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Liban : Arine Ghazarian, une jeunesse au service des Arméniens et des Libanais

Copyright photo A. Bordier

De notre envoyé spécial Antoine Bordier

Elle est la jeune directrice exécutive de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance, l’UGAB-Liban, qui est l’une des premières ONG du pays. Elle vient en aide principalement aux 150 000 Arméniens, qui vivent au pays du Cèdre de Dieu. Là, dans ses bureaux qui se situent rue Yerevan, à Beyrouth, elle revient sur ses années passées au chevet des Arméniens et des Libanais, éprouvés, récemment, par les explosions du port, et la crise de 2019. Lumière sur une femme qui a fait de la bienfaisance sa vocation. 

C’était le 4 août 2020. Vers 18h05, une première explosion se fait entendre dans Beyrouth, vers le port. Les 2 millions d’habitants de la capitale se figent, puis, se précipitent à leurs fenêtres de bureau ou de domicile. Dans la rue, les piétons se mettent à courir pour essayer de comprendre. Ils veulent voir ce qu’il se passe. Les voitures s’arrêtent. Les conducteurs sont désemparés. Tous voient un énorme champignon de fumée blanche monter vers le ciel. Il est suivi d’un plus petit, dont la fumée orange étonne. Le mélange va se révéler explosif. Quelques 2 petites minutes plus tard, c’est la seconde explosion. Enorme, elle emporte tout sur son passage et fait une percée thermobarique dans toutes les directions. Les fenêtres des immeubles et des habitations alentours sont soufflées, des murs s’effondrent. Les personnes qui se trouvent dans un rayon de moins de 2 km du port sont projetées en avant. Cette deuxième détonation, dont le souffle soulève la poussière et même les gravats, a été entendue jusqu’à Chypre, en Turquie, en Syrie et même dans le nord d’Israël (les pays voisins du Liban). Parmi les blessés, certains n’en sortiront pas. Les 300 tonnes, selon certaines sources, de nitrate d’ammonium ont eu raison d’eux. Ils sont plus de 217 à mourir et plus de 6.200 blessés. Enfin, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont devenues SDF en quelques secondes. Les responsables n’ont, toujours, pas été retrouvés. L’enquête piétine. Certaines personnes auraient, même, entendues le bruit d’un missile, survolant leur immeuble situé à côté du port, quelques secondes avant l’explosion. Le mystère reste entier. Mais les conséquences sont bien-là. Et, elles sont graves, très graves.

Le téléphone sonne

Ce jour-là, le téléphone d’Arine Ghazarian n’arrête pas de sonner. Arine est devenue directrice exécutive de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance au Liban, un an avant cette catastrophe, en 2019. A Beyrouth, AGBU (en anglais) a un siège social, qui est un véritable éco-système culturel, éducatif et sportif, humanitaire. Il s’appelle AGBU Demirdjian Center, il est à deux pas de la Marina. Il y a, aussi, un centre de communication dans le quartier de Sin El Fil, près de la célèbre Librairie Antoine. Il est situé, exactement, à 3 km au sud du quartier arménien de Beyrouth, Bourj Hammoud. Enfin, l’ensemble des structures de l’UGAB comprend, également, deux dispensaires médicaux.

En 2020, Arine n’a pas 30 ans. Aujourd’hui, elle se rappelle cet évènement qui a bouleversé toute la planète, comme si c’était hier. « Je me souviens de cette catastrophe. J’étais en train de faire du sport en dehors de Beyrouth. Mais, j’ai entendu la déflagration et j’ai vu les fenêtres tomber et exploser devant moi. Et, mon téléphone n’arrêtait pas de sonner. » Très vite Arine rentre et met ses équipes sur le pont, avec les volontaires, les scouts qui affluent pour porter les premiers secours. Un appel de fonds est lancé en même temps qu’un plan de reconstruction est mis sur pied. Les équipes veillent tard.

La réponse de l’UGAB face à la catastrophe

Avec de généreux donateurs, comme Vatche et Tamar Manoukian, des entrepreneurs qui vivent entre le Liban, les Etats-Unis, l’Angleterre et l’Arménie, l’UGAB-Liban a opéré la reconstruction de plus de 350 appartements. 800 travaux ont été réalisés, depuis, et 133 volontaires se sont engagés. Les quartiers les plus proches du port, comme Achrafieh, Gemmayze, Karantina, Khalil, Badawi et Mar Mikhael, ont bénéficié de cette bienfaisance et de ce volontariat dans un pays au bord de la misère, avec plus de 80% de sa population qui vit en-dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 100 dollars par mois).

« Nous avons, également, une semaine après le drame, distribué des repas », ajoute Arine. En tout, les 33 volontaires ont servi plus de 1.500 repas chauds, par semaine, pendant plus de deux mois. Il faut ajouter à cela les « Food box », les boîtes alimentaires, qui sont composées de fromage, de jambon, de lentilles, de légumes, de lait, de sucre, de riz, de pâtes, de thé, etc.

Car avant la catastrophe d’août 2020, celle d’un autre genre, celle du mois d’octobre 2019 a fait plonger le pays dans la crise monétaire, financière, économique et sociale. Elle a frappé la plupart des Libanais qui faisaient partie de la classe moyenne. Le Liban, à ce moment-là, c’était 15-20% de familles aisées, 40-50% de familles

moyennes et 30-40% de familles pauvres. Cette classe moyenne a disparu. 4 à 5 millions de personnes sur les 6,8 millions se sont appauvries. Même les 15-20% restant, aisées et qualifiées de « riches » vivent sous les mêmes conditions : avec le blocage des comptes bancaires, avec l’impossibilité de retirer les fonds épargnés (ils sont pour ainsi dire perdus), avec les coupures d’électricité et la faillite d’EDL (Electricité du Liban), etc. La dévaluation de la livre libanaise est quotidienne. Début octobre 2019, 1 dollar valait 1.500 livres libanaises. Aujourd’hui, il en vaut 115.000 !

L’UGAB, une vieille dame née en 1910

Oui, l’UGAB-Liban est une vieille dame née en 1910. Mais, auparavant, sa maman-mère, est née en 1906…en Egypte. L’histoire de cette vieille institution est à la fois incroyable et merveilleuse. Incroyable, parce qu’au Caire, tout au long du 19è siècle et au début du siècle dernier, de nombreux Arméniens se sont installés. Difficile de les dénombrer. Selon les chiffres de l’époque, ils étaient entre 10.000 et 20.000. Et, avec les conséquences des atrocités du génocide, leur nombre s’est multiplié par 3 ou 4 pour atteindre les 60.000.

Merveilleuse, car en Egypte, c’est le fils de l’ancien Premier ministre Nubar Pacha, Boghos Nubar Pacha qui réunit quelques notables égyptiens d’origine arménienne pour lancer le premier embryon de la bienfaisance arménienne dans le monde entier.

Au Liban, l’UGAB est au service de la communauté des 150.000 Arméniens et des Libanais. « Nous aidons quotidiennement les Libanais d’origine arméniennes, qui ont du mal à se loger, à se nourrir, à se vêtir. Nous aidons plus de 1200 familles », précise Arine. Pour son Président, Gérard Tufenkjian, il s’agit « de venir en aide à notre communauté, qui a vécu différents traumatismes, jusqu’à aujourd’hui, en lui proposant différents programmes d’aides qui concernent l’éducation, la culture, l’assistance humanitaire, la reconstruction, l’aide au relogement, et des projets de développement économique. »

Dans le quartier arménien de Bourj Hammoud

C’est Joe Hatem, le Président du Rotary Club de Baabda de Beyrouth, et l’ancien Président des EDC-Liban, les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens du Liban, [lire notre interview : https://www.entreprendre.fr/les-libanais-possedent-un-instinct-de-survie/], qui fait office de guide à travers le quartier historique des Arméniens de Beyrouth. Il est 18h00, la nuit commence à tomber. Il part à sa réunion rotarienne et doit traverser ce quartier. Ses locaux professionnels – sa société est experte en application informatique – par miracle, ont échappé au souffle des explosions de 2020. « Nous passons par la rue d’Arménie, qui prolonge la rue Gouraud du quartier de Gemmayze, dans le centre, et nous allons traverser le quartier Bourj Hammoud. Ouvrez grands vos yeux. »

Sur le bas-côté, des jeunes trainent derrière-eux un immense balluchon. Ils sont sales, dépenaillés. « Ce sont des réfugiés Syriens, ils font les poubelles à la recherche de bouteilles en plastique. Qu’ils aplatissent et revendent par la suite, pour le recyclage. » Nous traversons la rue Pierre Gemayel, du nom de l’ancien député du parti Kataeb (parti phalangiste). Il s’était présenté, sans succès, aux élections présidentielles de 1964 et de 1970. Son fils, Bachir Gemayel sera élu Président du Liban. Mais, il sera assassiné en 1982, 9 jours avant d’en assurer les fonctions.

Les coups de klaxons s’amplifient, nous arrivons sur le nœud routier où les ponts et les voies périphériques s’entrecroisent. Le mot cacophonique est un euphémisme pour décrire l’ambiance. C’est là, de l’autre côté du périphérique que vit la communauté. On se croirait dans une autre ville tant les immeubles diffèrent par leur simplicité, et puis, il y a ce pont sous lequel s’étend le quartier, comme s’il servait d’abris, de toit. Cela ressemble à un souk à ciel ouvert. Les boutiques se multiplient. On sent l’esprit commerçant qui déborde des trottoirs. Les odeurs d’épices parviennent jusqu’aux voitures. On se croirait dans un véritable labyrinthe.

Au service de la cause des femmes

Joe a connu l’UGAB-Liban, d’une part, parce qu’il a des amis arméniens, et, d’autre part, parce qu’il a assisté à leurs conférences. En mars dernier, c’est la cause des femmes que défend l’organisation. Chaque année, au moment de la Journée Internationale du Droit des Femmes, Arine Ghazarian et l’UGAB mettent en avant des femmes autour des sujets d’actualité : sur leur rôle face à la pandémie du Covid-19, sur leur rôle face aux conflits, etc.

« Les femmes libanaises, qu’elles soient d’origines arméniennes ou non, sont, certainement, les femmes les plus résilientes que je connaisse. »

La vision d’Arine

Arine est très engagée. Pour rien au monde, elle ne changerait de travail. Dans sa jeunesse, elle a fait beaucoup de scoutisme. Puis, elle a continué à s’investir au sein de l’UGAB. Depuis, septembre 2022, ses responsabilités se sont accrues, puisqu’elle s’occupe de toute la région Middle-East, du Moyen-Orient, qui comprend en plus de son pays, la Syrie, l’Iran, l’Irak, les Emirats arabes unis, la Jordanie et l’Egypte, Chypre et la Grèce. Elle a changé de dimension et est devenue une observatrice internationale privilégiée du haut de ses 31 ans. « Ma vision est restée assez simple. Elle n’a pas changé depuis les origines, depuis 1906 et 1910. Il s’agit de faire la différence dans la vie des gens, de leur faire du bien. Et, d’avoir un impact positif et pérenne dans la vie des jeunes, par le sport, le scoutisme, le volontariat. Enfin, nous accompagnons les jeunes professionnels, également, dans leurs projets. Et, bien entendu, nous aidons les familles. Nous les aidons beaucoup…»

Arine garde le sourire. Ses propos sont dynamiques, malgré une situation politique, économique et sociale, des plus difficile, qui ne s’arrange pas. Le siège de la Présidence de la République libanaise est, par exemple, vacant depuis plus de 5 mois.

Optimiste, Arine relève les défis un par un. Elle s’inscrit à contre-courant des jeunes libanais qui veulent quitter le pays pour un avenir meilleur, ailleurs, aux Etats-Unis, en Europe, ou en France. Dans un pays chrétien et francophone à 40%, la France continue à attirer la jeune matière grise du pays.

Elle continue à déclarer sa flamme libano-arménienne. Elle est une amoureuse de son pays, de son histoire et de son identité. Elle, qui est 100% Libanaise et 100% Arménienne regarde vers l’avenir, l’espérance au coeur. Elle aime son pays et ses 2 peuples. Elle a fait de ce cœur-à-cœur sa lettre de mission, sa première vocation.

Un accord UGAB-Liban avec le ministère

Il y a tout juste un mois, le 8 mars, l’UGAB signait un accord très important avec le ministère de la Culture, au sujet de manuscrits liés au patrimoine artistique, culturel et historique arménien.

Le ministère a mis ces documents à la disposition de chercheurs et du grand public à la Bibliothèque nationale, qui a fêté son centenaire en 2021. Le mémorandum, signé par le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada, et le président de l’UGAB-Liban, Gérard Tufenkjian, précise que l’organisation se chargera « de la réhabilitation et du renouvellement des documents en utilisant des méthodes techniques fondamentales pour les conserver » et que « la bibliothèque nationale conservera les copies des manuscrits et assurera leur protection ».

Ainsi, la bienfaisance, au Liban, se diffuse à tous les niveaux, et dans tous les secteurs. Il est vrai qu’avec deux peuples : libanais et arménien, dont l’histoire remonte, selon les dernières estimations des experts, à plus de 8.000 ans, cela donne l’envie de se plonger dans les premiers écrits et les premiers manuscrits de l’époque ancienne. D’ailleurs, il y a 11 ans, en 2012, une équipe libano-syro-française chargée du catalogage des manuscrits de la bibliothèque patriarcale syriaque catholique de Charfet, au Mont Liban (au nord-est de Beyrouth), découvrait des feuillets de parchemin, qui avaient servi à la couverture d’un manuscrit liturgique écrit en 1791 après Jésus-Christ…

On le comprend, l’UGAB-Liban a de vastes chantiers ouverts devant-elle.

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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