L’avenir se trouve au large des côtes bretonnes. En témoigne Sabella D10, hydrolienne développée par une PME basée à Quimper (29) et prochainement immergée dans le Fromveur. À l’horizon 2020, le projet devrait donner naissance à une ferme industrielle d’une puissance de 500 MW.
Avec sa surface maritime de 11 millions de kilomètres carrés et ses longues étendues côtières fouettées par de puissants courants marins, la France jouit de l’un des plus importants potentiels de valorisation énergétique à l’échelle européenne, voire mondiale.
Après le Royaume-Uni, elle dispose du 2ème gisement énergétique hydrolien en Europe. Estimée à 3 à 5 GW, cette source d’énergie liée aux marées, en plus d’être propre, renouvelable et prévisible donc aisément intégrable au réseau, représente une capacité de production supérieure à celle de 2 réacteurs nucléaires de type EPR.
Dans l’Hexagone, 2 sites, qualifiés de «trésors nationaux» par le ministère de l’Écologie, concentrent à eux seuls 80% du potentiel énergétique des courants marins : le raz Blanchard à l’ouest de la pointe du Cotentin (50) et le passage du Fromveur (29). C’est justement dans cette zone, située à proximité de l’île d’Ouessant, que sera installée avant l’été l’hydrolienne sous-marine Sabella D10.
Objectif : produire de l’électricité à partir de l’énergie hydrocinétique générée par la houle de manière à alimenter l’île d’Ouessant dans un premier temps, à soustraire la Bretagne de sa dépendance en électricité, dans un deuxième temps, à accélérer la transition énergétique en France, enfin.
De l’idée à la tête de série industrielle
Le projet Sabella D10 est «une vieille histoire», pour reprendre les mots de Jean-François Daviau, président de la société éponyme Sabella SAS, née à Quimper d’un consortium de 4 industriels, édifié dans le cadre de l’Appel à Manifestations d’Intérêts (AMI) émis par l’Ademe en 2009. L’idée de l’hydrolienne D3, qui deviendra D10, puis D15, a émergé dans l’esprit d’un «capitaine» de l’industrie pétrolière.
Conceptualisé en 2000, «le projet a réellement démarré en 2005. À l’époque, nous avons réussi à convaincre les pouvoirs publics de l’importance des ressources énergétiques marines dans le Fromveur, un passage situé entre l’archipel de Molène et l’île d’Ouessant, au nord de la mer d’Iroise», rappelle Jean-François Daviau. Dès 2005, le projet reçoit le soutien du Pôle de compétitivité Mer Bretagne. Deux ans plus tard, la Région Bretagne, alors présidée par l’actuel ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, lui apporte son appui.
«Le Drian a immédiatement compris l’enjeu du projet Sabella : libérer la Bretagne de sa dépendance énergétique. Contrainte de s’approvisionner auprès des Pays de la Loire et de la Normandie, la région couvre seulement 8% de ses besoins en électricité. Or, elle dispose avec le Fromveur du 2ème gisement hydrolien de France, le 1er étant le raz Blanchard dans le Cotentin». Le passage breton renferme en effet un potentiel d’environ 500 MW de puissance «installable». Grâce à l’aide du conseil régional, l’entreprise quimpéroise met au point en 2007 un premier démonstrateur, l’hydrolienne Sabella D3.
Installé durant 1 an dans la baie de Bénodet, située dans l’embouchure de l’Odet, il permet à la PME de valider des choix techniques et de «réparer certaines erreurs de jeunesse», selon Jean-François Daviau. Lauréate de l’AMI, Sabella encaisse un chèque de 3,8 M€ en 2009, capital qu’elle complète 3 ans plus tard grâce à une levée de fonds. Dès lors, les phases s’enchaînent : la caractérisation du site d’essais, la conception du démonstrateur D10, la construction puis l’assemblage des pièces de l’hydrolienne sur le port de Brest, qui se poursuit jusqu’au mois d’avril 2015. Son immersion dans le Fromveur est prévue avant l’été, première étape avant l’installation d’une ferme pilote de plusieurs dizaines de machines de type D10, d’une puissance totale de 500 MW, à l’horizon 2020.
Une hydrolienne «rustique» et rentable
L’hydrolienne est baptisée Sabella en hommage à la sabelle, un ver marin qui colonise les plages de Bretagne, et dont la morphologie rappelle celle de la machine. «La sabelle évolue dans un tube calcaire, qui évoque le rotor, et déploie en lieu et place de pales des rayons pour capter le plancton», expose le président de la PME finistérienne. D10 fait référence au diamètre du rotor, l’un des 3 principaux éléments constitutifs de cette hydrolienne colossale (450 tonnes, 17 m de hauteur) et puissante (1 MW), avec la génératrice et l’embase.
Chacun de ces «fragments» a été conçu de manière à renforcer la rentabilité et la fiabilité de l’ensemble. Ainsi, contrairement à certaines concurrentes, plus performantes, la nacelle qui supporte le rotor de la Sabella D10 est fixe. «Cela permet d’obtenir une hydrolienne d’une certaine rusticité, mais d’une grande robustesse et accroît sa rentabilité en réduisant les coûts liés à la maintenance», explique Jean-François Daviau. Innovante sans être sophistiquée, cette machine mise donc sur la simplicité pour respecter les promesses économiques, sociales et environnementales qu’elle renferme.
Si le projet Sabella s’inscrit dans une logique de substitution, sinon de transition, l’énergie hydrolienne ayant vocation à remplacer les énergies carbonées, elle présente d’autres avantages environnementaux. Invisibles, car totalement immergées, et inaudibles, les hydroliennes affectent ni la faune marine ni les usagers de la mer. Véritable moteur économique, le projet participe par ailleurs à la création d’une filière industrielle et de nombreux emplois. «À l’horizon 2020, près de 1.300 salariés devraient travailler sur le site industriel de Brest», annonce fièrement le président de Sabella, décidément optimiste.