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En Tunisie, le village de la Francophonie ouvre en grand ses portes au monde entier

l’Organisation Internationale de la Francophonie (l’OIF) et sa Secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, en accord avec les plus hautes autorités du pays et son Président, Kaïs Saïed, ont décidé de planter la tente du monde de la francophonie.

Copyright des photos A. Bordier et OIF

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur du livre : Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Ah, Djerba la douce. A moins de 3 heures de vol de Paris, la voilà, la belle, la douce île de Tunisie. Déjà Ulysse en parlait. Cette île le subjuguait. Et Flaubert ? Il la surnommait l’île des Rêves. A 500 km au sud de Tunis, la capitale, c’est sur cette île que l’Organisation Internationale de la Francophonie (l’OIF) et sa Secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, en accord avec les plus hautes autorités du pays et son Président, Kaïs Saïed, ont décidé de planter la tente du monde de la francophonie. Reportage entre terre, mer et sable fin.

L’avion vient d’atterrir sur le tarmac de l’aéroport international de Djerba-Zarzis. Les applaudissements retentissent dans toute la cabine. L’avion est plein à craquer. Fahd est heureux : « Je vais, enfin, retrouver ma famille qui vit dans un petit village à 3 kms de l’aéroport, à Mellita. » Sa casquette grise rivée sur la tête, ce jeune quadragénaire travaille à Paris, en célibataire géographique. Il ne rentre que tous les trimestres. Ainsi va la vie entre la terre de France et la terre de Tunisie. Il est francophone et salue en souriant l’organisation de cette semaine mondiale de la francophonie sur son île : « Oui, c’est une chance pour Djerba et pour notre pays. C’est le tourisme qui fait vivre les 150 000 habitants de l’île et tout le pays. Nous avons besoin d’eux. Vous savez, ici, vous allez rencontrer que des gens merveilleux. » Il fait 23° degrés dehors. La nuit a, déjà, enveloppé la grande île de son long manteau automnal. Il est 18h00. A l’intérieur de l’aéroport, les affiches de l’OIF se multiplient partout. Les passages aux contrôles d’identité et aux douanes sont fluides. « Rien à déclarer ». Un stand de l’OIF accueille des journalistes : un média arabe et la TV5 Monde viennent d’arriver. Des dizaines de journalistes sont attendus pour cet évènement historique.

Dehors, les premiers palmiers et une brise légèrement iodée donnent le ton paradisiaque et salin de la semaine francophone. Walid est là avec son taxi-transporteur. Il faut une bonne demi-heure pour rejoindre l’hôtel Dar El Bhar, un hôtel typiquement local qui se trouve à 5 mn à pied du Casino Royal, là où se déroulera le Sommet de la Francophonie les 19 et 20 novembre. Walid roule à vive allure et dépasse la limite de 70 km/h. « Je connais la route par cœur. Et, il n’y a pas de radar. A cette heure-là, il n’y a personne sur la route. »

Les infrastructures sont modernes, aucun nid de poule vient entraver sa vitesse. Il fait ce métier de taxi depuis 10 ans. Walid n’aime pas parler de politique. Il n’aime pas les questions sur le Printemps arabe. « C’est du passé. Maintenant nous devons nous développer et privilégier la paix sociale ». Il n’a pas tort. Mais la question se pose naturellement. Car, le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi s’immolait à Sidi Bouzid, dans le centre du pays. De cette immolation liée à une profonde détresse et injustice sociale, naissait le Printemps arabe, la Révolution de Jasmin qui allait mettre le feu à une vingtaine de pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient.

La Francophonie est un village

« Notre île fait plus de 500 km2 », ajoute Walid pour changer de sujet. « Nous vivons essentiellement du tourisme. Ils viennent du monde entier. Nous accueillons tous les mois des touristes de Libye. Dans leur pays, c’est encore la guerre civile. Ils viennent se reposer chez nous. Ils aiment la Tunisie. Ils ont de l’argent à dépenser. Ensuite, nous accueillons beaucoup de Français retraités qui viennent passer les mois d’hiver ici… » Oui, le Printemps arabe s’est éloigné de la Tunisie. Mais, il n’est pas si loin que cela. Son voisin, la Libye, est toujours en guerre. Avant d’arriver à l’hôtel, nous passons une demi-douzaine de check-points de la police. Walid passe sans s’arrêter. Quelques voitures de militaires sont présentes également. « Nous n’avons pas de radar, mais nous avons des policiers », s’amuse à commenter Walid.

Djerba ressemble à un immense village d’artisans, de bijoutiers, de marchands de tissus, de pêcheurs, de potiers, de tailleurs et de vanneurs. Les lumières des bourgades sont tamisées. Ici, ils prennent le réchauffement climatique au sérieux. Comme la Francophonie.

Ils viennent d’ouvrir officiellement le Village de la Francophonie. Au programme sur une semaine, des ateliers, des conférences, des dégustations culinaires, des films, des spectacles. Plus d’une centaine d’évènements sont prévus avec, notamment, le 17 novembre, la 1ère édition du Festival de l’Intelligence Economique Francophone (FIEF2022). Et, surtout, les organisateurs ont voulu donner à ce 18è Sommet une coloration digitale exceptionnelle. Avec, notamment, la mise en place d’actions communes pour les 88 pays qui sont membres de l’OIF. Il est intéressant de noter que la Tunisie fait partie des membre-fondateurs (depuis 1970). Et, que sur une population globale de près de 12 millions d’habitants, plus de 50% se déclarent francophones. Au programme, également, l’éducation est bien présente avec, notamment, les Edtechs, c’est-à-dire les nouvelles technologies dédiées à l’éducation. Déjà, de nombreuses start-ups ont pris place dans le village, qui se situe au Parc Djerba Explore.

Louise Mushikiwabo, une Rwandaise exquise

Elle est arrivée la veille, le 14 novembre, pour inaugurer le village tunisien de la francophonie qui se clôturera le 22 novembre. Cette grande dame est née à Kigali, il y a 61 ans. Grâce à ses études supérieures aux Etats-Unis, elle ne fera pas partie des 800 000 victimes du génocide perpétré par les Hutus à l’encontre de la minorité des Tutsis. Par contre, la plupart de sa famille est exterminée en 1994. Plus de 20 ans plus tard, en 2006, elle publie un ouvrage en anglais, avec Jack Kramer : Rwanda Means the Universe : A Native’s Memoir of Blood and Bloodlines (en français : Le Rwanda signifie l’Univers : les Mémoires d’une autochtone sur sa lignée). Elle est brillante et poursuit une carrière des plus atypiques et des plus intéressantes. Mariée à un Américain, cette linguiste trilingue quitte les Etats-Unis et fait son retour au Rwanda en 2008. Elle devient, pour la Tunisie, Directrice de la communication de la Banque africaine de développement. Puis, elle rentre, définitivement au Rwanda, où elle est nommée Ministre de l’Information par Paul Kagame, dont elle est proche. Elle est ensuite Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération de 2009 à 2018.

En 2018, à la fin du 17e Sommet de la Francophonie qui se tenait à Erevan, en Arménie, en octobre, elle est élue Secrétaire générale de l’OIF. Son élection a de quoi surprendre à plus d’un titre. Car elle est plus anglophone que francophone. Et, le Rwanda a fait de l’anglais sa première langue étrangère. A cette remarque d’incompatibilité, elle répondait, il y a quatre ans, aux journalistes : « C’est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux. C’est une réalité et, par ailleurs, l’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est ». Sa réponse pourrait paraître déconcertante, mais, elle serait, finalement, exquise, car emprunte d’une dualité qu’elle n’oppose pas, mais, au contraire, qu’elle relie. Elle est plus qu’une linguiste : elle est une stratège. Tout un art : celui de relier le monde anglo-saxon et le monde francophone. Tout un défi, un pari.

Emmanuel Macron au rendez-vous ?

C’est, certainement, ce qu’avait compris Emmanuel Macron, lorsqu’il déclarait : « Je me réjouis de cette nomination parce qu’elle correspond au visage de la francophonie d’aujourd’hui […] La francophonie a plusieurs chantiers devant elle : celui de la jeunesse et de sa langue. C’est pour ça que je voulais que ce soit un pays africain qui puisse présider, une candidature africaine qui émerge. L’Afrique est le continent le plus jeune. Ce combat pour le français c’est un combat pour l’éducation en français, c’est un combat contre l’obscurantisme car c’est en apprenant le français qu’on apprend les valeurs qui vont avec. »

A Djerba, lors de l’inauguration du village tunisien de la Francophonie, hier, Louise Mushikiwabo déclarait dans un français parfait : « J’ai apprécié tout ce qui est lié à la Tunisie, l’artisanat, les produits de terroir et l’aspect numérique puisque le Sommet est sur le thème de la connectivité dans la diversité ».

La Francophonie serait-elle de nouveau en haut de l’affiche, pour paraphraser l’un des plus illustres francophones, Charles Aznavour ? En haut de l’affiche africaine ? Réponse à suivre…

A l’heure où nous bouclons cet article, Emmanuel Macron n’a, toujours, pas confirmé sa venue. Il participe, actuellement, au Sommet du G20 à Bali. Plus d’une quarantaine de dirigeants sont attendus à Djerba les 19 et 20 novembre prochains. Viendra-t-il ?

Antoine BORDIER


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