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Baby-boomers, la génération perdue

Dans les années 60, ceux qui avaient pourtant lourdement pâti des deux guerres mondiales de la première moitié du XXème siècle, avait malgré tout, quand la situation sociale devenait « turbulente », cette expression : « Ah ! Il nous faudrait une bonne guerre » !

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Dans les années 60, ceux qui avaient pourtant lourdement pâti des deux guerres mondiales de la première moitié du XXème siècle, avait malgré tout, quand la situation sociale devenait « turbulente », cette expression : « Ah ! Il nous faudrait une bonne guerre » !

Comme si les guerres pouvaient être la panacée permettant de résoudre les problèmes du monde ! Il suffit, pour s’en convaincre, de voir en 2022 les horreurs de la guerre menée en Ukraine par la Russie, les villes dévastées et rasées, et les crimes de guerre commis contre des civils exécutés sans raisons !

Et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, en apprenant que la population mondiale vient d’atteindre 8 milliards d’individus, se disent qu’il n’y a plus assez de guerres pour « réguler » cette évolution malthusienne, comme ce fut le cas durant des siècles, des guerres de conquête comme celles des Mongols qui ont fait au cours des XIIIè et XIVè siècle de l’ordre de 60 millions de morts ! Ou alors des épidémies, comme la peste noire (entre 75 et 200 millions de morts) au XIVè siècle ou comme la grippe espagnole en 1918 (entre 40 et 60 millions de morts).

Le poids des guerres et des révolutions

La Révolution Française dont tout le monde sait qu’elle a donné naissance à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en 1789, aura eu un autre impact et non des moindres : la population aura baissé de 500.000 habitants, en un an seulement, entre 1789 et 1790 et augmenté de seulement 3.000 personnes entre 1790 et 1795. En comparaison, après la chute de Napoléon 1er, la population française était passée de près de 29 millions à 30 millions d’habitants.

Trop de morts !

Depuis la fin des guerres Napoléoniennes (qui aura globalement coûté à l’Europe entre 4 et 6 millions de morts), notre continent n’a pas manqué de conflits et la population, notamment rurale, a payé un lourd tribut à la guerre et à la soif de pouvoir. Sans évoquer la guerre de 1870, heureusement de courte durée (à peine plus de six mois) qui a provoqué la mort d’environ 200.000 Français et Allemands, on peut en retenir au moins deux, particulièrement marquantes, 1914-1918 avec ses 18 millions de morts et 1939-1945 avec un total de 70 millions de morts, civils et militaires.

Au-delà de cette litanie de chiffres, ce qu’il faut retenir, c’est que tous nos morts étaient des jeunes gens pour la plupart âgés d’une vingtaine d’années, ce qui a eu au moins deux conséquences majeures, d’une part de faire disparaître une classe d’âge entière, et d’autre part de les mettre dans l’incapacité évidente de créer des familles et d’enfanter des générations nouvelles.

À chaque fois, la disparition de toute une génération a eu pour effet de considérablement déséquilibrer la pyramide des âges de la population, le tout étant renforcé par l’absence de naissance et donc de descendance dont l’effet multiplicateur sera ressenti dans toutes les générations suivantes.

Fatalement, du fait de la diminution du nombre de personnes en âge de travailler, l’activité économique s’en est largement ressenti, même s’il faut modérer ce raisonnement avec l’arrivée sur le marché du travail de celles qui étaient souvent jusque-là confinées dans leurs cuisines et leurs buanderies, les femmes, qui ont trouvé là aussi, un moyen d’émancipation espéré depuis des décennies.

Il faut, en effet, rappeler que ce sont elles qui, durant les années de conflits mondiaux, ont assuré l’essentiel des tâches auparavant dévolues aux hommes quand ces derniers étaient au front, emprisonnés ou hospitalisés, et surtout disparus. Elles ont pris le chemin des champs pour gérer les labours et les moissons. Elles ont pris place dans les chaines des usines, notamment d’armement, et ce sans abandonner leurs charges maternelles traditionnelles.

C’est aussi pour pallier l’absence temporaire ou définitive des hommes dans l’outil de production qu’ont commencé à rejoindre la France, par vagues, des travailleurs issus de l’immigration.

Trop de destructions !

Les jeunes générations ont du mal à prendre conscience de ce à quoi ressemblaient les villages français situés sur la ligne de front de la 1ère guerre mondiale. Ceux qui ont fait le voyage ont vu ces communes qui n’existent plus. Plus de cent ans après l’armistice, la France en porte encore les stigmates autour de Verdun qui furent au cœur d’une des batailles les plus sanglantes. Six villages totalement détruits n’ont jamais été reconstruits mais sont malgré tout administrés par des maires. On dit d’eux qu’il s’agit de villages fantômes.

Les images des villes Belges, Françaises ou Allemandes détruites par les bombardements de la seconde guerre mondiale restent présentes dans bien des mémoires et, en tous cas, se retrouvent dans toutes les archives, mais qui pourrait imaginer aujourd’hui l’état dans lequel elles se trouvaient en 1945 ! Des pans de mur émergeants çà et là de montagnes de gravats ! Et que dire des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki qui furent englouties par le feu nucléaire. Partout, les besoins en reconstruction étaient gigantesques, tant pour rebâtir l’habitat que pour remonter les usines et relancer la production industrielle du pays.

L’exacte description de ce que l’on voit en ce moment en Ukraine quand les troupes russes se retirent !

Un programme de reconstruction

La voie royale des baby-boomers

Durant tout le XIXème siècle et jusqu’en 1945, la France n’a connu qu’une très lente progression démographique due à son taux de natalité très faible, le plus bas d’Europe à cette époque, alors que le reste du continent connaissait un véritable essor démographique. Durant cette période, la population de la France n’a été multipliée que par 1,6 (passant d’environ 24,5 millions d’habitants à un chiffre d’environ 40 millions d’habitants juste après la seconde guerre mondiale).

À partir de la fin des années 40 et pendant les deux décennies suivantes, la France a connu ce que l’on a appelé le « baby-boom », période que connaîtront aussi la plupart des pays occidentaux. En ce début du XXIème siècle, les baby-boomers qui partent massivement à la retraite créent un nouvel effet socio-économique d’envergure : le « papy-boom ». Ces français, qui, pour la plupart, ont atteint voire dépassé les 70 ans, sont relativement nombreux à conserver leurs emplois.

En tout état de cause, durant ces 30 années que l’on a appelé les 30 glorieuses, la France connu une situation de plein emploi avec des taux de chômage minimes, des offres d’emploi pléthoriques que l’on avait du mal à satisfaire.

Beaucoup était à faire, reconstruire le pays et ses infrastructures de production. De facto, le niveau de vie a progressivement et considérablement augmenté pour les Français en âge de travailler. Tout a suivi dans ce mouvement, les formations et les qualifications, les découvertes et les évolutions technologiques, la création ou l’invention de nouveaux besoins et de nouveaux métiers. Le fonctionnement de la société a été modifié, et les besoins ont été tels que, très rapidement, il a fallu trouver des ressources humaines qui n’existaient plus, notamment dans le bâtiment, mais aussi dans les mines, la sidérurgie et l’industrie comme l’automobile.

C’est ce qui a conduit la France à faire appel à une main d’œuvre étrangère, tout particulièrement issue des pays africains francophones et surtout du Maghreb, originaire de contrées qui, après avoir été, depuis le XIXème siècle, des colonies, ont pris progressivement leur indépendance, Maroc, Algérie et Tunisie. Dans une moindre mesure, est venue se greffer ensuite une immigration de travail Portugaise qui s’est très vite et très bien intégrée, sans pour autant jamais rejeter ni oublier ses racines.

Ces travailleurs ont été, dans la plupart des cas, affectés dans des métiers peu valorisés, avant tout, au début, du fait de leurs qualifications insuffisantes et de leur absence de formation. Toute une classe d’ouvriers non spécialisées s’est ainsi créée, les cités ouvrières se sont constituées et ont rassemblé les travailleurs par affinités, origines ou religions. Cette situation, avec l’implantation définitive de ces familles devenues françaises, a eu pour effet de freiner, voire d’empêcher l’intégration d’un grand nombre d’immigrés et de leur descendance dans le tissu national. L’exception n’est pas la règle, mais elle est sans doute la raison principale des débats sur les « risques » liés à l’immigration qui ont cours aujourd’hui.

À la fin des « Trente glorieuses », la reconstruction du pays était en grande partie achevée et, petit à petit, les courbes se sont inversées, la demande de travail surpassant l’offre. Le nombre de travailleurs arrivant sur le marché sans trouver un emploi à leur mesure a fait évoluer le taux de chômage vers des altitudes inattendues et désespérantes. En toute logique, ce sont, avant tout, les emplois non qualifiés qui ont contribué à grossir le nombre de CDD et le nombre de chômeurs de longue durée. Il suffit, pour s’en persuader, de se rendre le matin aux portes d’entreprises telles que « les plateformes du bâtiment » pour constater les files d’attente et d’observer comment, tels des esclavagistes, des recruteurs viennent « ramasser » quelques candidats au travail, métier par métier, pour des missions parfois d’une journée seulement.

Et pourtant, la France ne parvient pas à réduire le nombre de ses chômeurs, et cela démontre bien que cette question ne peut pas s’expliquer uniquement par les excès de l’immigration, légale ou non, ou par le manque de contrôle des autorités qui sont régulièrement accusées de faciliter l’accueil des étrangers sur le sol français.

Des lendemains qui déchantent

Si l’on tient compte du fait que ces personnes sont pour la plupart chargées de famille, il faut savoir que le nombre de Français se situant sous le seuil de pauvreté en 2022 est estimé à près de 12 millions, soit 18,46% de la population française.

Plus de 2 millions d’offres d’emploi restent pourtant à pourvoir. Parallèlement, les médias, comme les pouvoirs publics, affirment qu’il est nécessaire de favoriser une certaine immigration, afin de répondre aux offres d’emploi qui ne trouvent pas preneurs.

De tels chiffres ont de quoi interroger ! Car les offres d’emplois non pourvues ne concernent pas forcément des tâches rudes, sales ou dégradantes que les Français répugneraient à assumer !

Et on entend dire en effet qu’un certain nombre de secteurs touchés par la pénurie de main-d’œuvre sont des secteurs plutôt intéressants et valorisants, comme, aussi surprenant que cela puisse paraître, le milieu médical, paramédical ou hospitalier, les services de l’aide à la personne ou encore les métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Il suffit de se déplacer soi-même dans les commerces de quartier pour entendre les commerçants de bouche se plaindre qu’ils rencontrent de grandes difficultés pour recruter les apprentis, tout comme dans les métiers du bâtiment ou du monde agricole.

Après des années d’enthousiasme et de plein emploi, je le répète, il y a vraiment des raisons de s’interroger sur les raisons d’une telle situation. Où se situent donc les carences, dans le manque de motivation ? L’inadéquation des formations, l’évolution des mentalités ou celle des consciences ou tout simplement le système qui favorise la paresse, voire la fraude sociale, notamment le travail au noir ?

L’évolution des mentalités

La crise des énergies

Dès les années 70, notamment avec les premières crises de l’énergie, les démocraties occidentales ont commencé à comprendre qu’elles allaient devoir changer leur mode de vie. Elles ont été frappées par plusieurs épisodes d’inflation, le chômage est revenu porteur d’inquiétudes pour l’avenir et le niveau de vie médian s’est mis à chuter. La vie est donc devenue de plus en plus difficile pour les classes moyennes et pour les plus fragiles. Après des pics dépassant parfois 13 % dans les années 90, le taux de chômage s’est stabilisé dans la deuxième décennie du XXIème siècle à environ 8 % de la population, sans que l’on sache d’ailleurs s’il s’agit d’un chiffre réel. Mais cette tendance qui semble stable est loin de pouvoir satisfaire une démocratie fondée sur l’égalité des chances ! Pour ceux qui ont connu les périodes de plein-emploi des années 60, relativement insouciantes, la situation économique et sociale actuelle est à la fois fragile et inquiétante. Rappelons qu’en 2022, la population française est désormais d’environ 70 millions d’habitants et qu’environ 2.500.000 personnes sont sans emploi, selon ce qui nous est rapporté « officiellement », mais on est sans doute en-dessous de la « vérité » !

Il y a aussi d’autres raisons qui font que les emplois proposés ne trouvent pas preneur. Parmi celles-ci, il y a, bien-sûr, le vieillissement de la population, mais ce n’est sans doute pas la principale, car la France n’est pas le pays le plus vieillissant du monde occidental. Dans les pays développés, le vieillissement de la population repose sur deux composantes, les conséquences de l’arrivée à la « retraite » des générations du baby-boom et l’allongement de leur vie, d’une part, et, d’autre part, les effectifs de population plus jeunes. En 2050, la part des « plus de 65 ans » sera en France de 28 %, mais autour de 36 % dans les pays du Sud de l’Europe, et de 38 % au Japon et en Corée du Sud.

L’ennui et le droit à la paresse

Lorsqu’on échange avec les uns et les autres, les voisins, les collègues, les amis, la famille, on sent bien qu’il y a quelque chose de « cassé » dans les esprits. Le constat est clair, une grande partie des « gens » s’ennuient, et d’ailleurs, on voit bien comment ils s’étourdissent dans les amusements, les fêtes et les jeux, et surtout dans le monde virtuel. Ils agissent comme s’ils n’avaient plus d’objectifs personnels. C’est intrigant et inquiétant à la fois. Traduit en discours politique, cet excès de loisirs devient un droit, le droit à la paresse !

Il est parfois surprenant d’entendre s’exprimer certains élus de notre pays. J’avais apprécié de voir rappeler, par M. Fabien Roussel, Secrétaire général du parti communiste français, l’importance de la valeur « travail », laquelle, pour moi, n’est ni de droite ni de gauche. Je suis sidéré, ces derniers jours, d’entendre la députée écologiste Sandrine Rousseau affirmer que la « valeur travail […] est quand même une valeur de droite » ! En confirmant son propos, d’ailleurs par ces mots : « La société écologique, c’est une société de ralentissement, c’est une société où on prend du temps, c’est une société où on a le droit de changer d’avis, où on ne s’enferme pas toute la vie dans des carrières qui abîment le corps et qui fait qu’on arrive à 60 ans en étant déjà malade ». Et d’affirmer : « On a un droit à la paresse […].

Je ne nie pas que l’on ait droit à obtenir une transition entre métiers, que l’on puisse faire des pauses dans sa vie. Tout le monde a le droit, comme cette élue, de dire « qu’il nous faut retrouver du temps, le sens du partage et la semaine de 4 jours ». Mais, il me semble assez hasardeux d’évoquer le droit à la paresse. Je ne nie pas non plus qu’il faille tenir compte de la pénibilité des emplois pour la prise en compte des droits à retraite. Mais il ne faudrait pas oublier deux choses. La première, c’est que c’est le travail qui légitime le fait de recevoir un salaire ou une pension de retraite, ou une indemnité de chômage dans des conditions d’application strictes, et que ce n’est pas le fait d’être citoyen de ce pays qui légitime l’octroi indiscutable de se voir verser une indemnité pour vivre.

La seconde chose à ne pas oublier, c’est que, dans une société où la paresse permettrait à tout un chacun de travailler comme bon lui semblerait, il faudrait s’intéresser de près et avec une volonté politique forte, aux moyens financiers à mobiliser pour assurer à chaque citoyen un niveau de vie décent.

Dans une société où la liberté de ne rien faire est élevée en principe fondamental, et où le coût de la vie quotidienne prend des proportions quasiment inacceptables, énergies, alimentation, déplacements ou immobilier, il est nécessaire de s’interroger sur les moyens d’existence dont disposeront tous ces nouveaux citoyens. Travailler moins longtemps, travailler moins souvent et prendre des temps de pause personnels tout en espérant des revenus décents, cela pose des questions quasiment insolubles. En effet, comment assurer les multiples charges des familles et, tout particulièrement, comment donner aux enfants les meilleures chances qui soient de pouvoir suivre un parcours de formation, scolaire, universitaire ou professionnel, cohérent ?

Quand ce sera le désir des salariés, la pratique irrégulière du temps de travail n’incitera pas les employeurs à les conserver dans leurs emplois (commentaire : en France, on a au contraire je pense un problème avec l’emploi des séniors qui très vite sont éjectés du marché du travail). L’idée d’un CDI « à éclipses » ne paraît pas, à l’heure actuelle, facile à faire passer dans les mentalités du monde du travail, ou à mettre en place dans une entreprise « classique ». Certes, on a des exemples en ce sens dans des startups du monde des médias ou de l’informatique, mais ce sont des cas souvent très particuliers. Et comment pourra évoluer la rémunération des intéressés pendant ces moments de « paresse » ? Des questions du même ordre se poseront, d’ailleurs, quant aux droits à la retraite. Actuellement, selon les années de naissance, il faut avoir cotisé entre 165 et 172 trimestres pleins pour espérer une retraite sans décote. Et on sait que le chômage actuel dans certaines classes d’âge, comme les « plus de 50 ans » rend parfois difficile pour certains d’entre eux de poursuivre leur activité professionnelle et, de fait, d’engranger de nouveaux trimestres dans leur compte « retraite ».

En somme, il y a de grands risques que ces nouvelles générations de salariés optant pour le droit à la paresse n’aient à court terme, ni les moyens de vivre correctement pendant leur vie active, ni les moyens de survivre une fois arrivés à l’âge de la retraite. La question sera alors de savoir qui devra assumer ces charges ? Nous savons que le montant de nos retraites repose sur les cotisations, acquises en validant des trimestres et des points, ou sur l’épargne personnelle, en fonction de l’activité professionnelle. En théorie, s’il n’y a pas d’activité, il n’y a pas de cotisations et donc pas de retraite. En toucher une, implique donc d’avoir accumulé un certain nombre de trimestres. Mais on sait aussi que, dans certains cas, il est possible d’obtenir des droits à la retraite sans travailler, spécialité française qui prône dans les valeurs de sa République la notion de fraternité. Mais les Français sont de plus en plus réticents à contribuer par le fruit de leur travail au soutien financier de ceux, français ou étrangers, qui ne participent pas à la création de valeur.

En théorie, il n’est donc pas possible de toucher une retraite sans avoir travaillé. Mais en réalité, il existe un certain nombre d’exceptions par exemple pour les femmes au foyer, les aidants familiaux, les chômeurs ou ceux qui ont effectué un service militaire. À titre indicatif, une personne qui s’inscrit à Pôle emploi sans avoir jamais effectué la moindre activité professionnelle a droit à 6 trimestres de cotisation à la retraite, même sans percevoir d’allocations chômage, ce qui est manifestement peu et en tous cas qui ne permet pas de vivre autrement que dans la misère.

On entend souvent dire que tout citoyen doit pouvoir bénéficier d’un minimum vital, et nombreux sont les citoyens qui critiquent les excès de l’État providence qui aurait pour effet d’attirer sur notre territoire des étrangers qui ne travaillent pas et ne s’intègrent pas. Mais en dehors de ces cas réels mais assez extrêmes, on a de nombreux exemples bien réels (agriculteurs par exemple ou conjointe d’un retraité décédé) de personnes ayant travaillé toute une vie (et même plus) qui ne disposent que de très faibles revenus. Si les situations de précarité se multiplient, il semble difficile de s’engager à mettre à la charge de la collectivité l’obligation de subvenir de façon identique aux besoins de ceux qui travaillent comme de ceux qui vivent à leur « rythme ».

Notre pays a cette particularité d’accueil et de résilience que l’on ne trouve nulle part ailleurs. On sait notamment que ce n’est pas le cas dans des pays comme les USA. La pauvreté aux États-Unis concerne officiellement 11,1 % de la population. Poursuivre dans cet état d’esprit avec le monde nouveau ne sera, en l’état actuel et de l’organisation sociale française, ni possible, ni souhaitable et encore moins accepté. Nombreux sont ceux qui estiment aujourd’hui que chacun doit demeurer responsable du mode de vie qu’il choisit.

Mais, bien-sûr, il est impensable de faire table rase de tous les acquis sociaux et du système de protection sociale qui caractérisent la France en ce qu’elle défend la vie des citoyens frappés par les aléas de la vie et la misère ! Si la société évolue et qu’elle se transforme au point de ne plus pouvoir donner du travail à tous, et si une partie des citoyens entend gérer sa vie personnelle à son rythme, il va être nécessaire de réfléchir à des lendemains différents. La réforme des retraites que prépare le gouvernement risque d’être plus dirigiste que ne l’est le système actuel et devrait favoriser un double mode de calcul par « capitalisation » et par « répartition » avec une nette préférence de l’exécutif en faveur du premier. En d’autres termes, les gagnants seront d’abord les plus riches, qui auront intelligemment placé leur épargne tout au long de leurs années d’activité.

Des solutions pour se sortir de cette situation

De nouveaux métiers et des formations adaptées

On ne peut pas redresser notre pays en laissant se développer une société partagée, voire divisée entre ceux qui ont un emploi et donc une identité citoyenne, et ceux qui n’en ont pas et sont donc marginalisés en tant qu’individus de seconde zone, en tant que citoyens assistés.

Face à un monde destructeur d’emplois, plusieurs solutions peuvent être envisagées. La première donne toute sa place à l’imagination positive. Le monde de demain va créer de nouveaux métiers et donc nombre d’emplois et la question prioritaire sera d’anticiper suffisamment les évolutions des professions pour prévoir les formations qui s’imposent. Et pour ce qui concerne le rôle de l’État, il faut cesser de porter de nouvelles réformes dont les résultats ont, depuis vingt ans, voire plus, été calamiteux et ont emmené nos enfants vers des niveaux d’inculture progressivement inférieurs. La formation scolaire ne doit pas être spécialisée ! Enfermer les étudiants dans un cursus sclérosant et hyper spécialisé est une erreur !

Il faut, tout au contraire, faire porter les efforts sur des formations générales basées sur des méthodologies éprouvées et fonder les enseignements sur des pédagogies globales préparant les jeunes générations à la réflexion, à l’analyse et à l’esprit critique, ce qui leur donnera les moyens de tout aborder, de tout comprendre et de tout solutionner.

Par ailleurs, pour tous ceux qui nombreux sont en quête de sens et ne retrouvent dans la valeur travail que sa composante d’exploitation quasi marxiste, il faut à tout prix remettre de la noblesse dans le travail manuel. La capacité d’un artisan à exceller dans son domaine, à sans cesse pouvoir s’améliorer, à pouvoir se mettre à son compte parce que précisément il sera toujours le maitre de la création de valeur et du produit qu’il façonne, est une vraie liberté et un accomplissement qui ne souffrent d’aucun interdit : d’ailleurs, désormais, même de nombreux cadres en quête justement de sens changent de vie pour devenir boulanger, plombier, ou ébéniste.

L’économie verte ?

La lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète sont les thèmes centraux des politiques indispensables. Ce sont aussi les secteurs, avec les recherches sur les énergies renouvelables, qui sont à la fois porteur d’espoirs pour l’humanité et d’emplois pour les citoyens. Appelons cela « économie verte » pour décrire l’ensemble des activités économiques générées directement ou indirectement par la production de biens et de services qui contribuent à éviter, réduire ou supprimer des nuisances faites à l’environnement. L’économie verte contribuera de toute évidence au développement durable dont elle est la mise en œuvre concrète dans l’activité économique mondialisée. Elle sera également, il n’y a pas à en douter, l’un des facteurs principaux de l’équité sociale (accès de tous, baisse des prix, confort).

Voilà ce qu’en dit le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en définissant un concept suffisamment large et souple pour englober les nombreuses approches nationales et locales :

« L’économie verte est une économie qui engendre une amélioration du bien-être humain et de la justice sociale, tout en réduisant sensiblement les risques environnementaux et les pénuries écologiques. […] »

Un salaire citoyen ?

À défaut de procurer un emploi à chacun, qu’il soit à la carte comme le voudraient certains, ou contraignant comme cela a toujours été, il faudra tenir compte de l’évolution possible mais aussi souhaitable de la société vers une organisation nouvelle. L’histoire montre que, progressivement, et sauf cas particuliers, le travail prend de moins en moins de place dans la vie quotidienne, du fait de l’accès à la culture, aux activités sportives et aux loisirs, et que son exécution prend de nouvelles formes, notamment depuis la pandémie du COVID 19 et le recours, désormais important, au télétravail.

On pourrait donc inventer, outre de nouvelles formes de travail et de nouveaux métiers, des modalités nouvelles de rémunération. Mais si « tout travail mérite salaire », le contraire aussi est vrai, « tout salaire mérite travail ». On ne peut donc pas se satisfaire d’une société où les citoyens ne vivraient que de subsides, d’aides ou d’indemnités. Il sera donc nécessaire de définir une façon réellement novatrice de calcul et de versement d’un « salaire citoyen », et ce en contrepartie d’actions civiles positives et tangibles ! On est rémunéré, pour peu que l’on participe à la création de valeur par un engagement a minima pour la collectivité !

On ne doit pas abandonner l’idée de la valeur « travail ». Même si Karl Marx dénonçait (au XIXème siècle, n’oublions pas !) l’exploitation des salariés et les plus-values accaparées par les entrepreneurs capitalistes sur le travail de leurs salariés, les choses ont beaucoup évolué. Aujourd’hui, le travail, dans le respect des droits individuels, est le fondement de la liberté de chacun et de son identité. Sans travail, sans rôle social, un individu ne représente rien !

Et il faut lutter contre les messages complotistes actuels qui veulent à tout prix nier l’utilité fondamentale du travail et qui ne cherchent qu’à désinformer les jeunes générations. Ils glorifient auprès d’eux les mondes factices des métavers et leurs cohortes de personnages maquillés et masqués derrière des alias, tout en vantant de pseudo-réussites financières sans travail, sans études et sans valeurs héritées du passé.

À force d’élever la « procrastination » au rang de valeur philosophique fondamentale, de ne rien trouver d’important dans l’action immédiate et de tout renvoyer à des lendemains qui, peut-être, brilleront d’un éclat merveilleux, à force de ne plus vanter les valeurs du travail et de sa contrepartie nécessaire en soutenant qu’il s’agit de la clef vitale d’une société (« je donne et donc je reçois »), nous nous préparons et nous nous installons dans une société égoïste et individualiste.

C’est un comble que d’associer l’idée de la société qui regroupe à l’idée de l’individualisme qui sépare. C’est dans l’association des énergies individuelles que se fondent et s’enrichissent les démocraties, et ce, par aucune autre recette secrète que le travail. « Le travail crée la richesse, l’inverse n’est pas assuré »

Et je m’interroge douloureusement sur nos avenirs ? Que deviendra notre monde quand ses moteurs seront la désillusion, la procrastination et la paresse, que les seules réactions seront mobilisées par le complotisme et que les valeurs ancestrales de notre culture seront remplacées par la bouillie sans goût ni saveur des textos, des tweets, des pubs ou des posts qui font la fortune des réseaux sociaux ?

En conclusion, je reprendrai une citation qui me semble particulièrement adaptée et qui résume la situation que nous vivons :

« C’est le propre du travail que d’abréger le temps, les jours ont des ailes de plomb pour l’homme oisif, et ils s’envolent avec la rapidité de l’aigle pour celui qui travaille »

Bernard Chaussegros


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