À 55 ans, c’est la première femme élue à la tête de la puissante fédération de l’agriculture française. Attendue au tournant, elle va devoir se battre pour s’imposer dans un contexte difficile. Mais cela ne devrait pas lui faire peur.
Un prédécesseur de poids
Disparu à 58 ans, juste avant l’ouverture du salon de l’agriculture, le précédent président de la FNSEA, Xavier Beulin, était souvent présenté comme le «véritable ministre de l’Agriculture».
Ce fils d’agriculteur du Loiret, propriétaire d’une exploitation de 500 hectares, était surtout le dirigeant du géant céréalier Sofiprotéol (6,5 Mds€ de CA, propriétaire des marques Matines et Lesieur) rebaptisé Avril en 2015. Et un farouche partisan d’une agriculture productiviste, défenseur des intérêts des industriels autant sinon plus que de ceux des paysans.
Plus de 200.000 paysans
Principale organisation représentative du monde agricole, la FNSEA est une fédération de fédérations régionales et départementales (une centaine) et de syndicats d’exploitants agricoles (plus de 15.000) et comptant aujourd’hui 212.000 adhérents. Un gigantesque paquebot supposé défendre des intérêts souvent contradictoires…
Et il ne faut pas s’attendre à une véritable rupture. Seule candidate au poste, elle a affirmé : «Nous nous retrouvons dans les orientations qui étaient portées auparavant par le bureau derrière Xavier Beulin», bureau dont elle fait partie depuis 2010.
Lobbying européen
La FNSEA est inscrite depuis 2009 au registre de transparence des représentants d’intérêts auprès de la Commission européenne. Elle déclare en 2015 pour cette activité trois équivalents temps plein et des dépenses d’un montant compris entre 100.000 et 200.000 €.
Mais elle est également de l’association des fermiers européens COPA-COGECA, inscrite depuis 2009 au même registre, et qui déclare en 2014 pour l’activité «de représentation d’intérêts» des dépenses d’un montant compris entre 1 et 1,25 M€.
Non au FREXIT
Si elle se déclare «très lucide sur les défauts de l’Union européenne en matière fiscale, sociale, normative», la présidente de la FNSEA, qui a pris position avant le second tour de l’élection présidentielle estime qu’il faut «rester au sein d’une Union européenne qui apporte beaucoup à l’agriculture, comme on l’a vu lors de la crise du lait», lorsque la Commission a enrayé l’effondrement des cours en achetant 350.000 tonnes de poudre de lait et subventionné un ralentissement de la production dans les élevages.
Joueuse d’équipe
L’une des grandes qualités de la nouvelle présidente de la FNSEA, qui préfère le «nous» au «je», est de savoir déléguer. Si elle souhaite «travailler plus en équipe avec les responsables du syndicat», c’est peut-être dû à son passé : «J’ai un profil de capitaine d’équipe de handball», explique l’ancienne pratiquante de ce sport collectif pendant 6 ans en compétition.
Une femme de terrain
Si son prédécesseur avait depuis longtemps déserté les champs de blé pour les bureaux prestigieux, Christiane Lambert est une vraie paysanne, qui affirme : «Dès l’âge de 8 ans, j’ai voulu être agricultrice».
Fille d’éleveurs de bovins dans le Cantal, où elle s’est d’abord installée après son BTS agricole, elle gère depuis 1989 avec son mari Thierry un élevage de porcs dans le Maine-et-Loire, à Bouillé-Ménard, où elle vit avec la dernière de ses 3 enfants, Guillaume, Thibaut et Pauline, qui fait des études vétérinaires.
Dans le monde réel
Là où le train de vie de Xavier Beulin a souvent fait polémique, Christiane Lambert apporte une indéniable fraîcheur. L’exploitation familiale représente 100 hectares, dont 25 en location, avec un élevage de 230 truies, nécessitant l’aide de 2 salariés. «En 2016, on s’est payés 3.000 € à deux chaque mois. Les deux années précédentes, nos exercices étaient déficitaires. Mais notre maison est payée et 2 de nos 3 enfants sont autonomes».
Des revenus relativement modestes, qui devraient permettre à la nouvelle femme forte de l’agriculture française de mieux comprendre les attentes des paysans de base.
Une militante engagée
Dès son installation en 1980, Christiane Lambert s’est investie syndicalement, chez les Jeunes Agriculteurs d’abord qu’elle a présidé au niveau national en 1992, puis à la FNSEA où elle a gravi tous les échelons départementaux, régionaux puis nationaux, jusqu’à en devenir première vice-présidente en 2010.
Soucieuse de l’environnement
Alors que Xavier Beulin était un farouche partisan du productivisme agricole et un défenseur des OGM, la position de Christiane Lambert sur ces sujets est sensiblement différente. Première présidente du FARRE, Forum de l’Agriculture Raisonnée Respectueuse de l’Environnement, de 1999 à 2005, elle a fait le choix dans sa propre exploitation de respecter les critères du bien-être animal et de mettre en place des solutions écologiques pour les déchets et l’énergie. Un changement radical ?
Contre les prix bas
Pour l’une de ses premières interviews en tant que présidente, Christiane Lambert a jeté un sacré pavé dans la mare : «La majorité des exploitations agricoles travaillent à perte car les grands distributeurs imposent des prix bas aux industriels qui achètent nos produits.
Ce dogme du prix bas est destructeur. Maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs et appauvrir tout le secteur primaire en créant du chômage, ce n’est pas la solution. En France, malheureusement, le dogme du prix bas sévit beaucoup trop». Une prise de position longtemps attendue.
Pour la qualité
Rappelant que notre pays offre des dispositifs et des normes de qualité exigeants, nécessitant des investissements et une main-d’œuvre qualifiée, Christiane Lambert affirme : «Il faut que les consommateurs français ne soient pas très exigeants quand ils nous demandent des conditions de production, tout en faisant la course au prix le plus bas . En France, nous sommes les champions de la qualité.
Quand vous achetez un vêtement français, vous le payez plus cher. Les chaussures françaises, vous les payez plus cher. Les produits agricoles français nécessitent aussi des prix plus élevés». Un discours que les agriculteurs vont apprécier.
Un sacré tempérament
Tout ceux qui la connaissent la décrivent comme «un concentré d’énergie», très déterminée et très exigeante. Et surtout comme quelqu’un qui a son franc-parler, comme s’en sont aperçus ses interlocuteurs lorsqu’elle écumait les plateaux de télévision au cœur de la crise de 2016.
Une nature caustique qui risque de «ne pas toujours faciliter les relations quand il s’agit de négocier avec le gouvernement», à tel point que certains de ses proches l’encouragent à travailler «sa qualité d’écoute, face aux expressions d’opinions différentes des siennes». À suivre…