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Après le coronavirus

Entreprendre - Après le coronavirus

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Par Catherine Muller

Tribune. A travers les « gestes barrière » et la « distanciation physique », la pandémie de la Covid 19 est en train de modifier en profondeur notre modèle social, qui reposait depuis les années soixante sur un idéal de convivialité : multiplier les échanges entre les êtres humains, et les rendre de plus en plus proches les uns des autres. Et ce n’est pas la première fois, dans l’histoire des hommes, qu’un virus va bouleverser leur façon de vivre.

« Soleil, air, lumière »

Au début du XXème siècle, c’est une autre pandémie qui a transformé, non les modèle sociétaux, mais les modèles architecturaux, en révolutionnant la conception de l’habitat. A cette époque, la tuberculose, surnommée la « grande faucheuse », est parmi les principales causes de mortalité en Europe et en Amérique. Déjà citée dans la Bible, cette maladie était, même dans l’Antiquité, connue comme contagieuse et se transmettant par des « germes invisibles », présents dans l’air, surtout s’il est vicié ; mais il faudra quand même attendre 1943 pour disposer d’un médicament qui en permettra la guérison complète.

Avant cette date, il n’y a pas encore de vrai remède à la tuberculose, et le seul traitement qu’on lui connaisse, c’est alors l’exposition à l’air pur, au soleil et à la lumière. Cette trilogie « soleil, lumière, air » va inspirer des architectes comme Le Corbusier, et s’exprimer dans le mouvement de « l’architecture moderne », appliquant à la construction et à l’aménagement des habitations ces tous nouveaux principes de prophylaxie ; les maisons vont alors se voir dotées de murs d’une blancheur éclatante, de grandes baies vitrées et de toits-terrasses permettant d’y bronzer. Rien de plus rassurant, dans ces années-là, qu’un teint hâlé qui donne la preuve visuelle qu’on n’est pas atteint par la tuberculose !

« Tester, alerter, protéger »


Ainsi, si le traitement de la tuberculose fut environnemental, le traitement de la Covid-19, lui, sera sociétal, la circulation du virus étant directement liée à la fréquence des contacts entre les êtres humains. Il faut donc et les limiter, et les sécuriser, par ces nouvelles directives universelles dont on attend des prodiges, les « gestes barrières » et la « distanciation physique », exprimées en « tester, alerter, protéger ». Et, de même que la trilogie « air lumière soleil » appartient maintenant aux fondamentaux de notre style de vie, on peut imaginer que la formule « tester alerter protéger » va s’inscrire et pour longtemps dans notre culture. Et c’est bien ce que veut dire Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, quand il prévient : «le vaccin seul ne mettra pas fin à la pandémie, il va compléter les autres outils que nous avons, pas les remplacer. Les gestes barrière, le traçage des cas contacts et les isolements en quarantaine devront être maintenus pendant un certain temps. Nous avons encore un long chemin à parcourir ». Propos qui sont aussi ceux de Jean Castex, « il va falloir », confirme-t-il, « vivre avec le virus sur le temps long », et, en effet, il est exceptionnel qu’un virus disparaisse définitivement de la surface de la terre, une fois qu’il y a sévi. Un seul, jusqu’à présent, est considéré comme officiellement éradiqué ; c’est celui de la variole, déclaré comme tel par l’OMS en 1980, alors qu’on en a déjà des traces sur des momies égyptiennes datant de plus de 3000 ans !

Inventer la « vigilance bienveillante »


La grande leçon de cette crise sanitaire, c’est que le danger est partout présent, et que, malgré nos formidables avancées technologiques, et où qu’on soit, on ne sera pas vraiment en sécurité,. Au-delà d’une adaptation dans l’urgence qui a impulsé et généralisé le télétravail, les mesures concrètes comme le lavage systématique des mains resteront probablement comme des acquis des « bonnes manières modernes », et joueront le même rôle que la « bonne mine » au temps de la tuberculose : il s’agit de rassurer les autres en envoyant le message qu’on surveille sa santé et qu’on a à cœur de ne pas être contaminant.

Qu’adviendra-t-il, une fois la pandémie passée, de ces « gestes barrière » devenus des automatismes ? Ce que nous apprend l’Histoire à ce sujet, c’est que reste, à terme, ce qui est de l’ordre du principe de précaution ; ainsi, pour éviter la propagation de la tuberculose, une loi avait été votée en 1942 qui interdisait de cracher dans la rue ; cette loi est toujours en vigueur, et a même été réactualisée lors du déconfinement de ce printemps. On peut en déduire que, une fois le coronavirus jugulé, il en restera, inscrite dans nos mœurs, une certaine prudence, une certaine réserve, dans la façon de s’approcher de l’autre. Pas sûr que la « Journée Internationale des Câlins » soit reprogrammée dans les années ! On peut donc s’attendre à une mutation de nos relations sociales, et que cette évolution soit positive est le pari à faire. Pour cela, il nous faudra changer notre façon de penser ; plutôt que de « faire attention », qui se traduit par un geste d’éloignement ou d’arrêt sur place, nous devrons « être attentif », une attitude empathique et compassionnelle, qui définit la bienveillance même. Les entreprises ont d’ores et déjà innové dans ce domaine, en ouvrant, malgré le confinement, et grâce au Web, des espaces de convivialité à leurs salariés. Ces « salons virtuels », très appréciés de ceux qui les fréquentent, vont rester comme emblématiques de la période Covid-19.

Une autre pièce emblématique a compté dans la civilisation du XXe siècle, c’est le cabinet de Freud à Vienne. C’est là qu’il conçut un tout nouveau mode de relation entre le psy et son patient, qu’il qualifia de « neutralité bienveillante » : une attitude ouverte, dans la compréhension et sans jugement aucun, qui est la condition de l’exercice de la psychanalyse. Les deux termes de cette expression sont indissociables l’un de l’autre, parce que sans la bienveillance, la neutralité ne serait que de l’indifférence, et blesserait l’autre au lieu de l’aider. Les liens sociaux qui se créent en ce moment dans l’entreprise et dans la société sont aussi en train de prendre une nouvelle forme, celle de la « vigilance bienveillante » : on veille certes à ce que les mesures sanitaires soient respectées par tous, mais on essaye de le faire d’abord avec douceur et dans le calme. Là aussi, les deux termes de l’expression sont indissociables l’un de l’autre ; une vigilance qui ne serait pas bienveillante se ressentirait comme de la pure surveillance, et rencontrerait plus d’opposition que d’adhésion !

Catherine Muller
Docteur en psychologie
Member of the World Council of Psychotherapy
Member of the American Psychological Association


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