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Nous devons réinventer l’entreprise, lui redonner du sens


Tribune de Samuel Solvit, fondateur du cabinet Blacksmith & Prophet Comment redonner du sens dans l’entreprise ? Quête symptomatique de la crise du capitalisme, c’est l’enjeu majeur de demain pour tous les dirigeants. La question n’est pas neuve, ni exclusive au monde économique actuel. C’est en quelque sorte le combat de...

Entreprendre - Nous devons réinventer l’entreprise, lui redonner du sens

Tribune de Samuel Solvit, fondateur du cabinet Blacksmith & Prophet

Comment redonner du sens dans l’entreprise ? Quête symptomatique de la crise du capitalisme, c’est l’enjeu majeur de demain pour tous les dirigeants.

La question n’est pas neuve, ni exclusive au monde économique actuel. C’est en quelque sorte le combat de chaque homme sur Terre : donner du sens à ses actions, avancer et construire individuellement et ensemble, donner une raison d’être à son existence. Cependant, à chaque époque ses spécificités. La nôtre a créé une machinerie productiviste gigantesque, un monde de « business » démesuré. Accélération, hyper-segmentation, taylorisation, transformation technologique constante, internationalisation des marchés, technicisation, financiarisation… dans cette compétition globalisée, l’unique finalité économique ne suffit plus à faire fonctionner le « système ».

Et les salariés sont aux premières loges de cette perte de sens. Quid de l’utilité réelle de leur travail ? Quid de l’humanité de leur quotidien, naviguant entre bureaucratie et KPI – Key Performance Indicators ? Quid de la finalité de l’entreprise, au-delà de sa rentabilité financière ?

L’entreprise, cet organisme social par excellence, se retrouve ainsi face à elle-même dans un exercice aussi périlleux qu’ambitieux : « redonner du sens », pour ses salariés, pour ses clients et pour elle-même. Ainsi a émergé la notion de « raison d’être » de l’entreprise qui veut dépasser la simple finalité économique de l’entreprise ; ainsi sont apparus les travaux autour du « leadership », mythifiant le meneur d’homme, à la fois si nécessaire pour fédérer les énergies, mais qui ne peut à lui seul répondre à cette quête profonde de sens qui traverse la société ; ainsi sont nées toutes les modes actuelles d’« empowerment » et de motivation des collaborateurs, afin de redonner goût au travail, de mieux manager, de générer plus d’engagement des équipes. Ces idées louables sont bien souvent superficielles et disparaissent quelques années après leur création.

Dès lors, que faire ? Le seul point de départ possible est un engagement complet et constant impulsé par les dirigeants, une réelle intention et la détermination de transformer l’entreprise, de la penser autrement. Sans cela, ne peuvent demeurer que des « gadgets managériaux », des tentatives de transformation et des déclarations philanthropiques dominés en définitive par des indicateurs financiers. Il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de convaincre les actionnaires, cependant les temps changent : faire le bien peut rapporter ! Tout commence ainsi dès la vision stratégique. C’est bien là que les choses doivent changer : renverser le paradigme et concevoir l’entreprise différemment, avec une vision et un projet respectueux de son écosystème (humain, social, écologique), suivi d’un engagement entier soutenu par le haut et incarné dans l’ensemble des activités de l’entreprise. Le profit est essentiel, mais ne peut plus être le seul et ultime objectif.

Tout l’enjeu est de ré-anoblir les métiers, afin de sortir de la simple gestion et valoriser l’action de chacun. Redonner du sens à l’entreprise et à son économie, c’est avant tout redonner de la cohérence dans la manière de produire, dans son organisation, dans les petites tâches autant que dans les grandes finalités. Cela requiert de redonner aux hommes une prise réelle et valorisante sur leurs métiers et sur ce qu’ils produisent, de susciter plus de confiance et de respect. C’est d’ailleurs ce même défi que pose l’intelligence artificielle en nous obligeant à repenser les métiers, la place et la plus-value des hommes. L’entreprise doit être pensée comme une organisation sociale vivante, et non pas comme une pure entité technique et économique.

Des exemples, il y en a : Patagonia, MAIF, Michelin, Camif… mais la méthode n’est ni unique, ni magique. S’il y a un secret, il est dans l’engagement et le travail d’orfèvre, impulsé par les dirigeants, puis repris par les équipes pour toucher chaque collaborateur. Progressivement, avec une discipline quotidienne, l’entreprise entière doit se transformer pour donner concrètement et authentiquement plus de sens à chaque niveau : le management, l’offre de valeur, l’organisation, le système de production, les achats, la communication et le marketing… Il faut une intention réelle, de l’engagement, du travail, de l’éthique, de l’esthétique, une vision. Donner du sens, c’est donner de la vie et donc de l’énergie. L’entreprise du futur, si elle veut réussir, fidéliser ses clients, s’entourer de collaborateurs talentueux, sera engagée, humaine et visionnaire.


Samuel Solvit, fondateur et dirigeant du cabinet Blacksmith & Prophet, spécialisé dans le conseil de dirigeants sur la vision, le sens, la stratégie et la transformation éthique. 10 ans de conseil de dirigeants publics & privés en stratégie, organisation et innovation (dont 6 ans au ministère des armées).

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