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« Pari sportif » perdu pour Cazoo ?

Cazoo : récit d’une histoire aussi improbable que fugace, qui aurait pu mettre à mal bon nombre d’organisations sportives… dont l’OM.

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Fin 2021, la jeune start-up britannique Cazoo, spécialiste de la vente de voitures d’occasion aux particuliers, se lance dans un plan ambitieux de développement sur le marché européen, alliant croissance externe et sponsoring sportif de premier plan… Mais très rapidement, et notamment devant les pertes records du premier semestre 2022, le Groupe fait machine arrière. Il annonce son retrait des activités européennes, un plan de licenciement, et la fin des nombreux partenariats engagés quelques mois plus tôt. Récit d’une histoire aussi improbable que fugace, qui aurait pu mettre à mal bon nombre d’organisations sportives… dont l’OM.

Alex Chesterman n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Le fondateur et CEO de Cazoo est même un des tech angels les plus actifs du Royaume-Uni, avec une quarantaine d’investissements réalisés majoritairement à titre personnel et dans des univers digitaux. Aujourd’hui, outre son activité chez Cazoo, l’homme d’affaires de bientôt 53 ans a conservé son siège au board de Zoopla Property Group, entreprise de recherche et transaction immobilière en ligne qu’il avait créé en 2007, et son poste de CEO de SMH Fleet Solutions, société digitale de management de flotte véhicules.

Et c’est justement la réplication du business model des start-ups digitales sur des services de biens physiques qui est pointée du doigt. Bâtie à coups de levées de fonds depuis 2018, année de sa création, Cazoo avoisine désormais les 2 milliards $ levés au total, dont 800 millions provenant de son entrée en cotation au New York Stock Exchange en août 2021. De quoi satisfaire l’appétit d’Alex Chesterman, qui a enchaîné les investissements susceptibles de renforcer sa présence et sa visibilité au Royaume-Uni, puis en Europe.

Une avalanche d’investissement stratégique

Dès 2020 les ambitions de Cazoo sont affichées. Le Groupe sponsorise la Rugby League World Cup 2021 (à ne pas confondre avec la Rugby World Cup) pour la plus grosse somme jamais engagée dans la compétition. Un peu plus tôt était signé pour 2 ans le sponsoring maillot des Toffees d’Everton, évalué autour de 13 millions € annuel (arrivé à son terme en juin dernier sans être renouvelé par Cazoo), tandis que celui des Villians porte sur environ 11 millions € annuel et devrait se terminer à la fin de cette saison. Les montants des deals passés avec l’équipe de rugby du Pays de Galles et avec la Ligue Anglaise de Football n’ont quant à eux pas filtré mais comportent chacun 7 chiffres. Côté cricket, Cazoo s’offre un contrat pluriannuel avec l’English and Wales Cricket Board pour un montant de 3 millions € par an.

Ces premiers lourds investissements dans un marché très concurrentiel ont largement participé au déficit de 115 millions € enregistré sur l’exercice 2020 (vs 20 millions € de perte en 2019), mais les volontés de disrupter le marché de l’automobile d’occasion restaient intactes. Au-delà de ces efforts marketing, la firme anglaise a beaucoup plus massivement investi dans une politique de croissance externe ambitieuse.

Sur 2021 et début 2022, Cazoo s’approprie Drover, Vans 365, Cluno, Swipcar et Brumbrum, cinq sociétés proposant des véhicules pour particuliers à l’abonnement ou à l’achat, respectivement en Angleterre pour les 2 premières, en Allemagne, en Espagne et en Italie pour un montant total proche de 250 millions €. Pendant la même période, le Groupe acquiert également les deux sociétés créées par son propre fondateur, Smart Fleet Solutions et SMH Fleet Solution, propriétaires de centres de maintenance, de préparation et de reconditionnement de véhicules d’occasion pour 26 et 86 millions € respectivement.

Dans l’intervalle, en décembre 2021 et à l’aune de la clôture annuelle accusant un déficit record de 620 millions €, Cazoo réaffirmait sa volonté d’investir de nouveau pour s’internationaliser, à l’image de son partenariat avec le World Snooker Tour sur un trio de tournois éponymes, le Cazoo Series.

Les amateurs de sport comme cible privilégiée

Afin de promouvoir localement ses récentes acquisitions, Chesterman concède de nouveaux efforts commerciaux d’envergure dans plusieurs sports.

Sur 2022, l’entreprise étoffe son portfolio en devenant en quelques mois l’un des sponsors les plus important des fléchettes avec la Professional Darts Corporation pour 8 tournois majeurs et 2.8 millions €, et en s’engageant dans le golf sur l’Open de France pour 1.75 million €.

Mais c’est dans le football que Cazoo affecte la majeure partie de son budget marketing. Coup sur coup, avant le début de la saison 2022-2023, la Real Sociedad, Valence, Marseille, Lille, Fribourg et Bologne officialisent un accord de sponsoring souvent large avec la société de vente de véhicules d’occasion, pour un total certainement supérieur à 30 millions € annuel.

C’est ainsi que Cazoo était régulièrement désigné comme « l’une des 20 marques les plus dépensières en termes d’accords de sponsoring sportif jusqu’au premier semestre 2022 », GlobalData estimant l’investissement annuel du Groupe à 82 millions € par an. Une manne inespérée pour les organisations sportives qui avaient largement souffert de la période Covid et se voyaient offrir des conditions particulièrement alléchantes.

Le « business realignment plan »

Mais l’idylle allait bientôt et déjà toucher à sa fin. En juin 2022 Cazoo faisait face à « la combinaison d’une inflation et de taux d’intérêt en hausse avec les problèmes de chaîne d’approvisionnement causés par la pandémie et la guerre » et annonçait un plan de suppressions de 15% de ses effectifs visant à préserver le cash au détriment de la croissance. La confirmation a lieu en septembre 2022, la société annonçant un « arrêt ordonné de ses opérations » en Europe, pour se focaliser sur le marché anglais sur lequel il performe. L’objectif est d’économiser 113 millions € à horizon fin 2023, et de trouver le chemin de la rentabilité. Un coup de massue pour les clubs qui démarraient leur collaboration 2 mois plus tôt…

Le plus prompt à réagir aura sans aucun doute été l’Olympique de Marseille. Deux mois après l’annonce, les Phocéens annonçaient leur prochain partenaire dans le cadre d’un partenariat inédit. CMA-CGM, l’un des leaders mondiaux en fret maritime et plus gros employeur privé de la ville, s’est engagé pour 2 ans à compter du 1er juillet 2023. Le montant de l’opération n’a pas été dévoilé, mais il serait légèrement supérieur à celui versé par Cazoo puisque son contrat n’intégrait pas les féminines.

Pas d’affolement du côté du LOSC où son Président Olivier Létang fait valoir le maintien du contrat actuel jusqu’à la fin de la saison, et annonce des discussions à venir quant à son éventuel terme anticipé. Même son de cloche du côté espagnol, italien et allemand qui déclaraient encore récemment ne pas avoir eu de contacts particuliers avec Cazoo, et feraient visiblement valoir la validité de leurs contrats actuels.

Fidèle à sa réactivité historique, le vendeur britannique n’a quant à lui pas tardé à se délester de certaines récentes acquisitions. Dans le dernier trimestre 2022, Aramis a racheté Cazoo Trading Italy, anciennement Brumbrum, et Renting Finders a repris Swipcar pour des montants restés confidentiels.

L’austérité du plan de réalignement annoncé par Cazoo devrait prochainement passer une étape importante selon leurs dires, avec l’arrêt des opérations courantes en France et en Allemagne. En attendant, l’entreprise a publié des résultats Q3 2022 encourageants avec notamment une augmentation de 103% du chiffre d’affaires comparativement au Q3 2021 à 395 millions €, une marge brute unitaire en progression à 550 € contre 200 € au trimestre précédent et un niveau de cash 350 millions € en plus d’un stock de plus de 170 millions €. L’occasion pour le board de confirmer l’objectif de profitabilité à fin 2023.

La rapidité de la mise en œuvre de la stratégie d’austérité d’Alex Chesterman aura peut-être eu raison de sa relative incrédulité au démarrage, lui qui n’a connu qu’une seule sortie de ses nombreux investissements, celui d’un site de vente d’articles sportifs d’ailleurs… Pour l’heure, les négociations autour de la résiliation des partenariats engagés en Europe semblent loin d’aboutir. Quoiqu’il en soit, Cazoo aura marqué le monde du sponsoring sportif au point qu’il sera certainement plus difficile à convaincre si d’aventure Chesterman rêvait à nouveau d’un développement européen dans les prochaines années.

François-Xavier Gérard
François-Xavier Gérard, membre de l’Observatoire du Sport Business, titulaire du Global Esxcutive MBA de NEOMA, est un expert de l’organisation et management des organisations.

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