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Un Noël gâché par l’Azerbaïdjan et par la lâcheté des démocraties

Copyright des photos A. Bordier

Depuis le 12 décembre dernier l’Azerbaïdjan, qui fournit en gaz l’Europe, continue son opération de blocus des 120 000 Arméniens de l’Artsakh. Il faut déplorer l’anémie du reste du monde, à commencer par les grandes puissances.

Même la Russie de Vladimir Poutine ne peut plus rien faire. Quant à Joe Biden, son discours de Noël est un appel à l’unité, mais il ne fait rien pour les Artsakhiotes. Du côté de la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, elle est empêtrée avec son mari dans plusieurs scandales. Emmanuel Macron n’est plus aux abonnés absents. Reportage sur le Gasgate, dans la nouvelle poudrière du Caucase.

Depuis le 12 décembre, les choses ne se sont pas améliorées. Certes, Ilham Aliev, le dictateur autocrate de l’Azerbaïdjan, a donné l’ordre de rétablir le gaz aux populations arméniennes de la République d’Artsakh, du Haut-Karabakh. Il est étonnant cet Aliev. D’un côté, il réclame ces terres, comme un voleur réclamerait son butin indûment acquis, et de l’autre, il asphyxie, à feu-doux, les habitants qui feraient partie de sa république. Mais cela fait un siècle qu’ils n’en veulent pas. D’ailleurs, qui en voudrait ?

Le grand anthropologue Lévy-Strauss (1908-2009) nous manque. Il se serait, certainement, levé, indigné. Il aurait tempêté, repris la navigation, l’avion, le train, la voiture, la marche à pied pour se rendre, avec d’autres, les vrais héros de la dignité civilisationnelle, dans ce petit couloir, le corridor de Latchine. Il est fermé par une bande de soi-disant écologistes, à la solde d’Aliev, qui fait souffrir 120 000 Arméniens, dont 30 000 enfants et 10 000 vieillards.

Avec Stéphane Hessel, le pape Jean-Paul II, Dmitri Mouratov, Barack Obama, Gandhi, Mère Teresa et René Cassin, ils auraient tous marché comme une seule femme vers ce corridor pour rompre ce blocus, cet embargo, cette route de la vie, ce cordon ombilical, qui assure la circulation de la vie aux habitants du Haut-Karabakh. Et, Martin Luther King, et Nelson Mandela qu’auraient-ils fait ?

Mesdames et Messieurs les Prix Nobel de la Paix, les Présidents de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (pour feu René Cassin), la démocratie, l’avenir de la civilisation est en danger. Elle est en mode survie, ici dans le surplis des plaques tectoniques eurasienne et arabique.

Paraphrasons un instant Lévy-Strauss : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. »

Le problème de cette monoculture : elle est barbare et mortifère. A tel point qu’aujourd’hui, au regard de la situation dans le Haut-Karabakh, ce plat est devenu une soupe de serpents.

D’une barbarie à l’autre

Il n’est pas étonnant, finalement, que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen ne dresse pas le drapeau blanc de la paix pour le Haut-Karabakh, ou, plutôt, ne sorte pas un carton rouge contre l’Azerbaïdjan. C’est le syndrome de Stockholm. En s’attirant la sympathie d’un tel agresseur, Ilham Aliev, et en signant avec lui le contrat du gaz, le 18 juillet dernier, en le consolidant avec les derniers accords de ce mois-ci, elle lui donne carte blanche pour opérer ses opérations barbares : le blocus des 120 000 Arméniens dans le Haut-Karabakh, les bombardements de l’est de l’Arménie, les emprisonnements illégaux des soldats arméniens depuis la guerre de 44 jours (du 27 septembre au 10 novembre 2020), les tortures, etc. Derrière-lui, derrière Aliev – il ne se cache pas vraiment – se dresse la tête de Recep Tayyip Erdogan, qui a déclaré ce 23 décembre : « Les pratiques de la Grèce envers les migrants s’apparente clairement à la barbarie ». Celui qui reste dans le déni du génocide des Arméniens perpétré par l’Empire ottoman parle de barbarie. Il est dans le déni de…lui-même. Apprécions le cynisme de cette déclaration qui plonge les plus historiens d’entre-nous dans l’effroi. Son « frère » Aliev, fort de ses tactiques d’étouffement et de sa production de gaz qui coule à flot, vise la reprise totale des 100% du Haut-Karabakh, et l’amputation du sud de l’Arménie pour établir l’accès directe à la Turquie. Erdogan, lui, a en ligne de mire la prise totale de Chypre et de quelques autres îles stratégiques grecques. Les Européens pendant ce temps-là ? Ils financent le flux des réfugiés pour qu’ils restent sur le sol turc, et ils chauffent au gaz leurs populations. Avant, (toujours en fait), il y avait : du pain et des jeux, maintenant, il y a : du pain, des jeux et du gaz. Et, surtout, pas de réfugiés. Tout le monde est gagnant ? Presque. Car, tous les ingrédients (telles les pièces d’un puzzle) d’un cocktail explosif qui mettrait le feu au Caucase entier, et se dirigerait ensuite en Europe, sont réunis. Il faut ajouter à cette barbarie en cours, la corruption et la lâcheté européenne. Celle des élites. Et, le tour de chauffe est complet.

D’une corruption à l’autre

Du côté de l’Union Européenne, la corruption tournerait à plein régime. Ceci expliquerait, sans doute, pourquoi l’Europe reste tétanisée et ne condamne pas la barbarie turco-azérie en cours. Les scandales, au plus haut niveau de l’Europe, se sont multipliés ces derniers temps. Zoomons sur certains.

Avant le Gasgate, il y aurait le Qatargate. Depuis son emprisonnement, le 9 décembre, le monde entier est sous le choc. Eva Kaili, la vice-présidente du Parlement européen est inculpée de corruption dans une affaire liée au Qatar. Ce pays l’aurait influencée contre billets sonnants et trébuchants. La beauté d’Eva ne fait pas tout. Elle devient laideur à ce niveau-là de corruption. Elle s’appelle Eva, comme jadis, Eve dans le jardin d’Eden. Parallèle grotesque. Mais pas tant que ça. Parce qu’il y a de la tromperie de haute-horlogerie.

Comme un arbre qui cache la forêt, il n’y a pas que cette affaire qui en cacherait d’autres. Même si Ursula von der Leyen a déclaré : « Ces allégations sont extrêmement préoccupantes. C’est une question de confiance dans les personnes au cœur de nos institutions. Cette confiance suppose des standards élevés d’indépendance et d’intégrité ». Cette déclaration apparaît-être un écran de fumée. Car, elle-même et son mari sont accusés de corruption, notamment, dans l’affaire de la pandémie du Covid-19.

Après le Qatargate et le Gasgate, le Covidgate…what else ?

Nous parlons du Covidgate. Cela fait beaucoup de gates, en moins de trois ans.

Il y a deux mois, en octobre, le parquet européen ouvrait une enquête sur l’achat des vaccins anti-covid dans l’Union Européenne. L’enjeu ? Les 4,5 milliards de doses pour les 450 millions d’Européens. Michèle Rivasi, députée européenne du groupe Europe-Ecologie-Les Verts, est très engagée sur ce dossier, qui serait, selon un autre député, Mislav Kolakusic, « la plus grande affaire de corruption de l’histoire ». Michèle Rivasi précise que cette affaire pèse son pesant d’euros, avec une enveloppe de « 71 milliards d’euros ». L’enveloppe de Pfizer serait de 35 milliards d’euros. Pas de quoi fouetter un chat. Mais si, justement. Et, plusieurs chats…

Michèle Rivasi est devenue une experte du dossier. Elle le suit comme l’huile sur le gaz. Elle parle des SMS que se seraient échangés Ursula von der Leyen et le patron de Pfizer, le laboratoire américain fournisseur des doses. Pire, son mari, Heiko, se serait enrichi indûment en créant des sociétés dans plusieurs pays de l’UE et aurait touché plusieurs millions d’euros de subventions de…l’Union Européenne. De là à parler de corruption… C’est en tout cas ce que dénonce Michèle Rivasi : le clientélisme. Bref, de la corruption sur les toits de l’Europe. Le mot est, aujourd’hui, dans toutes les bouches, sur toutes les lèvres. Mais pas sur celles d’Ursula et d’Heiko Echter von der Leyen. Ce-dernier est devenu un des dirigeants de la société de biotechnologie américaine Orgenesis, spécialisée dans les thérapies cellulaires et génique. La pandémie a permis l’éclosion de milliardaires, ou plutôt, en l’espèce, de millionnaires.

Pendant ce temps-là : l’Artsakh souffre de la barbarie d’un blocus

La nuit de Noël n’est plus que dans quelques heures, pour les occidentaux. Car en Arménie et en Artsakh, Noël sera fêté le 6 janvier 2023. Grâce au covid et au gaz, certains se seraient, donc, indûment enrichi. Dans le Caucase, depuis le 12 décembre, les Azéris maintiennent sous blocus 120 000 Arméniens, ceux du Haut-Karabakh. Ces 90 000 adultes et 30 000 enfants sont comme séquestrés, pris en otage. En bloquant une seule route, une poignée bloque tout un pays.

Les effets négatifs n’ont pas tardé : les livraisons alimentaires, pharmaceutiques, les livraisons de matériaux de reconstruction, les allers et retours des populations civiles sont bloqués. Des familles ne peuvent pas se réunir pour les fêtes de fin d’année. Les opérations chirurgicales sont suspendues. Le ministère de la Santé du Haut-Karabakh a indiqué que 11 enfants étaient sous soins intensifs à la clinique d’Arevik. Le bébé de 4 mois atteint de leishmaniose viscérale continue d’être dans un état grave. Ses jours seraient comptés.

Pendant les trois jours sans chauffage, la population qui reste très courageuse s’est demandé : « mais quand est-ce que cette barbarie finira-t-elle ? »

Après deux morts, parmi les adultes (un malade et un vieux monsieur), la question reste posée. D’autant plus que les magasins se vident, comme en attestent les nombreux messages reçus.

Depuis le début du blocus, plus de 1000 personnes ne peuvent plus rentrer chez eux. 350 ne reçoivent plus leur traitement médical. 5 000 tonnes de nourriture, de fournitures médicales et de matériaux, n’ont pas pu être livrées. Est-ce un blocus ou une condamnation à mort ?

Bonne nouvelle : il y a eu, au moins, un mariage ! La vie continue quoiqu’il en coûte (expression chère à Emmanuel Macron).

Du côté de l’Espagne, de la Belgique et de la France

L’Espagne a été la première à bouger et à dénoncer ce blocus illégal. Le 22 décembre, le Congrès espagnol prenait ses résolutions et demandait aux autorités azerbaïdjanaises de garantir la liberté et la sécurité des déplacements le long du corridor, conformément à la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020. Le Congrès a demandé aux différents acteurs internationaux (les Nations Unies, l’OSCE, le groupe de Minsk) d’éviter « une nouvelle crise humanitaire dans la région ».

Du côté de la Belgique, seule la société civile semble vouloir bouger. Le 19 décembre à Bruxelles, à l’initiative conjointe d’associations arméniennes, comme l’European Armenian Federation for Justice and Democracy (EAFJD), le Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA), l’Association des Arméniens Démocrates de Belgique (AADB), une manifestation était organisée. Leurs objectifs étaient de demander à Charles Michel, le président du Conseil de l’Europe, de faire pression sur l’Azerbaïdjan pour qu’il ouvre immédiatement et sans condition le couloir de Latchine. Ils ont demandé, également, de prendre des mesures efficaces pour assurer la sécurité de la population arménienne de l’Artsakh. Ils souhaitent que des mesures diplomatiques, économiques, et des sanctions individuelles, soient prises contre les biens des autorités azerbaïdjanaises. Ils demandent la reconnaissance officielle de la République d’Artsakh.

Lors de cette manifestation, qui a réuni plusieurs centaines de personnes, des personnalités publiques ont rejoint le cortège, comme les députés Karl Vanlouwe, Allessia Claes et André Du Bus.

Du côté de la France, d’Emmanuel Macron, du gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat ? Rien. Seul le CCAF et des associations franco-arméniennes ont manifesté et appelé, comme en Belgique, à l’ouverture du corridor et aux sanctions contre l’Azerbaïdjan. L’Assemblée nationale souhaitait des sanctions contre l’Azerbaïdjan, le 30 novembre. Et là, pour l’Artsakh ? C’est le silence presque complet, car dans les coulisses, les députés et les sénateurs s’activent. Mais, le temps est long. Il y a urgence.

Le monde pétrifié ?

Oui, le monde est comme pétrifié. Les regards apeurés et suppliants des enfants d’Artsakh se tournent inlassablement vers les grands décideurs-démocrates de ce monde. L’ONU, Joe Biden, la France, Emmanuel Macron et l’Europe vont-ils taper du poing sur la table et dire à Ilham Aliev : « Ça suffit, laissez-les vivre ! » Noël, cette année, sera une fête à moitié. Une fête gâchée.

Cela rappelle les années 30. A la seule différence, qu’on ne pourra pas dire : « On ne savait pas ».

« Si, vous saviez, et, non seulement vous n’avez rien fait, mais, avec votre inaction, les choses ont empiré. Et, vous en êtes devenus co-responsables. »

Une catastrophe de plus grande ampleur serait-elle en cours ?

Le génocide, les Arméniens, les Artsakhiotes y pensent de plus en plus. « Le génocide continue », selon le pasteur René Léonian, qui a vécu à partir des années 90, 17 ans en Arménie. Son rêve ? « Que l’Arménie et le Haut-Karabakh ne fassent plus qu’un. » Un rêve pieux ?

Pour l’heure, ces deux pays sont en grande souffrance. L’Azerbaïdjan a cessé, en partie, de bombarder l’est de l’Arménie, au moment où Aliev organisait le blocus. Après l’hiver, le printemps caucasien risque d’être rude. Dans l’agenda des barbares : l’invasion des 30% restants du Haut-Karabakh et l’invasion du sud de l’Arménie. L’ombre du génocide de 1915 se projette toujours sur ces terres. Cette ombre rouge-sang.

Si le monde des démocraties est, aujourd’hui, pétrifié, qui pourrait changer la situation ? Un de Gaulle ? Pour l’heure, le président de la République d’Artsakh Arayik Haroutiounian et son ministre d’Etat Ruben Vardanyan s’activent jour et nuit pour modifier la donne. Il y a un troisième homme, ou plutôt une troisième femme, dont on a peu parlé : la diaspora. Si elle se mobilisait auprès de tous les gouvernements, elle pourrait obtenir un effet de levier inédit : celui de mettre fin sine die au blocus, celui de reconnaître l’Artsakh, et celui de sanctionner l’Azerbaïdjan, durablement.

Qui pourrait changer la situation ? Un miracle, une naissance, un Enfant-Roi, dans une crèche, sous un ciel étoilé.

Cela bouge enfin à l’Elysée

Nous venons d’apprendre que dans l’après-midi du 23 décembre Emmanuel Macron s’était, enfin, entretenu avec Ilham Aliev. Voici un extrait de la communication du palais : « Le Président de la République s’est entretenu par téléphone avec le Président de la République d’Azerbaïdjan M. Ilham ALIEV, ce vendredi 23 décembre 2022. Le Président de la République a fait part de ses vives préoccupations face au regain de tension dans le sud Caucase. Il a appelé au respect de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 et à permettre la libre circulation le long du corridor de Latchine. Il a dit l’urgence de garantir l’accès sans entraves des organisations humanitaires et des agences des Nations unies aux populations affectées. Le Président ALIEV a dit son intention de veiller à la libre circulation dans le corridor… »

Ce matin, 24 décembre, des représentants de la Croix-Rouge ont pu transporter dans un état critique d’Artsakh vers l’Arménie un bébé de 4 mois atteint de leishmaniose viscérale. Mais le corridor s’est refermé après. Ilham Aliev joue avec le feu dans un nouveau rapport de force où la vie de 120 000 est en sursis. Une prise d’otage géante, sue de tous. Pour récupérer quoi ? Des mines qu’il veut de nouveau spolier.

A quelques heures du Réveillon l’asphyxie prendra-t-elle fin, définitivement ? Et, Ilham Aliev sera-t-il sanctionné pour ses crimes ? Le miracle de Noël se fait attendre.

Dernière bonne nouvelle pour finir : à Stepanakert, l’illumination du sapin de Noël a eu lieu dans la nuit du 23 décembre, devant une foule d’enfants ravis. Laissons-les vivre !

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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