Je m'abonne

Liban : Khan Al Saboun, le savon qui s’exporte dans le monde entier

Copyright des photos A. Bordier

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

Retenez bien cette date : 1480. C’est le début de cette histoire, qui démarre dans les environs de Tripoli. Le Liban est la terre du cèdre, du lait et du miel, comme le décrit la Bible. C’est, également, celle du savon ! Retenez bien ce nom : Khan Al Saboun, car c’est celui d’un savon qui s’exporte dans le monde entier. Et, retenez bien ce lieu : Eco-Village de Bader Hassoun, un complexe de bien-être écologique, où la beauté, la nature et les soins sont les rois. Immersion dans cette histoire familiale féerique.

De Beyrouth, la capitale, il faut une heure et demie seulement, en temps normal, pour se rendre dans les faubourgs de Tripoli, la deuxième ville du pays, située au nord. Mais, là, en cette matinée qui célèbre les premières heures printanières, rien ne va. C’est l’effervescence. Les coups de klaxon se multiplient à la mesure des bouchons qui s’accumulent sur la route principale – une sorte de voie périphérique intérieure qui traverse Beyrouth et qui longe la Méditerranée. Elle est belle cette mer, que chantait le mythique Ulysse à bord de son petit navire homérique. Comme lui, nous partons en expédition vers le nord.

A bord de son 4×4 – car nous sommes dans un pays de montagnes, et il a neigé cette semaine sur les hauteurs – le fils aîné du Docteur Bader Hassoun, Ahmad, la trentaine passée, est impressionnant. Il connaît l’histoire familiale par cœur. Il en est comme modelé, pétri, parfumé. Avec sa longue barbe blanche, poivre et sel, et son blouson noir, il a un look proche des célèbres motards américains qui traversaient les Etats-Unis d’est en ouest, chevauchant leur Harley-Davidson. Des durs, mais, lui est un doux.

Nous sortons de Beyrouth, ville trépidante, qui sent bon l’Orient. Beyrouth est, également, une ville meurtrie, défigurée par les explosions du 4 août 2020 – celles du port qui ont fait près de 300 morts et plusieurs milliers de blessés. Comme à son habitude, à chaque drame, chaque épreuve, chaque tragédie, le peuple Libanais s’est remis debout, vite. Très vite même, puisque la plupart des bâtiments et des immeubles, qui ont été soufflés, ont été reconstruits. Ce pays de 6,8 millions d’âmes a vu, une fois encore, sa population augmenter (ils seraient plus de 7 millions aujourd’hui) avec la venue de nouveaux réfugiés syriens, qui ont fui les derniers tremblements de terre des 6 et 7 février dernier. « Oui, nous avons ressenti ces tremblements de terre, jusqu’ici, mais rien de grave. »

Une histoire de « conte de fées »

Ahmad évoque les prémices de l’épopée familiale, tout en répondant à son Iphone. En 1480, le Liban est sous influence, des Mamelouks d’un côté, et des Ottomans de l’autre. Le petit pays est attaqué, envahi, conquis. Les Libanais continuent à vivre dans cet environnement sous-tension et ils développent, au milieu des affres, leurs affaires. C’est à cette époque, que la première génération Hassoun se lance dans l’aventure du bien-être et du savon.

En 1480, le gouverneur de Tripoli s’appelle Youssef Beik Sayfa. C’est un amoureux de la civilisation, des cultures et des hommes. Il va fonder le caravansérail d’AlSaboun, en plein cœur de la ville. C’est celui du commerce du savon. En haut de l’affiche de ce commerce, vieux comme le monde, se trouve la famille Hassoun. Elle écrit, teste et produit ses premières recettes savonneuses. Le succès de sa longévité : tout est ancestral et naturel, organique ! Et, ce sont principalement les femmes, qui en ont fait le succès. Elles en sont amoureuses. Très ! Avec les hammams qui entourent le lieu et à travers les passages ombragés qui mènent aux souks, de Nahhasine et d’Al Areed, l’histoire du savon et des premiers produits de bien-être va traverser les siècles et les berges libanaises de la Méditerranée, jusqu’à aujourd’hui.

La notoriété orientale de l’époque s’explique par le fait que les échanges commerciaux sont dynamiques, notamment, grâce à la route de la soie. « Les Arabes et les Européens en raffolent. Le savon se retrouve accroché aux baignoires des Européens, dès la période de la Renaissance. »

Raconte-moi un olivier

Ahmad est, enfin, sorti de Beyrouth, il emprunte la route des Bords de Mer. Il précise que : « Notre savoir-faire est, certes, ancestral. Mais, ce sont nos clientes qui ont fait de notre histoire familiale, très artisanale, une réussite commerciale. Aujourd’hui, ce sont plus de 200 familles que nous faisons vivre grâce à nos savons et nos produits de bien-être. Nous exportons dans une quarantaine de pays. Nous vivons, depuis, le développement de la marque, qui s’était éteinte. Il y a une nouvelle génération celle de mon père. Et, nous travaillons à ses côtés. Nous vivons un véritable conte de fées, car notre développement ne fait que commencer. »

Après Byblos, l’une des plus vieilles cités antiques du monde, Batroun, puis, la route des Bords de Mer, le 4X4 blanc d’Ahmad oblique plein est, et roule en direction des collines sud de Tripoli. L’horizon bleu fait place à l’horizon des collines vertes, agricoles, où de nombreux oliviers ont été plantés. Les villages de pierre traversés sont magnifiques, quelques moutons noirs et blancs y gambadent.

« Bienvenus dans notre Eco-Village ! »Le 4X4 s’est arrêté devant un complexe de plusieurs bâtiments en pierre, qui épouse la colline. Le Dr Bader Hassoun est là. Il embrasse son fils. « Nous sommes exactement à Koura, au sud de Tripoli, à 15 mn. Ici la nature est reine. Nous sommes entourés d’oliviers. Nous avons bâti cet éco-village sur 3,5 ha. » Petit, le teint hâlé, le professeur, chercheur et fabricant de savons, de parfums, de produits de bien-être et de soins, n’a pas une minute à lui. Au pas de course, nous le suivons dans le premier bâtiment qui concentre les boutiques et les salons de soins.

Une famille…nombreuse

« Venez, je vais vous présenter notre équipe et nos activités. » Avec ses 9 enfants, et ses presque 50 petits enfants, il est à la tête d’un petit royaume familial qui rayonne sur tous les villages environnants.

« J’ai 3 garçons et 6 filles. Ils vivent tous ici. Nous y vivons, nous y travaillons et nous y accueillons tous nos clients. Nous y organisons des évènements, qui subliment notre histoire, la nature et nos produits. Des personnalités viennent du monde entier. »

En entrant dans la bâtisse qu’il appelle « show-room », mais qui ressemble à une maison de maître distribuant, au rez-de-jardin, deux salons de chaque côté de l’énorme hall tamisé de lumières, et un open-space de boutiques, la première sensation est enivrante, presque magique. A l’étage se trouve les bureaux administratifs, le management et la gestion. Les bureaux sont sobres, presque spartiates. Dans le bureau du big boss, une vitrine de trophées donne une idée du chemin parcouru et des récompenses obtenues.

Dans le hall, les savons, 100% naturels, fabriqués de façon ancestrale et artisanale, attirent votre regard. Bleu, vert, beige clair, oranger, présentés avec soins dans des vieux paniers en osier, au toucher, ils rappellent ceux de nos grands-mères, quand on débarquait, avec la ribambelle de frères et sœurs, dans sa ferme, au cœur d’un village de France, de cette vieille France des paysans qui fleure bon la nature. Non, là, vous êtes chez Bader Hassoun, dans son Eco-Village. Il y marie l’histoire, le présent et le futur. Le neuf et l’ancien. Il est un alchimiste.

Un Eco-Village et des récompenses

Antoinette et toute son équipe vous accueillent. Elle présente les savons et les parfums, tous les produits de soin. La balade bien-être commence. Les sens sont en éveil.

Antoinette est la responsable des ventes. C’est une francophone. Elle parle le français en roulant les r. Son petit accent est chantant, presque dansant, entraînant. Les trésors de l’Orient se répandent à travers ses propos, comme autant de gouttelettes parfumées qui s’évaporent des flacons mal refermés.

Le Dr Bader évoque les faits marquants de son éco-village sorti de terre, il y a 10 ans. Un labeur-vert récompensé :

« En 2016, nous avons reçu un label pour la promotion et la mise en place du concept des Villes-Santé de l’OMS. Nous avons, également, été choisi par le Conseil Arabe pour une Economie Verte, en tant que premier village arabe au monde spécialisé dans l’investissement dans l’économie verte et dans le développement durable.

Nous avons reçu de nombreuses autres récompenses, comme la médaille d’excellence écologique de la part de l’Union Arabe de la Jeunesse et de l’Environnement, en plus d’avoir été inclus sur la carte du tourisme diplomatique et mondial par l’Union Internationale des Ambassadeurs des Etats-Unis. »

Une plantation de… cactus

L’éco-village s’est, également, un laboratoire, une fabrication artisanale semi-manuelle, des matières premières organiques et une plantation de… cactus.

La fleur de cactus est féminine, mais son parfum s’adresse aux hommes. Y sont renfermés des trésors de touches olfactives gorgées de lait et de soleil. En bas de sa colline, qui se termine par une falaise rocheuse où se dissimulent quelques cavités, il a planté sur une longueur de 100 mètres et sur une largeur de plusieurs mètres, ses précieux cactus. On se croirait au Texas, ou au Mexique. Ils ne sont pas encore en fleur. Son éco-village ressemble à une grande ferme. Il a, également, des animaux d’élevage, pour son restaurant.

Le patriarche revient sur l’histoire incroyable de cette success-story familiale, qui s’est interrompue lorsque son père s’est investi dans le secteur aurifère, et lorsque dans les années 1985 Bader a fait faillite. Bader, du jour au lendemain, a dû se réinventer. Tapie en lui, son histoire familiale ancestrale est remontée à la surface de ses projets entrepreneuriaux. Puis, dans les années 2000, il a relancé 6 siècles d’épopée savonneuse parfumée.

« En fait, notre histoire est encore plus ancienne que cette année emblématique de 1480. Elle est un marqueur fort, car nous n’avons pas pu réunir les documents nécessaires, justifiants cette antériorité. Nous avons une certitude transmise par la tradition orale, celle de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents. »

Dans le laboratoire du Dr Hassoun

Son grand-père s’appelle Abdel Kader Al Akhdar, il était apothicaire. C’est à partir de ses travaux, que son petit-fils a créé ses premières formules, ses premiers parfums, ses premiers savons et ses futurs produits adaptés à tout type de peau. Ce n’est pas tant la beauté qui est recherchée que les soins qui sont prodigués.

Il quitte son bureau et emprunte un escalier. Direction son laboratoire, presque caché dans les entrailles de son éco-village, dans les sous-sols. Il se change et enfile sa blouse blanche. Avant, nous étions avec l’entrepreneur-visionnaire, respectueux des traditions. Là, nous sommes avec le Géo-Trouvetou du bien-être. Dans ce laboratoire où travaille une demi-douzaine de personnes, dont principalement des femmes, il présente ses trésors : une centaine de matières premières, dont des fleurs, des racines, des huiles végétales, des poudres…Dans des sachets posés sur une étagère, ses échantillons, ses essais, ses tests, sont soigneusement répertoriés. « C’est mon trésor », ajoute-t-il en souriant. Les parfums d’origan, de jasmin, de miel, d’olive et de thym embaument la pièce. Le bien-être vous colle à la peau. Vous décollez dans des suavités parfumées.

Le cœur dans la peau

Dans la famille de Bader, on n’achetait pas son savon, on le fabriquait ! Mais, avec l’arrivée de la révolution industrielle, la fabrication artisanale, la leur, a périclité. « Ce n’était plus rentable », explique le Docteur, diplômé en Inde. Il y a 70 ans, l’activité s’est arrêtée. « Mon père a changé d’activité, et il s’est investi dans le secteur aurifère. » Et, Bader a continué cette activité familiale. Puis, l’appel aux racines, aux sources familiales a été le plus fort, après une terrible épreuve.

Aujourd’hui, ses projets sont multiples, ses amis, également. Ses clients embrassent toutes les religions, qui se côtoient et s’apprécient sans souci. Ses produits sont diffusés dans une quarantaine de pays, à travers une cinquantaine de boutiques (en franchise). En pleine pénurie d’électricité, il a posé ses propres panneaux solaires. Il a, également, ouvert un restaurant. De sa terrasse ombragée par une belle tonnelle, il domine toutes les collines. En bas, sa plantation de cactus vous entraîne dans un autre monde.

Entouré d’Ahmad, d’Oussama et d’Amir, sa générosité ne le quitte plus, lui qui a connu la faillite et qui a rebondi avec ses bulles de savon, avec son rêve, sa vision.

Des bougies dans les yeux

Généreux, le cœur dans la peau et sur la main, il offre des coffrets bien-être à toutes les personnalités de la planète. La dernière en date : le pape François ! Il a développé plusieurs gammes de soin pour la peau.

Son Eco-Village est une invitation au voyage du bien-être et de la nature. Sa vie est un conte des mille et une nuits. La nuit, justement, il lui arrive, avec ses enfants, d’allumer des ballons incandescents, pour le plus grand bonheur de ses petits-enfants et des villageois alentours, qui les voient s’envoler vers les étoiles, des bougies dans les yeux.

Et, le Dr Bader Hassoun ne compte pas s’arrêter-là. C’est atypique, pour quelqu’un qui n’aime pas les voyages. Il préfère fouler la terre de ses ancêtres, cultiver son gigantesque potager libanais et vivre dans son laboratoire une moitié de chaque journée…pour le plus grand bonheur des autres.

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne