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« En Ukraine, l’Occident a mis un doigt dans un engrenage dont il sera difficile de sortir »

Entreprendre - « En Ukraine, l’Occident a mis un doigt dans un engrenage dont il sera difficile de sortir »

Rencontre avec Jacques Baud, un ancien colonel de l’armée suisse, spécialiste du renseignement et du terrorisme.

Tom Benoit : Vladimir Poutine a-t-il commis une erreur en intervenant au mois de février 2022 ?

Jacques Baud : Vous me posez là une question gigogne. En réalité, en février 2022, Vladimir Poutine est intervenu notamment parce qu’il s’est senti obligé de le faire. Pour comprendre cela, il faut revenir sur les faits et sur les déclarations de Poutine. Dans l’esprit de Vladimir Poutine, l’intervention avait au départ principalement pour but de protéger la population du Donbass. Le dilemme venait surtout de la pression de la population russe.

Si Vladimir Poutine n’était pas intervenu, que se serait-il produit ?

Dans l’hypothèse où les Ukrainiens auraient eu la main sur le Donbass, il y aurait sûrement eu des soulèvements en Russie. Contrairement à ce que l’on pense, Vladimir Poutine n’est pas le plus dur en Russie. Medvedev est bien plus va-t-en-guerre. Je crois que Poutine s’attendait à cette situation. Depuis 2014, il a commencé à se préparer à des sanctions occidentales en développant l’agriculture de la Russie, en réduisant l’endettement.

Donc la Russie s’attendait à une dégradation de la situation. Pour autant, est-ce que la France ou l’Allemagne étaient préparées à se dissocier totalement d’un approvisionnement en gaz russe ?

Non. Je me souviens de la citation de Bruno Le Maire qui disait que les sanctions allaient amener à l’effondrement de la Russie. Mais même si l’Europe avait préparé des sanctions depuis quelques années, ça ne pouvait pas suffire. Les Américains avaient d’ailleurs prévu l’échec des sanctions. Ce qu’il faut noter est que si les sanctions avaient été imposées à la Russie en 2014, celle-ci aurait instantanément été à genoux. Mais en 2022, ça n’a eu strictement aucun effet.

Cette situation va naturellement conforter les collaborations entre la Chine et la Russie.

D’autant qu’il s’agit de deux superpuissances qui sont mises à l’écart. Ces pays vont s’allier comme des compagnons d’infortune si je puis dire.

Très précisément, si l’Ukraine avait été protégée par l’article 5 de l’Otan, qu’aurait-elle obtenu de plus ? Comme livraisons d’armes par exemple.

Elle n’aurait rien eu de plus.

Donc, selon vous, l’Ukraine est protégée aujourd’hui comme si elle faisait partie de l’Organisation ?

Non, pas tout à fait. Il faut distinguer la question. Aujourd’hui, les Occidentaux ne parviennent pas à répondre aux demandes de l’Ukraine. Ils font déjà le maximum. Article 5 ou pas, ils ne feraient pas plus à ce niveau-là. En revanche, ce que l’article 5 offrirait en plus, c’est la présence de troupes – américaines, françaises, polonaises – en Ukraine. Avec tout de même un bémol, les troupes françaises ne seraient par exemple pas forcément en Ukraine ; elles pourraient être en Pologne, puisque ce serait alors tous les pays de l’OTAN qui seraient en guerre contre la Russie.

C’est justement la définition de l’article 5, qui stipule que si un pays membre de l’alliance est attaqué, ce sont tous les pays qui sont attaqués et tous les pays membres qui doivent soutenir le pays qui est attaqué. Donc pour ce qui concerne l’Ukraine, est-ce qu’il y aurait eu par exemple des livraisons d’avions ?

Non. De nouveau, je crois qu’il n’y aurait pas eu plus. Le problème n’est pas que les Occidentaux ne veulent pas livrer plus d’armes, mais qu’ils ne le peuvent pas.

Il y aussi certainement la conscience du risque nucléaire. Nous aurions l’impression d’agiter le chiffon rouge en livrant des avions, face à une Russie qui détient l’arme nucléaire.

Bien entendu ce risque vient en plus. Pour répondre à votre question ; concernant les avions, j’imagine bien qu’il ne serait pas compliqué de former des pilotes ukrainiens, en revanche, il n’y a plus d’aviation ukrainienne quasiment.

Donc les avions ne pourraient pas atterrir.

Si des F-16 étaient envoyés, il faudrait les faire atterrir. Donc il s’agit d’une question qui est beaucoup plus technique que politique ? Bien sûr. Elle a naturellement aussi un aspect politique parce que l’Occident a mis un doigt dans un engrenage dont il sera difficile de sortir.

Pour se diriger vers un climat de sortie de guerre, quelles seraient les exigences qui, de part et d’autre, devraient être abandonnées. Est-ce que le président Zelensky devrait abandonner l’idée de remettre la main sur la Crimée, par exemple ; est-ce que Vladimir Poutine devrait reconnaître catégoriquement la souveraineté de l’Ukraine ?

Je ne crois pas que les Russes ne soient pas prêts à reconnaître la souveraineté de l’Ukraine. La grande difficulté va être le manque de confiance que la Russie ressent aujourd’hui à l’endroit de l’Occident.


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