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Ahmed Bouzouaid (Entrepreneuriat Quartiers 2030) : « L’entrepreneuriat permet de conquérir une forme de pouvoir économique »


Difficultés d’accès au financement, manque de réseau et de connaissances entrepreneuriales, discrimination... Entreprendre dans un quartier populaire est bien souvent un parcours d’obstacles. Ils sont pourtant de plus en plus nombreux à se lancer. Directeur du programme « Entrepreneuriat Quartiers 2030 », Ahmed Bouzouaid dresse un panorama de l’entrepreneuriat dans les quartiers et détaille les ambitions de Bpifrance dans ces territoires.

Ahmed Bouzouaid (Entrepreneuriat Quartiers 2030)

Quels sont les atouts des entrepreneurs issus des quartiers ?

Ahmed Bouzouaid. La jeunesse, la pluriculturalité, le dynamisme, l’énergie… Dans ces quartiers, on trouve des entrepreneurs qui ont soif de réussite et n’ont rien à perdre. Ces territoires sont souvent des terres d’accueil de l’immigration et donc des creusets culturels. La diversité est un puissant facteur d’innovation.

En quoi l’entrepreneuriat est-il une solution ?

L’entrepreneuriat est un puissant moteur de transformation sociétale. Les habitants des quartiers populaires ressentent une blessure narcissique liée à leur histoire et à leur rapport à la société française. Pour eux, l’entrepreneuriat est une manière de reconquérir une forme de pouvoir économique et de faire entendre leur voix.
La promesse républicaine de cohésion sociale n’a de sens que si tous les entrepreneurs peuvent accéder à des solutions pour entreprendre. Cela fait trente ans que l’État essaie de transformer les quartiers prioritaires à travers la politique de la ville. Aujourd’hui, on a enfin compris qu’il ne suffit pas de s’occuper de l’aménagement urbain, il faut aussi accompagner les entrepreneurs, car ils jouent un rôle clé dans la transformation économique des territoires.

Quel rôle doit jouer Bpifrance dans le développement de l’entrepreneuriat dans les quartiers ?

L’entrepreneuriat favorise l’autonomisation de ces territoires, mais cela ne suffit pas. C’est là qu’intervient la puissance publique pour accompagner les entrepreneurs. Le rôle de Bpifrance est d’être un levier pour permettre à leur audace, à leur énergie et à leurs rêves de s’exprimer. Dans les quartiers, cette énergie reste parfois à l’état de potentiel. Si nous n’intervenons pas, elle risque de s’éteindre avant même d’avoir pu éclore…

Quelles typologies d’entrepreneurs rencontrez-vous dans ces territoires ?

Il y en a trois types. Ceux qui souhaitent entreprendre mais renoncent, faute de capital ou de réseau. Ceux qui se lancent malgré tout, mais commettent de nombreuses erreurs. Et puis, il y a ceux qui transforment les difficultés en atouts grâce à leur ingéniosité et leur créativité.

À quelles difficultés sont-ils confrontés lorsqu’ils veulent entreprendre ?

Ils ne font pas face à un plafond de verre mais à un plafond de béton. Le fait de ne disposer de l’ensemble des capitaux – culturel, relationnel et économique – rend les choses très difficiles. Avoir des opportunités, rencontrer les bonnes personnes, avoir le bon contact au bon moment… Le relationnel est crucial dans la réussite d’une entreprise.

Comment compenser l’absence de ressources financières ?

On ne prête qu’à ceux qui ont des fonds propres. Or, sans fonds propres, transformer un rêve en réalité est un véritable défi. Nous avons donc mis en place des outils dédiés aux quartiers prioritaires, comme le « Prêt d’honneur Quartier », un financement à taux zéro permettant un effet levier pour obtenir d’autres financements, le « Prêt Flash Quartiers » qui cible les TPE, ou encore le programme « Fast Track to Cash » qui accompagne les projets ambitieux ayant du mal à se financer. Nous avons également relancé le « Fonds de fonds quartiers » doté de 100 millions d’euros pour financer des fonds d’investissement qui ciblent les entrepreneurs des quartiers.

La discrimination est-elle toujours un frein pour ces entrepreneurs ?

Un entrepreneur originaire des quartiers porte toujours une forme de stigmate qui lui ferme des portes. Avoir un nom à consonance étrangère, ne pas venir du bon quartier, ne pas avoir fait d’études constituent des barrières. Mais évoquer la discrimination revient à parler de la météo : quand on est entrepreneur, on doit se lever et avancer, qu’il neige ou qu’il pleuve.

La situation s’est-elle malgré tout améliorée ces dernières années ?

Je suis convaincu que nous entrons dans une nouvelle phase. Les barrières existent toujours, mais elles ont fait émerger une forme de résilience chez les entrepreneurs des quartiers qui ont mis en place des stratégies pour dépasser le plafond de béton.

Que répondez-vous à ceux qui reprochent à Bpifrance d’avoir privilégié les start-up au détriment des entrepreneurs issus des quartiers ?

C’est vrai que les start-up ont bénéficié de nombreuses initiatives ces dernières années. Mais il fallait bien commencer quelque part… D’ici à 2030, Bpifrance va tout de même déployer 456 millions d’euros pour soutenir les entrepreneurs dans les quartiers prioritaires. C’est absolument inédit.

Comment vont être utilisés ces 456 millions d’euros prévus dans le programme « Entrepreneuriat Quartiers 2030 » ?

Ils vont servir à financer l’ensemble des dispositifs de Bpifrance destinés aux entrepreneurs des quartiers prioritaires. L’objectif est d’accompagner 100 000 entrepreneurs d’ici à 2027.

Quelle est l’ambition de ce programme ?

Donner à chacun les moyens de réussir quel que soit son point de départ. Chez Bpifrance, nous n’avons pas de religion en matière d’entrepreneuriat. Les entrepreneurs viennent comme ils sont, nous accueillons tout le monde. Notre ambition est de connecter les entrepreneurs de ces quartiers populaires à des solutions qui leur permettent de s’exprimer.

À quels dispositifs peuvent accéder les entrepreneurs des quartiers prioritaires ?

Nous voulons créer des ponts entre les dispositifs déjà en place et les besoins spécifiques des entrepreneurs issus de ces territoires. Beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas accès aux solutions classiques en raison d’un manque d’information, d’une autocensure ou de l’absence de structures à proximité. Nous avons donc mis en place un maillage territorial permettant d’aller chercher les entrepreneurs là où ils sont. Nous avons déployé l’offre « CitésLab » regroupant des femmes et des hommes qui sillonnent les quartiers à bord de bus jaunes pour aller à leur rencontre. Cela permet d’inscrire l’entrepreneuriat dans le paysage. Nous avons également développé les « Carrefours de l’Entrepreneuriat » qui sont des tiers-lieux implantés dans les quartiers. Ce sont des espaces où les entrepreneurs peuvent trouver des solutions d’accompagnement, de financement, des clubs d’entrepreneurs…

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