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Diplomatie économique : l’incroyable odyssée du Satellite TürkmenÄlem 52° E

Le premier satellite turkmène de télécommunications TürkmenÄlem 52° E, construit à Cannes par Thales Alenia Space, a été lancé avec succès le 28 avril 2015.

Séparation du dernier étage de Falcon 9 ©Patrick Pascal

Le premier satellite turkmène de télécommunications TürkmenÄlem 52° E (NB: signifiant monde ou paix turkmène comme Mir en russe; position géostationnaire 52° Est), construit à Cannes par Thales Alenia Space, a été lancé avec succès le 28 avril 2015 (NB: selon l’heure locale turkmène). La perfection technique du lancement et l’excellent fonctionnement depuis lors du satellite – destiné à la télévision, à la radiodiffusion et à internet – furent l’aboutissement d’un processus de négociation et de développement technique étalé sur plus de cinq années.

Le montage de l’opération s’est avéré assez complexe. Le Ministère turkmène des Communications a signé en novembre 2011 divers engagements contractuels avec Thales Alenia Space pour la fabrication et la livraison du satellite à l’organisme étatique turkmène NSSC (National System of Satellite Communications). De son côté, la Société Space Systems International (SSI-Monaco) avait obtenu dès 2009 une licence du gouvernement monégasque pour l’exploitation de la position orbitale 52° Est. L’autorité turkmène s’est donc également engagée auprès de SSI pour l’utilisation de cette position orbitale réservant à la Société monégasque 12 des 38 canaux de télécommunication du futur satellite pour son propre compte et la responsabilité de commercialiser les autres. C’est la raison pour laquelle le satellite turkmène fut à la fois enregistré comme TürkmenÄlem 52° opéré par Turkmenistan National Space Agency et MonacoSAT 1.

Le Turkménistan est ainsi devenu client des satellites Spacebus produits par Thales Alenia Space. Spacebus est le nom donné à la famille des plates-formes (NB: modules de service destinés à apporter toutes les fonctions nécessaires au satellite quelle que soit la charge utile spécifique de la mission, qu’il s’agisse de télécommunication, d’observation de la terre, de navigation ou de mission scientifique). Ces satellites de télécommunications géostationnaires ont été développés à partir des années 80 par Aérospatiale, devenue Alcatel Space, puis Alcatel Alenia Space, enfin Thales Alenia Space en 2007. Le nom de Spacebus fut attribué par référence au programme aéronautique Airbus. Tous les produits de la gamme ont été exportés.

Outre l’utilisation d’une plate-forme générique, conçue à l’origine pour s’adapter aux diverses missions et aux évolutions des capacités des lanceurs – ce qui avait pour effet de bénéficier d’un coût de série -, le choix fut fait d’un satellite « ITAR-free » de la gamme Spacebus 4000 (NB: 6ème 4000C2 d’un poids supérieur à 4 tonnes), c’est-à-dire dénué de composants interdits à l’exportation par la loi américaine d’application extra-territoriale. Thales, maître d’oeuvre du projet et principal contractant de l’Etat turkmène, fit alors le choix, parmi un très large éventail de possibilités, du lanceur chinois Longue Marche 3B (CZ-3B), dont la fiabilité était jusqu’alors totale et dont le prix était attrayant par rapport à Ariane 5.

La règle ITAR s’est finalement durcie au cours de la décennie 2010 faisant tomber certains composants sous le coup de nouvelles interdictions et des pressions furent exercées sur Thales afin que la Société mette un terme à sa gamme « ITAR-free ». Thales se résolut à rompre le contrat signé auprès de China Great Wall Industry Corp. ce qui impliqua naturellement des pénalités. La solution technique Ariane 5 demeurait mais son coût aurait annulé les avantages commerciaux retirés d’un contrat initial qui ne pouvait plus être renégocié avec les autorités turkmènes. Divers lanceurs furent examinés, dont le Proton russe, mais le choix fut finalement fait de la fusée Falcon 9 de la nouvelle Société Space X. Cette décision était extrêmement audacieuse car, au moment de la signature du contrat, le lanceur n’existait encore que sur les plans de ses concepteurs.

La suite ne fut pas un long fleuve tranquille, Thales en tant que maître d’oeuvre s’exposant à l’attente et à l’impatience du Turkménistan pour un projet revêtant une dimension nationale forte ainsi qu’en termes de prestige régional. Le lancement du 27 avril à Cape Canaveral, suivi au milieu de la nuit turkmène à partir du Centre de contrôle d’Achgabat (NB: un back-up du Centre avait été implanté dans le Nord du pays, non loin de l’Ouzbékistan, près de la ville de Dashoguz), avait d’ailleurs été précédé quelques semaines auparavant d’un échec de Falcon 9.

L’issue du projet est à la mesure d’années de négociations et de développements techniques (cf. infrastructures au sol, formation de personnel, etc..). TürkmenÄlem 52°E couvre désormais de manière prioritaire une zone Turkménistan-Kazakhstan-Ouzbékistan de façon à ce que ses diffusions puissent être réceptionnés par des antennes paraboliques de taille réduite; le champ est élargi à la Russie, à la Scandinavie jusqu’au Nord-Ouest de la France et au Sud du Royaume-Uni; la zone MENA (Middle East and North Africa) privilégie la Péninsule d’Arabie avec des extensions au sud en direction du Soudan et de l’Ethiopie. Le durée de vie du satellite sera au moins égale à quinze années.

Lancement de TürkmenÄlem 52°E à Cap Carnaveral, 27 avril 2015

Le succès de ce premier satellite de télécommunications a aussi ouvert la voie à un marché potentiel de satellites élargi à l’observation de la terre (NB: satellites optiques et radars) à des fins civiles comme, le cas échéant, militaires dans une zone frontalière notamment de l’Iran et de l’Afghanistan. Le Président de Thales Alenia Space reçut un accueil privilégié du Président turkmène Berdymuhamedov en juin 2015. D’une manière générale, les relations bilatérales franco-turkmènes s’en trouvèrent renforcées, avec notamment l’accueil à Paris en juillet 2015 de Rashid  Meredov, ministre des Affaires étrangères du Turkménistan par son homologue Laurent Fabius. Plus de vingt ans (1994) après la visite accomplie par le Président Mitterrand, dont bénéficièrent les intérêts français dans le pays, le projet d’une visite présidentielle française fut envisagé pour 2016, mais il ne fut finalement pas réalisé. Mais au total, le projet TürkmenÄlem 52° E fut un exemple très réussi de ce que l’on appelle la « diplomatie économique », associant tout au long du processus les représentants de l’Etat et les entreprises.

Patrick Pascal
Ancien Ambassadeur et Président du Groupe Alstom à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie.
Fondateur et Président de Perspectives Europe-Monde.

Patrick PASCAL

Pour en savoir plus :
www.perspectives-europemonde.com

Patrick Pascal est également l’auteur de Journal d’Ukraine et de Russie (VA Éditions)

Disponible auprès de VA-EDITIONS.FR


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