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Liban : Roger Nasnas, patron d’Axa Middle East et bienfaiteur

Roger Nasnas, ancien Président du Conseil Economique et Social, vit au Liban. Il est membre de nombreuses associations de bienfaisance qu’il préside la plupart du temps. Il se qualifie comme un « homme de bonne volonté au service des autres ». Et ses amis le surnomment « l’entrepreneur social efficace ». Portrait d’un homme aux multiples facettes qui tutoie, aussi bien, les grands de ce monde que les plus petits.

Roger Nasnas à gauche sur la photo ( A. Bordier)

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Sa vie ressemblerait-elle à celle du héros du roman de Paul Morand, publié en 1941, qui est devenu un film mythique, réalisé à trois reprises et sorti en 1977, 1997 et 2018 ? Dans celui de 1977, celui d’Edouard Molinaro, Alain Delon y tient le rôle principal d’un entrepreneur pressé, collectionneur, Pierre Niox. Alors, est-ce que Roger Nasnas ressemble à Pierre Niox ? Non, car la vie de Roger Nasnas est une collection d’œuvres non pas d’art, mais d’actions entrepreneuriales et sociales. Alors, à Alain Delon ? Non plus, même si son teint halé pourrait rappeler celui de l’acteur.

Quand on regarde son visage dégarni en forme de bouchon de champagne, son sourire affable et généreux, son franc parler, à la fois doux et précis, presque sérieux, il est impossible de penser que cet homme travaille « quatorze heures » par jour. Et, pourtant, si. « C’est un gros travailleur, acharné », confirme l’un de ses proches, le docteur Robert Sacy. « Il a développé les activités de la société d’assurances de son père et de ses associés. Mais, surtout, il passe son temps à aider les autres. C’est un entrepreneur social hors-pair. » Un autre proche, Zafer Chaoui, qui l’accompagne dans les œuvres de bienfaisance, ajoute : « Roger Nasnas est un homme entier, dévoué, fidèle et d’une grande honnêteté ».

Le dispensaire Saint-Antoine

Sur le terrain de la bienfaisance, nous retrouvons le serial-bienfaiteur-entrepreneur à Beyrouth. Dans cette ville qui continue à vivre, malgré la guerre qui frappe ses frontières du sud, à deux heures de route, nous le retrouvons en bras de chemise. Il a ôté la cravate et la veste. La température va grimper jusqu’à 29° C. C’est ici, dans cette capitale meurtrie par la guerre fratricide de 1975-1990, qu’il s’est investi dans plusieurs œuvres sociales. L’une d’entre-elles se situe à Gemmayzeh, au dispensaire Saint-Antoine, d’obédience grec-catholique.

La voiture se gare juste à côté. A son arrivée, Roger Nasnas est vite entouré d’une partie de l’équipe au service des plus pauvres et des personnes en grande difficulté. Cette équipe est complétée par un conseil d’administration, « dynamique et homogène ». Avec Joseph, Lina, Mira, les sœurs et le reste de l’équipe, ce sont plus d’une cinquantaine de patients qui bénéficient quotidiennement des services médicaux et sociaux du dispensaire. Un havre de paix pour les plus démunis où l’amitié, la bienveillance et les soins sont les valeurs essentielles.

Un dispensaire et un taboulé

Ici, dans ce dispensaire, alors que depuis les crises successives de 2019 et 2020, la pauvreté a grimpé en flèche pour atteindre son pic de 80% de la population touchée – elle est redescendue aux alentours de 70% – les patients bénéficient de soins plus ou moins gratuits. Lina et Mira plantent le décor de leurs activités : « Oui, nous sommes très sollicités. Les personnes viennent pour des consultations poli-médicaments, pour les services sociaux, pour les soins dentaires. Au deuxième étage se trouvent les services pour le 3è âge. Ils peuvent se laver, prendre une douche et se restaurer à la cantine. »  

Roger Nasnas salue avec affection toute son équipe. Il laisse Joseph, le directeur, continuer. « Ici, les médicaments sont à moitié prix, voire gratuits », insiste-t-il, alors que nous passons de pièce en pièce.

Nous sommes pressés. Roger accélère le rythme, tout sourire. Tel un jeune homme – il est né en 1949 – il monte trois à trois les marches de l’escalier. A 74 ans bientôt, il a gardé toute sa dextérité. « Vous êtes à l’étage du 3è âge, où viennent tous les matins une soixantaine de personnes » précise-t-il en saluant les sœurs venues l’accueillir. « Ce sont des grecques-catholiques ». Elles sont les responsables de la cantine. La déambulation continue en direction de la cuisine où elles préparent le fameux taboulé 100% libanais. Les sens sont en éveil.

B comme Bienfaiteur

En tout, sur les 8 mois glissants de 2023, le dispensaire a reçu, aidé, nourri et soigné plus de 8 000 personnes. « Une vingtaine de salariés travaillent ici, dont les sœurs », précise Joseph. Au même moment, Roger déguste une petite portion de taboulé. C’est l’heure de passer à table, ou presque.

Avec un budget annuel de 600 000 dollars, ils arrivent à faire tourner tout le dispensaire. C’est un miracle, en France, il faudrait rajouter un zéro de plus. Et, les repas n’ont rien à voir avec nos standards occidentaux. Ici, la diète est interdite, exception faite aux régimes. 

« Allez, je vous emmène à l’oasis. Vous allez voir, là-aussi, nous œuvrons pour les autres… » Je suis décontenancé… Je pensais faire un reportage sur un hommes d’affaires, un business-man aux multiples réussites, aux multiples casquettes et aux multiples décorations. Mais là, j’ai en face de moi, un Monsieur, qui parle aussi bien à un SDF, qu’à une personne âgée sans ressource, qu’à un président. Là, un Monsieur qui est un bienfaiteur. Comment fait-il pour gérer son serial-temps ? Mystère. Un mystère qui entraîne vers la serial-bienfaisance.  Tel un coureur de fond qui accélère en vue de l’arrivée, il n’oublie pas les autres. Il court pour les autres. Il court vers une oasis. Oasis ? Quel drôle de nom dans le pays du Cèdre de Dieu où coule l’eau, le lait, le miel, la neige et le vin.

O comme Oasis, V comme Vie

Nous ressortons du dispensaire. « Nous allons maintenant visiter ODV, Oasis de Vie, qui est un centre de santé avec plus de 130 lits. Il a été inauguré en 2019 par l’Association de Bienfaisance grecque-catholique de Beyrouth et sa banlieue. » Cette grande dame, l’ABGCBB, est une vieille institution qui est née, il y a… 140 ans, en 1883. Au Liban, la communauté grecque-catholique fait partie des 18 confessions qui forment la mosaïque du pays du Levant. C’est une petite communauté, qui est représentée par moins de 100 000 familles. Elle est petite, mais elle est très dynamique. Et sa valeur essentielle, après Dieu, est le vivre-ensemble.

Nous reprenons la voiture. Chemin faisant, Roger raconte une histoire poignante. « En 1987, nous étions en pleine guerre civile du Liban. J’ai eu une expérience très forte avec un proche, qui a eu un grave accident. Il était en danger de mort. Dieu l’a sauvé. Cette expérience m’a fortement marqué. Plus tard, j’ai voulu faire quelque chose pour protéger la vie, pour les soins, pour les autres. Nous étions une équipe de 24 personnes de la société civile. Nous nous sommes lancés dans les soins préventifs. Nous recevions des médicaments… »

Il continue alors que nous quittons le quartier de Gemmayzeh pour nous rendre dans celui d’Achrafieh, plus au sud-est. Là, des immeubles du 19è siècle et ceux des années 20-30, où l’Art déco régnait sur tout Beyrouth, côtoient des gratte-ciels à l’architecture futuriste, dont la hauteur rivalise les uns avec les autres. Nous passons devant une vieille demeure, qui ressemble à un palais des mille et une nuits. Puis, 5 mn après, la voiture s’arrête au pied d’un immeuble de 8 étages. « Nous sommes arrivés. »

Un établissement de premier plan au Moyen-Orient

« Nous voulions faire, au début, il y a une dizaine d’années, un asile pour personnes âgées. Puis, nous avons évolué, nous nous sommes adaptés en fonction des nouveaux besoins. Et, nous avons créé Oasis. » L’immeuble est magnifique, il a été inauguré en mars 2019, en présence de l’Archevêque de Beyrouth Georges Baccouni, et de nombreuses personnalités comme Zafer Chaoui, qui préside aux destinées du centre de soin et de convalescence, avec les administrateurs, les bienfaiteurs et les salariés.

« Soyez le bienvenu, nous allons vous montrer les services » introduit Saydeh Muallem Nassar, la CEO du centre. Elle nous emmène directement au dernier étage pour visiter les chambres dites de première classe, et les suites qui sont mises à la disposition des familles des patients en longue durée. Dans cette oasis de soins, les services sont nombreux. « Nous proposons de la physiothérapie et des soins de réhabilitation. Nous avons tout un étage prévu pour les malades atteints de la maladie d’Alzheimer ou de démence. Nous assurons les soins palliatifs et les soins de fin de vie, etc. »

Le sourire de Noura

Noura est une patiente, qui vit à l’ODV depuis deux ans. Elle suit des soins de réhabilitation pour ses jambes, atrophiées. Dans son lit, elle a gardé le sourire aux lèvres. Elle est restée coquette. Son visage est joliment et simplement maquillé. Elle est entourée de deux infirmières qui sont aux petits soins pour elle. « Je suis vraiment ravie d’être ici. J’ai de la chance. » Cette oasis serait-elle devenue un paradis ?

Alors que la crise de 2019 frappe de plein fouet le Liban, 7 mois après l’ouverture du centre, toute l’organisation se demande si elle pourra se relever de cette première crise. Et, au Liban, les crises ne sont pas des crisettes, des petites crises, ce sont de grosses crises. Le financement d’ODV étant privé, il dépend, ainsi, directement de la santé financière des patients, mais, surtout, de celle de ses bienfaiteurs. Et, puis, une deuxième épreuve les frappe en plein cœur : celle de la double explosion du port de Beyrouth. « Là, les difficultés étaient majeures, mais nous avons relevé le défi », se souvient Roger. Séquence grande émotion.

L’homme de tous les défis

Roger Nasnas n’est pas n’importe qui. Des défis, il en a relevé des centaines, avec brio. Il a cela dans le sang, dès sa naissance. Le premier défi, qu’il relève est celui de rester au pays, en pleine guerre civile. Il a 26 ans lorsqu’elle démarre. Puis, il prend ses responsabilités entrepreneuriales à la suite du décès de son père, en 1976. Il apprécie, aussi, les start-ups. C’est pour cela que dans les années 1990, il s’associe à une start-up dont l’activité est le contrôle des actes et des factures médicales : GlobeMed Limited. Il a eu le nez fin, car elle est devenue une référence. Elle a même été pionnière sur son marché et s’est développée dans tout le Moyen-Orient.

La réussite du bienfaiteur-entrepreneur ne s’arrête pas là. Avec d’autres chefs d’entreprise, il décide de créer une sorte de petit CNPF libanais, en 1986. Roger Nasnas devient le co-fondateur du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais, ou RDCL. Il va en devenir le président à plusieurs reprises dans les années 90.

Il est des défis comme de la vie, comme de la réussite : quand on les aime, ils abondent. C’est ainsi, qu’à la fin des années 90, un autre défi lui est lancé. Plus qu’un défi, il s’agit d’une nouvelle aventure : celle du Conseil Economique et Social, du CES. « Oui, c’est une belle aventure qui a commencé à la fin de la guerre, en 1990, et à la suite des accords de Taëf. Le Liban avait besoin d’une institution indépendante qui travaille sur des sujets économiques et sociaux. »

Le CES, la société civile et le Liban de demain

« L’accord de Taëf, en 1989, prévoyait la formation du CES. Puis, concrètement, il a vu le jour en 2000, avec la mission d’instaurer un dialogue économique et social, permettant de concilier les besoins de la société civile avec les politiques économiques et sociales de l’État. Le CES conseille l’exécutif dans ce domaine. » C’est ainsi qu’est né le CES libanais, l’alter-ego de celui qui existe en France. Roger Nasnas en a été le premier président. Il a continué jusqu’en 2017, presque non-stop. Les travaux du CES ont marqué le Liban, notamment, dans les secteurs de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la santé, de la sécurité sociale, des retraites, et de l’économie.

Sa présidence, entre 2000 et 2017, l’a amené à renforcer les liens avec les CES mondiaux. Il a co-fondé l’association des CES Arabes en 2012. Il en a été par la suite le président. « C’étaient des moments importants où nous échangions nos expériences et nos bonnes pratiques. Nous avons été soutenus par l’association des CES mondiaux au moment où le Liban connaissait de grandes difficultés », se souvient-il.

Puis, autre fait majeur, en 2016, juste avant de céder la présidence à son successeur, il sort un livre : Le Liban de demain, vers un développement économique et social. Co-écrit avec 23 contributeurs, ce livre de 656 pages, paru aux Editions Dar an-Nahar, est une véritable encyclopédie de solutions. « Oui, nous l’avons écrit en ce sens : apporter des solutions aux responsables, aux organisations économiques, aux employeurs et aux syndicats. Nous l’avons écrit pour toute Libanaise et tout Libanais. En 2007, nous avions écrit un premier livre qui avait le même titre, mais au lieu de  développement , nous parlions de  vision  ».

Dans l’intimité du père et du fils

Nous changeons une deuxième fois de lieu pour nous retrouver au pied d’un immeuble : celui de la tour AXA du Liban. Dans son bureau d’Axa, celui du président, les murs sont recouverts de souvenirs. Nous déambulons dans un petit musée de souvenirs familiaux, de décorations, de prix et autres récompenses, et de photographies multiples. C’est là où travaillait son père.

La famille ? Elle est très importante pour Roger. D’autant plus qu’il travaille avec son frère, Elie, qui assure la direction générale, et, son fils, Joseph, qui en est le directeur général adjoint.

Roger a pris l’habitude de ne jamais travailler assis à la table de son père. Comme si le lieu était sacré. Ses heures de travail ? Elles ne sont plus de « quatorze heures par jour », car il a décidé, depuis quelques mois, de profiter de sa famille et de ses petits-enfants. « Mon petit-fils de 11 ans a, déjà, des idées de start-up », confie-il en s’asseyant à la grande table de réunion qui lui sert de table de travail. Son petit-fils, porte le même prénom que lui. Et, en plus il lui ressemble comme une goutte de lait. Tous les deux, grand-père et petit-fils, ont le même sourire. C’est bon signe…Séquence génération et transmission.

Assis à sa table, Roger (le président) épluche les dossiers posés devant lui. Il en extrait quelques articles – des dizaines ont été écrits sur lui. Il tombe sur celui-ci qui titre : « Roger Nasnas, l’homme aux multiples casquettes ». En fait, il porterait davantage le chapeau que la casquette. Et, ce titre ne lui va pas. Il acquiesce. Il est plutôt un personnage aux multiples facettes.

Un côté petit prince, à petits pas

Il a un côté petit prince, celui de Saint-Exupéry, quand il commente quelques photos-souvenirs encadrées, où on le voit avec Claude Bébéar et d’autres personnalités économiques et politiques françaises et libanaises. Il apprécie celle avec Jacques Chirac. Une photo de 1996 ! Roger ne fait pas de politique, mais il les côtoie, il les conseille. Parfois, il les tutoie à l’oreille. Mais, c’est surtout à l’oreille de Dieu qu’il aime chuchoter. Il aimerait, d’ailleurs, qu’Il agisse plus pour la paix, surtout en ce moment.

Il me montre ses trésors de spiritualité, quelques médailles religieuses, qui viennent de la rue du Bac, à Paris. Ses médailles font penser aux honneurs. Les honneurs ? « Je ne les ai jamais recherchés. Mais, je les ai acceptés. Pas pour moi, pour mes parents, pour ma famille, pour ma femme, mes enfants et mes petits-enfants. Pour mes associés et mes collègues, sans qui je ne serai pas arrivé là où je suis. »

Un chevalier au cœur francophone

Il a été décoré à plusieurs reprises. Il a été fait, ainsi, chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur et chevalier de l’Ordre national du Mérite (en 2001 et en 1986). En 2009, cet amoureux de la France, de sa culture, de son esprit et de son verbe, recevait le prix de la Francophonie économique. Il aime les chiffres et les lettres, c’est certain. Il y a quelques mois, en mai 2023, le pape François le fait chevalier de l’Ordre de Saint Sylvestre. Une distinction qu’il a reçue en commun avec son ami Zafer Chaoui, remise par le patriarche grec-catholique-melkite, sa Béatitude Youssef Absi. Une distinction très rare.

Toujours à sa table de travail, toujours à la recherche d’un bienfaiteur pour ses œuvres sociales, Roger Nasnas ne s’arrêtera jamais. Il continuera à petits pas son ascension vers les autres. Comme il le dit lui-même : « Avec un peu de chance, de la persévérance et de la transparence, on peut réussir. Il faut, aussi, savoir bien s’entourer. Mes convictions m’ont poussé à y aller, à gravir cette montagne de la vie, sûrement, à petits pas, et de vouloir réussir. J’aime cette devise : Les difficultés sont faites non pas pour abattre mais pour être abattues par celui qui les affronte. » Il pourrait, ainsi, conclure : « Toujours plus haut, vers les autres… »

Pour aider et en savoir plus sur ODV : http://www.oasisdevie.com/

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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