existence de Dieu : toute connaissance commence par les sens, or l’existence de Dieu (ou sa non-existence) ne peut jamais apparaître dans l’expérience ; elle ne sera donc jamais prouvée ou démontrée. Sa Critique de la Raison pratique (1788), ouvrage qui concerne la conduite morale et non plus la connaissance, prolonge sa réflexion : ce que nous ne pouvons connaître, nous pouvons y croire, et même nous devons y croire, donc postuler l’existence de Dieu.

Le respect d’une loi morale n’a de sens que s’il existe un Dieu juste accordant le bonheur aux hommes vertueux (car si la vertu ne nous rend pas heureux, c’est que la Loi morale que l’on suit est fausse : la vraie vertu nous permet d’accéder au bonheur et non simplement d’en être dignes). Par conséquent, s’il est impossible de démontrer l’existence de Dieu, il est moralement nécessaire toutefois de l’admettre. Il s’agit d’un postulat, c’est-à-dire d’une proposition théorique, théoriquement indémontrable mais pratiquement (moralement) nécessaire. J’imagine que vous me suivez désormais. S’il est donc moralement nécessaire de suivre ce postulat, c’est bien évidemment pour sauver les hautes valeurs morales, celles qui paraissent bien « nauséabondes » aujourd’hui (pour reprendre une expression à la mode) aux yeux des adversaires de la chrétienté, et de toutes les religions en général. Cela nous ramène à la crainte du romancier russe du XIXe : si (l’on considère que) Dieu n’existe pas, cela se paiera de toute morale, et notre monde deviendra une jungle, un chaos nihiliste jusqu’à son effondrement et son extinction.

Bien sûr, on me rétorquera que le postulat de Kant est déjà de l’ordre de la foi, et que cela invalide d’emblée l’argument. Voyons ça ! La morale kantienne ne se fonde pas sur la religion, mais sur l’autonomie de la volonté, et elle exige la croyance en Dieu ; elle est maintenue sous son contrôle rationnel : toute croyance n’est admissible que si elle est compatible avec la morale, avec la recherche du « Souverain Bien ». Prenez par exemple la foi aveugle d’Abraham, qui sacrifie son fils Isaac par obéissance à Dieu, ce qu’il fait est condamnable, car c’est bien entendu contraire à la loi morale. Ainsi une croyance comme la foi en une Révélation) peut paraître non rationnelle. Mais la religion dont parle Kant n’a rien à voir avec la Révélation. Elle demeure « dans les limites de la simple Raison. » C’est donc une foi rationnelle et morale. C’est donc très loin de ces « hallucinés des arrières-monde », dont Nietzsche nous rebattait les oreilles. C’est une foi qui sauve.

Or, que voyons-nous aujourd’hui : un aveuglement idéologique et systématique, agissant en-dehors des limites de la simple Raison. La fin de la foi chrétienne dans le cœur d’un grand nombre d’hommes, conduit non seulement au dogmatisme, mais à l’acharnement irrationnel. Sous prétexte que la foi est propre à chacun et non scientifique, on retourne celle-ci pour agir selon une autre forme de croyance : l’athéisme, qui est la nouvelle religion du peuple, le nouveau dogme, sorte d’opium postrévolutionnaire, héritage gauchiste et marxiste, conduisant les sociétés modernes à se comporter en fossoyeur de toute transcendance, chassant le divin partout où il pourrait se trouver, comme le faisaient autrefois les Révolutionnaires ou les Bolcheviks. Einstein disait que Dieu se balade incognito. Si c’est le cas, il doit bien rire de ces apôtres du néant, et de leurs idolâtries mortifères.

Conclusion (provisoire) : saluer la fin du christianisme, c’est saluer cette haine de Dieu, transformée en une haine de la religion, qui n’est rien d’autre que l’héritage nauséabond de la Révolution française et du marxisme.

Marc Alpozzo
Philosophe, essayiste Auteur de Seuls. Éloge de la rencontre, Les Belles Lettres


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3 commentaires sur « Doit-on se réjouir de la fin du christianisme ? »

  1. 200 ans d arnaques, il faut interdire toutes les religions aux mineures d urgence : leurs 1ers cibles et victimes les plus fragiles

    Répondre
  2. L’auteur confond la fin du christianisme et celle de Dieu dans un gloubiboulga énervé et prétentieux où il oppose pèle mêle les scientistes et les gauchistes à des philosophes éclairés, dont il fait bien évidemment partie. Dommage, le sujet méritait mieux.

    Répondre
  3. le ton et la réthorique dès le départ montrent le parti pris de l’auteur…
    toute la mauvaise fois coutumière ds discours pro-religieux.
    Pour conclure de manière toute réactionnaire, digne des discours d’extrême droit classiques.

    Répondre

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