Je m'abonne

Charles VII, le roi oublié

Portrait de Charles VII par Jean Fouquet (1445), Musée du Louvre

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

 La chronique léonine du mois par Leonce-Michel DEPREZ

Il y a un certain parallélisme entre la jeunesse de ce roi peu flamboyant mais qualifié de bien servi et celle de Louis XIV, dit le Grand, tels qualificatifs étant issus du roman national. Charles VII (1403-1463) a vécu au XVe siècle dans l’époque appelée Moyen Age, une époque souvent qualifiée d’obscure et qui a mauvaise réputation. Aussi cela imprègne tous les personnages qui y ont vécu. Louis, lui a vécu au XVIIe siècle, le siècle réputé pour être une époque moderne, et qui est considérée comme l’apogée de la puissance française en Europe, et a bénéficié d’une image plus flatteuse, liée à ce siècle, ayant beaucoup travaillé à construire celle-ci bien au contraire de son lointain prédécesseur Charles.

Charles et Louis partagent en effet une même jeunesse, faite de guerre civile, de fuite de Paris, de régence où le pouvoir royal est contesté par les grand féodaux, ce qui a certainement développé chez les deux rois, une capacité de dissimulation, une psychologie complexe, construite sur des humiliations subies, faite de pragmatisme prudent mâtiné de cynisme tout en baignant les deux dans l’omniprésence du sentiment religieux collectif dominé par une Eglise Catholique certes abimée par le schisme papal, au XVe siècle où la Réforme au XVIIe siècle. Et ce qui les rapproche c’est aussi cette volonté d’affirmer la suprématie du pouvoir royal sur les puissances de l’argent, ayant tous les deux disgracié, « un fait de majesté », Charles VII, Jacques Cœur en 1451, le premier capitaliste français, Louis XIV, l’Intendant Général Fouquet, le plus riche du royaume en 1661.

Là s’arrête les comparaisons, car à regarder le bilan des deux règnes, je donnerai certainement la palme d’excellence à Charles. Alors que celui de Louis s’achève en 1715 après la calamiteuse guerre de succession d’Espagne, avec un royaume ruiné, une Noblesse qui rêve de relever la tête, et un bien faible successeur de 4 ans, Louis XV, celui de Charles s’achève sur un royaume rétabli dans ses frontières, une noblesse matée, une économie en plein redressement et une paix durable à

l’intérieur du royaume qui va durer presque un siècle. Et un successeur aux dents bien acérés, Louis XI.

Quel est donc ce roi si peu connu ?

Il est né en 1404 ; son père Charles VI a déjà des crises de folies qui vont s’aggraver et qui laissent le champ libre à sa Reine, Isabeau de Bavière, jouet des intrigues du duc de Bourgogne, Jean sans Terre cousin germain du père de Charles VI.

Mais l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407, frère du Roi par Jean san peur, déclenche une guerre civile entre Armagnacs, tenant des Orléans, et les Bourguignons. Les fils de Charles VI sont donc des enjeux considérables et qui possède les successeurs de Charles VI, possède le pouvoir…. Le futur Charles VII alors uni au clan angevin, est témoin (il a 10 ans) de la sanglante révolte de Simon Caboche en 1413 inspirée par Jean sans Peur, qui veut prendre le contrôle de Paris. Puis est obligé de fuir en 1418, (il a 15 ans) une tentative d’enlèvement orchestré par Jean sans Peur. Ces deux événements lui inspirent un dégoût tenace de Paris.

Devenu Dauphin à la suite du décès subit de ses deux frères ainés, il essaie de négocier avec le Bourguignon mais est débordé par son entourage Armagnac qui assassine Jean sans Peur lors de la rencontre de Montereau en 1419. C’est une faute. Car entre temps les Anglais ont entrepris une nouvelle guerre en France au nom de cette vieille revendication des Plantagenêt faisant valoir leur droit sur la couronne française. C’est la terrible défaite d’Azincourt en 1415, où les Anglais inférieurs en nombre font preuve d’une remarquable maitrise du champ de bataille comme à Crécy, en 1346, à Poitiers en 1356, et comme plus tard à Cravant en 1423 Verneuil en 1424. Ces anglais sont invincibles et les Bourguignons se vengeant du meurtre de Jean, s’allient avec eux, au point de renier le dauphin Charles à Troyes en 1420, le « honteux » traité de Troyes, cautionné par la Reine Isabeau de Bavière et pour désigner Henri VI, le fils de Henri V Lancastre l’Anglais sur le trône de France ! On fait même courir le bruit que Charles est un bâtard des amours d’Isabeau avec son beau-frère Louis d’Orléans….

En 1422, meurt Charles VI juste après Henri V Lancastre. Charles se proclame roi de France et se fait sacrer à Bourges où il s’est réfugié. A priori, aux yeux de ses contemporains, il parait faible, jouet des intrigues de sa petite cour, entre son chambellan la Trémoille et son connétable Arthur de Richemont, le breton. Et son royaume est coupé en deux la France au nord de la Loire contrôlé par les Anglais et les Bourguignons, et le sud qu’il contrôle. Et puis c’est la guerre menée par des Anglais triomphants, qui assiège Orléans en 1429, la clé du sud. Le royaume est exsangue, Paris dépeuplé.

Arrive Jeanne d’Arc. Un miracle ? Ici se sépare le roman national de la réalité historique. Ce roman national, celui de Lavisse, qui efface des mémoires Charles VII, pour mieux valoriser le rôle de Jeanne d’arc. Jeanne d’arc inspirée par Dieu, va voir le roi à Chinon, réclame une armée, va sauver Orléans et fait sacrer le roi à Reims…. Un vrai conte de fées….

En fait la situation en 1429 de Charles n’est pas aussi faible selon le médiéviste Georges Minois qu’il n’apparait aux yeux des contemporains. En effet il règne sur un royaume réduit au sud de la Loire mais très compacte, facile à défendre où les institutions fonctionnent et la collecte fiscale continue à alimenter le financement des armées du roi malgré la succession des déconvenues. Il n’a pas de mal à convoquer des assemblées locales de langue d’Oc et d’Oïl, 13 entre 1423 et 1439 pour financer et faire approuver sa politique. Ainsi celle de Chinon en 1428, lui octroie 400 000 livres tournois pour constituer une armée de secours pour dégager Orléans. Celle précisément qui accueillera Jeanne d’Arc arrivée opportunément pour galvaniser le courage des soldats. Ensuite Charles a des alliés puissants. Le premier d’entre eux et sans contexte l’intelligente Yolande d’Aragon, sa belle-Mère, mère du bon roi René, duc d’Anjou, comte de Provence, duc de Bar, roi de Jérusalem ! Yolande qui sut rallier les bretons à la cause française, et surtout encourager son gendre à accueillir la pucelle Jeanne pour exploiter la crédulité de ses contemporains dans les rumeurs merveilleuses qui circulaient à cette époque.

Les Écossais, ennemis héréditaires des Anglais, liés par l’Auld Alliance de 1296 au royaume de France, qui stipule une assistance mutuelle des deux alliés en cas d’agression anglaise, envoient régulièrement des troupes pour renforcer le camp français. Et le roi Charles dispose de capitaines célèbres pour leur courage et pugnacité, Dunois, le bâtard d’orléans, Potont-Xantrailles, la Hire…

Au contraire la situation du camp Anglo-bourguignon n’est pas aussi brillante qu’elle apparait. En 1429, le roi Henri VI a 7 ans et est donc mineur. Deux régents ses oncles, Gloucester en Angleterre et Bedford en France se disputent sur le financement des armées anglaises en France. Et l’occupation anglaise en France coute plus chère qu’elle ne rapporte. Les Bourguignons sont opportunistes et poursuivent leur expansion vers les états du nord-est. Leur alliance anglaise est de circonstance uniquement pour assouvir leur vengeance du meurtre de Jean sans Peur. Ils n’hésiteront pas à enlever leurs troupes du siège d’Orléans, au nom de la solidarité princière avec le duc d’Orléans, tenu en captivité chez les Anglais.

Le pays au nord est ruiné à la suite de la reprise de la guerre depuis 1415, les impôts rentrent très mal, et les Anglais répriment durement des fréquentes révoltes fiscales en Normandie. Enfin sur le plan militaire, s’ils dominent les champs de batailles sans partage, il n’en n’est pas de même dans les guerres de siège. 1427, à Montargis ils subissent un revers cinglant. Et le siège d’Orléans dure depuis 1428.

L’encerclement n’est pas total et les troupes anglaises sont dispersées. Orléans est délivré. Mais la présence de Jeanne stimule l’initiative militaire des capitaines. Dans la foulée ils reprennent Jargeau, Meung sur Loire, et Beaugency et concours de circonstance, ils écrasent les archers anglais (les fameux « longbows ») qui avaient découvert leur position à Patay. Ainsi en 1 mois, le corps expéditionnaire anglais est anéanti !

Fin politique, Charles VII veut asseoir son autorité pour cela il se soumet à la tradition religieuse que le roi est oint à Reims, car il tient son pouvoir de Dieu depuis les carolingiens. Dont le premier, Pépin le Bref, qui reçut son onction à Reims en 754! Soumettre Reims en Champagne, c’est s’assurer le contrôle de la source du pouvoir. Mais aussi il veut rompre l’alliance Anglo-bourguignonne. Et cela diverge de l’humeur guerrière de Jeanne qui avait entrainé ses capitaines dans une volonté de guerre à outrance.

Le siège de Paris mené par Jeanne après le sacre en septembre 29 est un échec. Et Charles, déterminé dans sa politique de rapprochement avec les bourguignons se désintéresse de Jeanne, considérant sa mission terminée. Il ne lève pas le petit doigt quand elle est prise par les Anglais. Ce roi fait preuve d’un réalisme politique étonnant pour cette époque.

Le traité d’Arras en 1435 consacre cette rupture des Anglais avec les Bourguignons. Et sans coup férir Charles VII récupère sa capitale Paris en 1436, qui se rend sans combattre. Cette victoire illustre la pertinence de sa stratégie. Dès lors les Anglais sont sur la défensive. Pour autant Charles ne s’enivre pas de ces victoires. Il prend son temps au prix même de voir ses contemporains le traiter de couard ! Il réorganise son royaume en le dotant d’un financement durable par l’impôt ( la Taille) de ses armées et les professionnalise (les Compagnies d’ordonnances 1445) ce qui débarrasse les campagnes des bandes armées et assurent au roi une supériorité militaire permanente sur les ennemis de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. Il tranche avec habileté la question religieuse de la suprématie du roi sur le pape dans la nomination des évêques, (la Pragmatique Sanction 1438) et enfin mate les rebellions des princes et seigneurs locaux (la Praguerie 1440). Ainsi lors qu’il prend prétexte d’une agression anglaise en 1448, avec l’artillerie des frères Bureau et l’argent de Jacques Cœur, il reconquiert ses territoires normands en à peine un an à la stupeur des Anglais et de l’Europe. Et va même conquérir l’aquitaine anglaise depuis deux siècles dans la foulée!

En 1453, la bataille de Castillon met fin à la guerre de Cent Ans, l’artillerie de Bureau ayant écrasé l’armée anglaise de Talbot, symbolisant la toute puissance du roi de France Charles VII.

Pourtant, sa fin de règne est contrariée par la haine inexpugnable de son fils le futur Louis XI, et qui ne cessera de le discréditer lui reprochant sa maitresse Agnès Sorel, et sa froideur. Il est vrai que Charles dans son approche ne suscite guère la sympathie. Le portait de Fouquet le présente habillé de façon très sobre avec un regard dénué d’expression, des lèvres fines fermées. Sa tenue tranche avec la magnificence de celle des ducs de Bourgogne. Et son comportement sexuel de la fin de sa vie ( il est inconsolable de la mort d’Agnès) est condamné par l’Eglise. Alors qu’il laisse un royaume prospère, le plus puissant d’Europe, en paix, à sa mort en 1461, l’historiographie officielle l’oubliera ne lui pardonnant pas sa distance avec celle que l’on présentera comme l’héroïne de son règne : Jeanne d’arc. Car l’histoire de son règne sera rédigée à partir de la saga johannique. Une histoire construite par les hussards noirs de la 3e république et destinée à galvaniser le sentiment patriotique des Français face au nouvel ennemi de la France : l’Allemagne.

Mais l’Histoire est une science qui a pour objectif de restreindre le champ des incertitudes sur notre passé. Et ne peut être l’instrument d’une récupération politique. Charles VII fut un roi de plein exercice. Et sa politique fut empreinte d’une grande modernité au regard de l’environnement culturel et religieux de son époque.

Leonce-Michel DEPREZ

Bibliographie

Sources :

Littéraires :

Le Journal dun Bourgeois de Paris (1405-1449), clerc du chapitre de Notre-Dame de Paris, Bourguignon

LHistoire de Charles VII, Thomas Basin (1471-1472)

Chronique de Georges Chastellain, chroniqueur officiel de Philippe le Bon (1419- 1471)

Iconographique :

Portrait de Charles VII par Jean Fouquet (1445), Musée du Louvre

Ouvrages biographiques :

Charles VII, de Georges Minois, ed Perrin, Paris, 2005

La fin du Moyen Age, TII de Album Historique, Ernest Lavisse, Ed Colin et CIE, Paris, 1897


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

1 commentaires sur « Charles VII, le roi oublié »

  1. Cet article reprend l’affirmation selon laquelle Charles VII n’a rien fait pour sauver Jeanne d’Arc, qui a été démentie par un certain nombre d’historiens puisque toutes les sources du XVe siècle – des deux factions – disent le contraire. L’article rejette également le rôle de Jeanne d’Arc dans les événements de 1429 malgré le fait que des sources des deux factions lui donnent du crédit.

    Répondre

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne