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Un mois en Arménie, dans un pays en mode survie

Entreprendre - Un mois en Arménie, dans un pays en mode survie

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur du livre : Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Après un mois passé en Arménie, l’heure du retour a sonné. L’Arménie – son peuple qui remonte à Noé, l’un des plus vieux de notre civilisation – est sous la menace d’une guerre.

Bombardés quotidiennement par l’Azerbaïdjan, qui multiplie ses crimes de guerre, dans l’indifférence la plus complice, les Arméniens se terrent aux abords des frontières. Dans le reste du pays les raisons d’espérer sont nombreuses. Reportage, sans gilet pare-balles, du nord au sud, de l’ouest à l’est, avec la diaspora et des fondations de premier plan, comme la Fondation Arslanian, la Fondation Fast, et l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance.

Je suis parti en Arménie, le même jour officiel de la sortie de mon livre. Je suis attendu pour cela avec quelques interviews à donner et quelques reportages à faire pour le compte du Groupe Lafont-Presse.

L’Ambassadrice de France en Arménie, Anne Louyot m’écrit : « Toutes mes excuses pour mon retard, j’étais en déplacement et évidemment très requise par le contexte. Malheureusement je ne serai pas disponible lundi et mardi prochains, prise par la venue d’une délégation, j’en suis désolée. » Madame l’Ambassadrice a vu son agenda imploser avec la reprise des bombardements azéris le 13 septembre. Le 29 septembre, elle se trouvait dans la province de Gegharkunik, à l’est du pays, où se situe le magnifique lac Sevan, que convoite l’Azerbaïdjan. « De nombreuses maisons et des infrastructures civiles ont été détruites ou endommagées. La France continue à œuvrer pour le respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie », dit-elle alors.

La France, des villes comme celle de Valence, des maires, des députés, des sénateurs, se rendent, depuis, au chevet de l’Arménie, attaquée, blessée, martyrisée.

Le 20 septembre, à l’aéroport Zvartnots d’Erevan (qui a fêté ses 60 ans l’année dernière), l’ambiance est morose. Le 19, dans l’avion, Daniel Kurkdjian range ses bagages. Il est le Président du Conseil Français-Arméniens (le CFA), qui était présent le 15 septembre à Paris. Il y a un mois, lors de l’appel au rassemblement lancé par le Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France (le CCAF, l’équivalent du CRIF pour les Arméniens), sur l’esplanade des Invalides, Ara Toranian (le directeur des Nouvelles d’Arménie Magazine, NAM) et Mourad Papazian (le fondateur de MediaSchool), les co-présidents du CCAF, ont dressé le podium floqué aux couleurs fraternels bleu-blanc-rouge et rouge-bleu-orange (abricot). Les deux hommes dénoncent l’Azerbaïdjan et son alliée, la Turquie, devant plus de 300 personnes. Le Quai d’Orsay et l’Assemblée Nationale ne sont pas loin. Ont-ils entendu ? Dans la petite foule, Jean-Christophe Buisson, le Directeur-adjoint du Figaro Magazine, le pasteur René Léonian, le Président des Eglises Evangéliques Arméniennes d’Eurasie, et du pasteur Joël Mikaelian de l’Eglise Evangélique Arménienne d’Issy-les-Moulineaux, entourent des élus et le ministre Gabriel Attal venu dire que « la France était aux côtés de l’Arménie. » Sur l’esplanade des drapeaux au vent fleurissent. Des pancartes dénoncent la folie guerrière d’Erdogan et d’Aliev. A 4500 km de là, à Erevan, c’est la nuit.

Dans la nuit des 12 et 13 septembre

Alors que la guerre en Ukraine bat son plein, et que les troupes russes commencent à perdre du terrain face aux offensives de reconquêtes menées par Volodymyr Zelensky, en personne, Vladimir Poutine (comment peut-il en être autrement ?) a, certainement, donné le feu-vert à Ilham Aliev, le Président de l’Azerbaïdjan, pour bombarder l’Arménie. A minuit et cinq minutes, sur une ligne-frontière de 200 km, entre les abords sud du lac Sevan et Kapan (plus au sud), il pleut des bombes sur l’Arménie. En tout, plus d’une centaine de missiles grad (les nouveaux modèles des orgues de Staline) et des obus de mortiers s’abattent sur Sotk, Jermuk, Goris, Kapan et Vardenis. La peur au ventre, les yeux plissés remplis de fatigue et de larmes, près de 9000 Arméniens et des touristes se déplacent et partent en exode se mettre à l’abri dans le nord et l’ouest du pays. Plus de 500 morts sont à pleurer, de part et d’autre, et un millier de blessés et de disparus. Il vaut mieux fuir la barbarie qui s’avance dans la nuit opaque. Les étoiles s’éteignent une à une.

Les soldats azéris, fiers d’une fierté qui n’a de nom que celui de l’abomination, diffusent leurs crimes de guerre horribles sur les réseaux sociaux. Ce sont en fait de véritable crimes contre l’humanité, car l’Arménie reste pacifique et ne mobilise pas son armée, évitant ainsi une confrontation plus large qui entraînerait le Caucase dans une spirale guerrière infernale. Et, le monde ? Il continue à ne pas s’en émouvoir. Les regards de l’Occident sont pointés sur l’Ukraine. L’Arménie, que j’appelle confetti, reste seule. Sylvain Tesson, le célèbre écrivain-voyageur, parle de « l’ombre de la France » qui se projetterait jusqu’ici, pour expliquer les liens ancestraux entre les deux pays. Mais l’Arménie est dans la nuit. L’ombre de la France n’a plus que sa pâleur à lui offrir. L’Arménie, seule, agonise dans le bruit râle des nations en pleine (re)composition géopolitique.

Denis Djorkaeff, un ambassadeur de la paix

La diaspora entre en action.

C’est au tour de Denis Djorkaeff, le frère-aîné du célèbre footballeur, d’atterrir à Zvartnots. Habituellement plus enjoué, il n’est pas à la fête. L’Arménie est en deuil. De nouvelles tombes ont fleuri en noir et blanc dans le cimetière militaire de Yerablur, qui se situe sur une petite colline, à l’entrée de la capitale. Le pays, qui s’étendait au 1er siècle avant Jésus-Christ de la mer Méditerranée à la mer Caspienne, ne hisse plus les couleurs festives de sa fête nationale d’indépendance. Le 21 septembre 1991, après avoir vécu sous l’enfer du bolchévisme et du communisme pendant 70 ans, l’Arménie devient, enfin, indépendante. Elle hisse son drapeau tricolore. Dans la foulée, elle démarre une guerre, qu’elle gagnera : celle du Haut-Karabakh, une enclave arménienne. En 1994, elle récupère, au prix de 30 000 morts et de dizaines de milliers de blessés, ses terres montagneuses situées en Azerbaïdjan, que Staline a spolié en 1921 et donné illégalement, au mépris du droit international, à l’Azerbaïdjan. En résumé, tout vient de là. Et, du génocide de 1915-1923.

Le message de Denis, de l’Adjoint au Maire de Décines-Charpieu, est clair : « Nous ne pouvons pas taire ce qui s’est passé dans la nuit du 13 septembre. L’Azerbaïdjan a bombardé et envahit l’Arménie. Il y a eu en tout plus de 500 morts. Les troupes azéries sont toujours en Arménie, occupant le territoire qu’ils ont conquis. Cela correspond à près de 50 km2. Et, depuis, il y a eu de nouveaux bombardements. Pas plus tard qu’hier. » Puis, il ajoute, le regard penseur : « Le pays n’est plus à la fête. D’ailleurs, toutes les festivités du 31è anniversaire de son Indépendance ont été annulées. »

L’année dernière, les festivités étaient grandioses pour célébrer les 30 années de l’Indépendance. Place de la République, où se trouve le palais du gouvernement, un spectacle nocturne flamboyant avait été donné face à la Galerie nationale et au Musée d’histoire. Un spectacle son et lumière avec un orchestre philarmonique et des chœurs qui évoluaient au-dessus des fontaines de la place, qui jouaient leurs propres morceaux d’eau cristalline. L’harmonie des éléments était réelle. La nuit était belle, chantante et dansante, lumineuse et rayonnante, pacifiante, même si, déjà, la tension était palpable. Denis Djorkaeff en véritable ambassadeur de la paix a rencontré, pendant sa semaine du mois de septembre, ministres, ambassadeurs et entrepreneurs. Il répète cet appel en faveur de la paix et de l’unité, qui manque cruellement au pays : « A vous tous, continuez d’en parler, de poster, de partager, d’alerter, d’apostropher, d’haranguer, soyons unis. Ne pensez pas que cela soit un combat perdu. Ici, ils comptent sur nous !!! Merci. »

Du côté de Jermuk, qui panse ses plaies

« Elle vient juste de rouvrir », explique le maire de cette petite cité thermale unique au monde. D’Erevan, il faut mettre moins de 3h pour la rejoindre. Direction plein est. Elle a été bombardée, ce 13 septembre au matin, alors que se trouvait des touristes du monde entier, principalement des Russes, des Iraniens, des Chinois, des Français, des Allemands et des Américains. Je m’y rends le 27 septembre avec une délégation de journalistes.

La cité est interdite, bouclée, fermée aux touristes qui ont dû évacuer dans la nuit. Elle semble sur pause. On se croirait dans un film. Dans celui d’Orson Welles, Voyage au pays de la peur. Ce film a, d’ailleurs, 80 ans cette année. A Jermuk, la peur règne dans les yeux des rares habitants croisés. La plupart refuse toute interview. Certains ont été blessés. En tout, il y a eu 29 morts et 23 blessés. Principalement des civils. Sur 5300 habitants à l’année, il n’en restait que 2100. Le déplacement des populations fait partie de l’ADN des Arméniens. Ils connaissent, ils le vivent. Mais, ils sont fatigués. Ils en ont marre. Ils n’en peuvent plus…

La cité est dans le chaos. Des cauchemars ont remplacé les rêves de ses habitants, qui ont décidé de rester. Ils voient dans leur sommeil les fontaines des eaux thermales si pures, si limpides, si cristallines d’habitude, se transformer en bain de sang. Du robinet ne coule plus que celui versé par ces innocents venus, le temps d’un repos, d’un service donné, d’une vie sacrifiée, au cœur de ces montagnes. Les barbares ont bombardé dans la nuit des écoles, des hôtels, des resorts, la station de ski, qui relance après l’été l’économie de la ville et de la région à la tombée des premières neiges.

Il est tombé le pompier. Ses traces de sang sont encore visibles sur le sol, à l’arrière du bâtiment, qui sert de centre de secours, à l’écart de la ville. Ils ont même bombardé les morts, en profanant de leurs obus le cimetière. Ils veulent, au nom de leur terrible idéologie du panturkisme, comme jadis le nazisme, effacer toute trace arménienne. Le génocide continue…de façon larvée. Sous le regard du monde asphyxié.

Des raisons d’espérer et d’entreprendre

De retour, à Erevan, la semaine qui suit, les 5 et 6 octobre, la Fondation Fast a organisé son évènement phare, le GIF. Le Global Innovation Forum est le rendez-vous à ne pas manquer ici dans le Caucase. Même s’il tranche avec la situation tragique, Noubar Afeyan « ne voyait pas de raison suffisante pour annuler cet évènement, bien au contraire. Nous devons montrer au monde que l’Arménie est un pays pacifique, debout, et rempli d’espérance et d’esprit d’entreprise. L’Arménie est en avance sur beaucoup de sujets économiques… »

Le co-fondateur du groupe pharmaceutique mondial Moderna est venu tout droit des Etats-Unis, pour cet évènement. Il est, aussi, avec Ruben Vardanyan, le co-fondateur de la Fondation FAST, organisatrice du forum. FAST comme Foundation for Armenian Science and Technology. Leur vision est claire, selon Noubar : « FAST est en train de devenir une plate-forme technologique de premier plan en Arménie dans les domaines de l’informatique, de l’intelligence artificielle, des matériaux de haute technologie, de la robotique, de la biotechnologie, de l’ingénierie de pointe et des technologies de fabrication. »

Pour l’heure, dans le superbe hôtel DVIN d’Erevan, plus de 1000 participants du monde entier écoutent pendant 48h plus de 80 speakers. C’est l’Intelligence Artificielle qui est mise en avant cette année avec ses applications dans le secteur de la santé. Alors que la guerre frappe à sa porte civilisationnelle, l’Arménie construit le monde de demain. Quel courage ! Quel signe d’espérance !

« L’intelligence artificielle est actuellement utilisée dans divers dispositifs médicaux. Il existe plus de 300 000 dispositifs médicaux, mais tous ne sont pas dotés d’une intelligence artificielle », explique le CEO de Denovo Sciences, Hovakim Zakaryan.

Ruben Vardanyan, le héros de Stepanakert

Je retrouve le milliardaire arménien deux jours après la fin du GIF, dans ses bureaux d’Erevan, non loin de l’Assemblée Nationale et de la Présidence de la République, où se situe l’ensemble de son écosystème : des associations, des fondations, des think tanks. Une vraie fourmilière philanthropique sous un même toit. Le rendez-vous est matinal : 7h45.

L’homme d’affaires, qui est l’une des figures emblématiques de Russie, où il a développé avec brio tout son génie entrepreneurial dans la finance, à la chute de l’ex-URSS, est, aussi, une figure de l’Arménie, qu’il a, déjà, soutenu à travers 700 projets de bienfaisance. Il y a quelques temps, en raison de la situation en Russie et de la situation dans le Haut-Karabakh, il a décidé de quitter Moscou définitivement et de s’installer avec sa famille à Stepanakert, la capitale de la République d’Artsakh.

« FAST a été lancée en 2016, avec l’objectif principal de positionner l’Arménie à la première place du monde des technologies, que ce soit dans le secteur de l’informatique, des sciences et du médical. Il y a beaucoup de start-ups ici, comparées au nombre de la population. Car les Arméniens sont très innovants. Regardez, l’Arménie a été la première nation à épouser le christianisme et à publier un livre. Et, dans les sciences nous sommes très bien positionnés, également. »  Rappelons que le prix Nobel de médecine a été remis l’année dernière à deux Américains, dont un, Ardem Patapoutian, d’origine libano-arménienne.

Voilà maintenant Ruben vivant dans le Haut-Karabakh. Ce natif d’Erevan, né en 1968, vient de tourner (définitivement ?) 30 années de pages de vie en Russie. « Oui, j’ai pris ma décision cet été. J’ai décidé de venir vivre en Artsakh. C’est important pour son indépendance. Comme j’ai de la chance d’avoir eu beaucoup de succès dans ma vie, je veux la consacrer au développement de l’Artsakh et de l’Arménie. J’ai besoin d’être là avec les gens. De vivre avec eux. » Le multimilliardaire a donc planté sa tente sur une terre qu’il connaît bien pour y avoir développé une centaine de projets depuis 20 ans. Il est, donc, 100% Arménien et 100% Artsakhien. Depuis, il a été nommé ministre d’Etat.

Le monde entier en Arménie avec l’UGAB

Dans le concert de la bienfaisance et de la diaspora qui œuvre pour le développement de l’Arménie, il faut compter, également, avec l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance, l’UGAB. Alors que des bombes continuent à pleuvoir aux abords de la frontière orientale de l’Arménie, le monde entier s’est, aussi, donné rendez-vous à la 92è Assemblée Générale de l’UGAB. Les Etats-Unis, le Mexique, l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil, l’Argentine, la France, l’Espagne, la Belgique, la Suisse, l’Italie, l’Allemagne, la Hollande, la Russie, l’Autriche…Impossible de tous les citer. En tout, plus d’une trentaine de pays sont représentés. Les 200 participants vont vivre, en ce début du mois d’octobre, 5 jours intenses.

En résumé, pour commencer, ils se retrouvent tous au Matenadaran, ce haut-lieu des manuscrits arméniens (certains remontent au 6è siècle). Puis, ils enchaînent, le lendemain, le 6 octobre avec APRI, leur nouveau think tank. Le vendredi, ils se rendent avec le Président de l’UGAB, Berge Setrakian, dans le cimetière militaire de Yerablur, pour honorer les morts. Et, filent en direction de la Cité Sainte d’Arménie, Etchmiadzin, où est organisée une rencontre avec le Catholicos Karekine II. La semaine se termine par l’Assemblée générale proprement dite, au siège de l’UGAB d’Arménie, en présence du Président de la République, Vahagn Khatchatourian et du Catholicos. Le dimanche, la Messe à la Cathédrale Saint Grégoire l’Illuminateur vient clôturer cet évènement hors-du-commun.

La rencontre avec Berge Setrakian permet de mieux appréhender cette organisation mondiale. « L’UGAB est née en 1906. Elle a été aux côtés des Arméniens pendant tout le 20è siècle. Elle continue. L’histoire de l’UGAB est liée à celle des Arméniens. Lors de la tragédie du génocide de 1915, on pensait que c’était le dernier de nos malheurs. Mais non, il y en a eu d’autres. La situation actuelle est très préoccupante. Grâce à la diaspora, grâce à nos milliers de membres et nos projets, nous aidons chaque année l’Arménie. Par exemple, l’année dernière nous avons distribué à travers nos différents sièges-pays 40 millions d’euros pour les Arméniens… »

Les dames de cœur, de nouveau sur le terrain

Sur ce terrain de la bienfaisance et des raisons d’espérer, il faut ajouter la Fondation Arslanian. Replongeons-nous dans l’histoire récente.

Nous sommes en 2020, en Belgique, dans la famille Arslanian. Ce 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan envahit le Haut-Karabakh, la République d’Artsakh. Ce jour-là, Anelga, la maman, pleure, comme tant d’autres. Elle s’en souvient encore : « Quand, j’ai appris cette nouvelle agression, j’étais d’une tristesse infinie. J’ai pleuré, dans la nuit. ». Alors que la capitale, Stepanakert, est sous les bombes des drones turcs et israéliens, Anelga et ses filles, Lori et Lara, sèchent leurs larmes et se mobilisent. Lara, la cadette, lance une vente aux enchères d’œuvres d’art, avec des amies. Lori et Anelga la soutiennent. L’opération est une réussite. Sont collectées une centaine de milliers d’euros en quelques jours. Cette somme est envoyée à des associations en Arménie, qui répondent aux urgences des premiers réfugiés, jetés sur les routes gelées dès le mois d’octobre 2020.

En 2021, ces dames de cœur décident de se structurer et de continuer leurs actions de bienfaisance. En mai, Anelga et Lori passent tout le mois en Arménie. Elles sillonnent le pays peuplé de 2,7 millions d’habitants, grand comme la Bretagne. Depuis, ce sont 33 familles qu’elles aident tous les mois. Elles règlent leurs besoins alimentaires et vestimentaires. Elles paient tout ou partie de leurs loyers.  « Les besoins des familles sont très grands. Nous ne sommes qu’une petite goutte d’eau. Nous aimerions aider davantage. Avec nos relais locaux, nos bienfaiteurs aident ces familles mensuellement. Nous avons mis en place, sous le label de notre fondation, un système de parrainage. Financièrement, des bienfaiteurs leur versent l’équivalent d’1/3 ou de la moitié d’un SMIC. Puis, avec Lori, nous allons sur le terrain visiter les familles. Nous leurs apportons du réconfort, des vêtements, et, un peu d’argent. Nous recensons leurs besoins. Notre objectif est de les aider sur le long terme. »

1 tracteur – 1 village : l’espérance au bout de la terre

En mai et en octobre 2022 les voilà de nouveau sur le terrain. En mai, dans le nord de l’Arménie, la Fondation Arslanian a inauguré deux tracteurs, qui ont été livrés dans les villages d’Arevashogh, au nord de Spitak, et, de Dsoragyugh, au nord-est de Vanadzor. « Nous avons lancé cette idée 1 tracteur – 1 village, il y a tout juste un an », explique Anelga. « Lors de nos visites, organisées par Lilia, notre correspondante locale, cette idée nous est venue à la suite d’une discussion que nous avons eue avec un maire. Il nous a dit : “ Avec un tracteur, ici, vous changez la vie du village.” Cette idée s’est ensuite transformée en projet. »

Il y a quelques jours, elles inauguraient leur 3è tracteur offert par la Fondation Boghossian et Ralph Boghossian. L’inauguration était inédite et historique : elle avait lieu au Matenadaran, en présence des parties prenantes et d’invités comme l’UGAB. Des médias, comme Vivaro Media, couvraient l’évènement.

Ces 12 et 13 octobre, Anelga, Lori et Raffi (le papa) sont retournés dans le nord. Ils ont commencé à voir le fruit de leur projet : « Notre tracteur travaille la terre sur une centaine d’ha qui n’avaient jamais été labourés ». Sur le plateau de Dsoragyugh, le résultat est impressionnant. Impressionnant de voir qu’un seul tracteur peut changer la vie d’un village. L’espérance est au bout de la terre.

Sevak Manoukian, l’œnologue d’Areni

Le temps du retour approche. Avant le décollage pour la France, qui vue d’Arménie ressemble à une énorme manifestation avec ses pénuries d’essence et ses batailles de pétrole, une épopée en Areni s’improvise. Elle est pilotée par Sevak Manoukian, accompagné par une guide, Melania Hakobyan, une francophone hors-pair, qui connaît l’Arménie sur le bout des ongles. Sevak est le patron du petit groupe familial MASSIS, qui est spécialisé dans le mobilier viticole et dans l’accompagnement des entreprises et des institutions qui souhaitent implanter et développer la culture du vin dans leur région. C’est le cas de la ville d’Areni. Ce village de 2000 âmes, qui se situe à 2h d’Erevan, plein sud, est le berceau du vin. Autour de lui, entouré d’une trentaine de villages viticoles, ils forment une grappe de vignerons au nombre de 700. L’ensemble forme une superficie de près de 2000 ha. Les parcelles sont, donc, petites. Elles sont, en fait, de véritables pépites.

« Areni est le berceau du vin. Ici, les archéologues ont découvert dans la grotte des Oiseaux, des vestiges qui date de 6100 ans » explique le maire, Husik Sahakyan. A côté de lui est assis le pionnier qui a relancé la viticulture dans toute la région, Mickael Grigoryan. Nous sommes en 1994. Il est allé se former aux Etats-Unis. Avec ses 5 ha, il produit du vin rouge et du vin blanc au nom évocateur : ARENI COUNTRY.

Avec Sevak, le maire d’Areni vient de lancer un projet important pour l’avenir : ouvrir une coopérative qui permettrait à une centaine de petits producteurs de s’associer, de bénéficier des services de la coopérative et de monter en gamme !

Dernière minute

Voilà, le petit tour d’Arménie se termine. Ou plutôt ne fait que commencer. Les sollicitations se multiplient comme les invitations. Les rencontres ont été nombreuses depuis mon arrivée. Ce soir, avant mon décollage, j’ai rendez-vous avec des ministres et des députés.

Quant à Arthur, le petit prince d’Arménie ? Son stock est épuisé en partie. Il a fait l’honneur des médias francophones et arméniens. Et, de nombreuses dédicaces ont été signées. Même le Catholicos Karekine II a adopté Arthur, c’est dire. Demain, le Pape François ?

Alors, que nous bouclons cet article-cascade, des informations de dernière minute nous proviennent de Jean-Christophe Buisson. Ilham Aliev, l’autocrate-dictateur qui livre le gaz russo-azéri à l’Europe et à la France, aurait déclaré son refus de « la mission d’observation envoyée par l’UE à la frontière arménienne… »

On l’aura compris, ce petit pays que j’appelle confetti, qui ne regorge ni de gaz, ni de pétrole, reste en mode survie. L’Arménie est en sursis.

Malgré toute l’espérance, toute la force et toute la résilience que les Arméniens réussissent à puiser en eux-mêmes grâce à leur longue histoire triplement millénaire, pour peindre la belle Arménie, l’Azerbaïdjan qui n’existe que depuis 100 ans (le nom a été adopté en 1918, pour la 1ère fois) veut s’emparer de sa région sud, du Syunik.

Le monde, les Etats-Unis, la France, l’Europe ont commencé fébrilement à bouger et à regarder en direction du Caucase. Emmanuel Macron a dit dernièrement, le 14 octobre : « la France ne laisse pas tomber l’Arménie. L’Arménie est un pays avec lequel nous avons un lien unique […]. L’Azerbaïdjan a lancé plusieurs offensives le long de la frontière. Nous les avons condamnées. Nous ne lâcherons pas les Arméniens ».

Cet hiver, c’est confirmé : Je ne me chaufferai pas au gaz russo-azéri. Je ne veux pas être le Ponce Pilate du 21è siècle et me laver les mains dans le sang des martyrs Arméniens. Au pire, je brûlerai Arthur pour ne pas geler.

Reportage-témoignage réalisé par Antoine Bordier


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