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Saint-Tropez, ses traditions… et ses yachts

Copyright des photos A.Bordier

De notre envoyé spécial Antoine Bordier

Il y a 100 ans, les 4 800 villageois vivaient au rythme de la pêche, de l’agriculture et des vendanges. Puis, les premières stars arrivèrent. Et, vint Brigitte Bardot. D’autres stars suivirent. Aujourd’hui, Saint-Tropez et ses 3 800 villageois vivent au temps du tourisme haut-de-gamme, des traditions séculaires et des yachts des milliardaires. Reportage iodé entre terre, mer et ciel.

Cet été, alors que les vagues successives des touristes s’abattent sur le village, l’arrivée des yachts affolent les compteurs. Les rotations se sont multipliées pendant la saison, qui démarre dès le mois de mai. Les mois de juillet et d’août étant les mois où l’affluence est maximale. Il y a 5 ans, la capitainerie a fait peau neuve. Et, une partie du bassin portuaire a été réaménagé pour pouvoir accueillir les yachts du monde entier.

Avec la guerre en Ukraine, les célèbres yachts des oligarques russes sont devenus introuvables dans le port. Ils n’ont plus le droit de cité. Ce qui n’empêche pas les touristes russes de déambuler en toute quiétude dans les rues marchandes. Et c’est bien normal, car la guerre ne devrait pas avoir de conséquences sur la vie des citoyens du monde, qui ne veulent qu’une seule chose : vivre en paix ! Le Sailing Yacht A avait pris ses habitudes à Saint-Tropez. Est-il toujours bloqué en Italie ? C’est, en tout cas, le plus grand voilier privé de trois mâts. Il appartient à Andrey Igorevich Melnichenko. Il mouillait au large avec ses 469 pieds (près de 143 m). « Nous ne pouvons accueillir les yachts de plus de 80 mètres au port », prévient le nouveau directeur de la capitainerie, Tony Oller.

Le va-et-vient matinal des yachts qui repartent et qui sont remplacés par d’autres, ne gênent en rien le curé de Saint-Tropez, le père Jean-Paul Gouarin. Lui-aussi fait partie du paysage. Il est, d’ailleurs, une figure importante du village. Dans le village, qu’il soit en soutane blanche, ou en clergyman, il est salué de tous, des grands comme des petits. « Je suis arrivé à Saint-Tropez, il y a 7 ans. Et, j’en suis tombé amoureux. Saint-Tropez, c’est avant-tout un village de pêcheurs, avec ses traditions séculaires toujours bien vivantes. Les Tropéziens sont des gens merveilleux, avec leur caractère propre. Ils ont beaucoup d’humour et défendent leurs traditions de génération en génération », explique-t-il. Il y a quelques semaines, le dimanche 17 juillet, il recevait même un prélat : « Je reçois un évêque émérite (NDLR : évêque qui a dépassé l’âge limite de 75 ans, et, qui n’a plus de charge épiscopale), Mgr di Falco Léandri. »

Une histoire de moines et de pêcheurs

Tous les villageois rencontrés s’accordent pour dire que « Saint-Tropez, c’est d’abord un village avec son histoire et ses traditions, son port, et, ses églises. » Même si les origines du village remontent au 6e ou 7e siècle avant Jésus-Christ, il faut attendre le 1er millénaire après JC, pour que les moines de l’Abbaye de Saint-Victor de Marseille, propriétaire, lui donnent le nom de San Torpès. Sur ces terres devenues chrétiennes et au-delà, les moines bénédictins ont bâti et développé une grande partie de la Provence, comme du reste de la Gaule, comme de l’Europe. Toute la vie s’organisait autour des abbayes, des couvents et des monastères. Les villages se construisaient, s’agrandissaient au fil des années et devenaient des petites villes. Certains moines avaient le pied marin. Ils cultivaient les fruits et les légumes. Ils élevaient bovins, brebis et moutins. C’étaient, également, des vignerons. Comme ils disaient : « Le vin réjouit le cœur des hommes…et de Dieu ». Ils ont développé l’activité portuaire.

Leur influence se tarit aux 16e et 17e siècle. Mais leur héritage est un véritable trésor. De nos jours, chapelles et églises fleurissent toujours à Saint-Tropez. « Nous avons une église, l’église Notre-Dame de l’Assomption, quatre chapelles, la chapelle Sainte-Anne, la chapelle de la Miséricorde, la chapelle Saint-Joseph et la chapelle Saint-Tropez. N’oublions pas, non plus, le temple protestant », détaille le curé, qui part, justement, célébrer la Messe dans l’église.

Une église remplie et des plages à l’infini

Cela pourrait en étonner plus d’un, mais ce dimanche 17 juillet, l’église est pleine à craquer. Les villageois, anciens pêcheurs et simples commerçants, anciens instituteurs et retraités, se mélangent dans une ambiance bonne enfant et presque festive avec les familles, actuellement, en vacances. Parmi elles, il y a quelques personnalités notables comme Cyrille Bolloré, Maryvonne Pinault, et, Stéphane Courbit.

C’est Mgr Di Falco qui préside la célébration dominicale. Au début, dans la nef, il salue les fidèles. Toutes les générations sont représentées et les enfants sont bien là. Vacances obligent, ils viennent de toute la France. A la fin, ce marseillais de naissance, ancien porte-parole de la Conférence des Evêques, ancien évêque de Gap, invite tous les enfants à venir dans le chœur auprès de lui et du père Gouarin. Une ribambelle d’enfants se rassemblent, alors, autour de lui et près de l’autel. C’est le temps du Notre Père. A la fin, ils repartent tous dans une clameur de joie et de brouhahas retrouver leurs parents. Ils passent en courant devant le buste de saint Tropez.

A midi, direction les plages de Saint-Tropez, pour un déjeuner les pieds dans l’eau, la tête au soleil ou à l’ombre sous un parasol géant. Ah, les plages de Saint-Tropez, elles sont mythiques avec leurs noms typiques : la plage de la Bouillabaisse, celle des Canebiers, de La Ponche, celle des Graniers, de La Moutte et des Salins.

Ma préférée ? Celle de Pampelonne, du côté de Ramatuelle, ou celle de Tahiti ! Saint-Tropez a échoué sur l’une d’entre-elles !

Qui est saint Tropez ?

La vie du soldat Torpès, officier de l’empereur Néron, a quelques points de similitudes avec celle du légionnaire romain Martin, né en Hongrie et qui deviendra l’apôtre des Gaules, l’évêque de Tours. Torpès vit au 1er siècle, Martin au 4è. Il est né à Pise et exerce la fonction d’intendant au palais de Néron, à Rome. C’est là qu’il rencontre saint Paul, qui le converti. Lors d’une fête païenne, il professe sa foi chrétienne devant Néron, qui était devenu son ami. C’est le scandale public, à la saint Paul, justement. Cet affront public préfigure un martyr, qui ressemblerait à celui de saint Jean-Baptiste, le cousin germain de Jésus qui a eu la tête coupée par Hérode. A plusieurs reprises, Néron demande à Torpès d’abjurer sa foi. Le futur saint refuse. Néron le condamne, alors, à mort. Les scènes de sa mort sont légendaires : livré aux lions et aux panthères, il en sort vivant. Il est ensuite flagellé à une colonne, qui se brise en écrasant son bourreau. Il meurt sur le coup. Finalement, le 29 avril 68, le fils du bourreau devenu orphelin lui coupe la tête. « Sa tête est toujours conservée à Pise », explique le curé. Selon la tradition, le corps du martyr aurait été déposé dans une barque, avec un coq et un chien, qui au gré des courants marins et du vent aurait échoué sur une plage, à côté du village de l’actuel Saint-Tropez. Célerine, une romaine, aurait découvert son corps sur cette plage après un songe, et, l’aurait enseveli à l’endroit même où se trouve, toujours, la chapelle de Saint-Tropez hors-les-murs. Cette histoire pourrait servir de scénario à un bon metteur en scène. « Au fond, à Saint-Tropez, il y a une vraie histoire, très riche. Les bravadeurs, ceux qui font la Bravade, sont très soucieux de sauvegarder cette mémoire. Ils font revivre chaque année l’histoire du saint, devenue celle du village. Les bravadeurs sont de trois corps différents : il y a les marins, les mousquetaires, et, les gardes-saints », raconte le père Gouarin.

C’est quoi la Bravade ?

Serge Astezan est le Cepoun de Saint-Tropez. C’est quoi un Cepoun ? « Le Cepoun c’est le cep de la vigne, ce sont les racines. Le Cepoun de Saint-Tropez, c’est celui qui maintient les traditions. » Madame le maire, Sylvie Siri, « attache beaucoup d’importance à la sauvegarde et au développement d’évènements qui mettent en valeurs les traditions du village ».

A la chapelle Sainte-Anne, ce 26 juillet, au sommet du mont Pécoulet, « qui paraît-il est un ancien volcan », explique le Cepoun, en ajoutant avec humour : « J’espère qu’il restera endormi jusqu’à au moins aujourd’hui…Comme vous pouvez le voir, nous dominons la plage de Pampelonne à l’ouest où a eu lieu le débarquement des Alliés le 15 août 1944. Et, c’est, d’ailleurs, sur la chapelle Sainte-Anne, que les premiers parachutistes américains ont sauté… » Cet ancien instituteur de souche, marié, 2 enfants et 4 petits-enfants, a fait toute sa carrière au village. Il connaît tout de Saint-Tropez. « Je vis une retraite extrêmement active. Car, je suis resté le correspondant sportif de Nice-Matin. Et, j’ai été adjoint au maire. J’ai fait, aussi, de la radio et de la télé. » Serge Astezan porte autour de son cou une médaille de saint Tropez. C’est un fan ! Du côté des traditions, il est principalement engagé dans l’organisation et la réalisation des fêtes annuelles de Saint-Tropez, comme les Bravades.

C’est quoi la Bravade ? « C’est une fête villageoise à la fois religieuse et militaire. On célèbre le saint, le village, et, les armées qui ont défendu Saint-Tropez. Depuis 1558, chaque année, on nomme un capitaine de ville qui organise la bravade du 17 mai avec la municipalité et notre association. Comme chaque année, la Bravade a eu lieu les 16, 17 et 18 mai. » Serge Astezan a le projet d’écrire un livre sur Saint-Tropez. L’envie de transmettre fait partie de son adn.

Du Sénéquier au Tropicana en passant par La Ponche

Retour au port. Serge tient à préciser que la célèbre terrasse du Sénéquier, le café emblématique tout de rouge vêtu qui donne sur les quais et qui existe depuis 135 ans, « était déjà pleine dans les années 30. Mieux encore, tout Saint-Germain-des-Prés, le Paris artistique, culturel et littéraire, venait à La Ponche dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le Tropicana, la célèbre boite de nuit, dès 1948, tournait à plein régime. De nombreux films y ont été réalisé entre les deux guerres. Et Dieu… créa la femme a permis de « populariser » Saint-Tropez en France et de le faire connaître du monde entier, mais les touristes étaient déjà nombreux avant et les stars, aussi. D’ailleurs, sont-ce les stars qui ont fait de Saint-Tropez ce que le village de pêcheurs est devenu : un lieu de villégiature unique au monde. Ou ne serait-ce pas le contraire ? », s’interroge malicieusement le Cépoun.

Citons, quelques artistes et plumes célèbres pour confirmer ses propos : André Breton, Juliette Gréco, Boris Vian, Jean-Paul Sartre, etc. Il y a 17 ans, jour pour jour, Juliette Gréco répondait à une interview d’un journaliste du Monde, par ses propos : « Un jour, on a perdu Bernard Frank (NDLR : écrivain et journaliste français qui a vécu entre 1929 et 2006. Il était proche de Jean Daniel et de Claude Perdriel). Nous étions tous légèrement pris de boisson, après avoir fêté à Saint-Tropez je ne sais quoi… Bernard s’était assis sur l’arrière de la voiture, bourré comme un canon, il est tombé, il a dû rentrer à pied dans un état… quaternaire, à la maison que nous avions louée, la Fontaine de la treille, où Françoise (NDLR : Sagan) a beaucoup écrit d’ailleurs. » C’est cela aussi Saint-Tropez : la fête !

S comme Siri, T comme Traditions

Du côté de Sylvie Siri, le maire, cette 464e bravade du mois de mai a été un moment historique : « Oui, car c’est la première fois que la pique a été remise par une femme », elle-même. Ce 26 juillet, à la Messe de 9h00 (encore une !), elle est présente sur le terrain des traditions pour fêter la Sainte Anne. « Oui, c’est important que je sois-là. La chapelle Sainte-Anne est un lieu de culte très prisé. Il est très important pour les Tropéziens, car, autrefois, on s’y mariait. Tous les citoyens, toutes les personnes sont les bienvenues pour découvrir notre beau patrimoine. Cette année, nous avons de la chance, nos traditions sont de retour : avec le 19 mars, la Saint Joseph, les bravades, la fête des pêcheurs, la Saint Pierre, les 70 ans du Rampèu, et, fin septembre Les Voiles de Saint-Tropez. » Encore une tradition qui est bien vivante : celle du groupe folklorique Lou Rampèu de Sant-Troupès, qui ne manque pas une occasion pour faire vivre les anciennes danses locales de place en place, au moment de Pâques. Lors de ces fêtes, la chapelle Sainte-Anne est, toujours, au centre du village. Ou plutôt en haut de l’affiche… D’ailleurs, Sylvie Siri a des projets pour la restaurer : « Oui, nous allons refaire toute la façade de la chapelle à l’automne. Et, ensuite, nos maîtres de l’art referont l’intérieur. C’est un véritable bijou, et, nous allons rendre aux Tropéziens l’éclat de leur vieille chapelle, qui est visitée par de nombreux touristes. » L’agenda de Sylvie Siri n’est pas près de se libérer. Son prochain rendez-vous ? Les fêtes du 15 août, et, Les Voiles de Saint-Tropez, du 24 septembre au 8 octobre.

Des voiliers et des yachts à volonté

A la capitainerie, c’est l’effervescence. Tony Oller et son équipe (une cinquantaine de personnes) sont sur le pont toute la journée. Il faut dire qu’ils ne sont pas si nombreux que cela pour accueillir, guider, et, parfois, piloter les quelques 680 bateaux, voiliers et yachts venus accoster et qui sont actuellement au mouillage dans les différents lieux du port de Saint-Tropez.

« Je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer », prévient-il d’emblée. Cela fait plus d’un an et demi que ce presque quinquagénaire dirige la capitainerie. Auparavant, ce tropézien de souche, qui a dirigé les affaires maritimes du village, a été, également, gérant de restaurant, directeur d’Etoile Limousine, une société de location de voiture avec chauffeur de standing. Serial entrepreneur, plus à l’aise sur l’eau que sur terre, il a, aussi, créé un chantier naval, Boat Etoile Services. C’est clair : sa passion principale reste l’eau…de mer, les voiliers et les yachts. Même s’il n’en possède pas lui-même, il s’occupe de ceux des autres. « Nous avons, actuellement, sur la digue 3 à 4 yachts qui font entre 50 et 80 m de long. Après, ils sont plus petits : entre 30 et 50 m. Et, puis, il y a tous les autres. »

Avec la guerre en Ukraine, depuis février, les voiliers et les yachts des oligarques russes ont hissé la grand-voile, ils ont tous disparu sans exception. Ils sont, désormais, loin, très loin. Comme le confirme Tony : « Non, nous n’avons plus de yachts russes. Le Sailing Yacht A est parti en Italie. »

Son bateau préféré ? « Le Blue Bird 1905 ». Il ne dira pas qui est l’heureux propriétaire, mais il bat pavillon anglais !

A Saint-Tropez le temps des traditions vit au rythme des marées, des vagues successives de touristes et des villageois qui hissent tous les matins le pavillon du neuf et de l’ancien. Ce n’est pas Stéphane Bern qui dira le contraire. Lui, qui est venu plusieurs fois dans le village admirer son beau patrimoine. Peut-être qu’un jour Saint-Tropez deviendra le village préféré des Français ?

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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