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Des télécoms à l’énergie, les coups de maître de Jacques Veyrat


Sa réputation n’est plus à faire. Manager très en vue dans les années 90, Jacques Veyrat est doté de cette insondable capacité à flairer les bonnes affaires. Le patron d’Impala vient de réaliser un nouveau coup avec la vente de Neoen.

Jacques Veyrat

Spécialiste du solaire et de l’éolien, le premier producteur indépendant français d’énergie 100 % renouvelable va passer sous le contrôle du fonds canadien Brookfield. Montant de l’opération : 6,2 milliards d’euros, soit dix-huit fois l’EBITDA. Impala, qui détenait 42 % du capital de Neoen (524,4 millions d’euros de chiffre d’affaires), a récupéré 2,6 milliards d’euros dans l’affaire.

Habitué aux culbutes spectaculaires

Ce n’est pas la première fois que Jacques Veyrat cède l’une de ses entreprises phares. L’entrepreneur savoyard est passé maître dans l’art de développer et valoriser des entreprises pour les revendre au prix fort. À commencer par la cession de Neuf Cegetel. Lors de l’éclatement de la bulle Internet, Jacques Veyrat, président depuis 1998 de LDCom, filiale dédiée aux télécoms du groupe Louis-Dreyfus, profite de la consolidation en cours dans le secteur pour racheter des opérateurs à la dérive. Alors que la crise fait des ravages, c’est l’heure du grand déstockage. Une dizaine d’opérateurs tomberont dans l’escarcelle de LDCom (Ventelo, Kaptech, Kertel, Belgacom France, Siris…).

Deuxième acteur du secteur avec ses 3,3 millions d’abonnés, concurrent direct d’Orange, l’opérateur rebaptisé Neuf Cegetel ne tarde pas à susciter les convoitises. Jacques Veyrat réussit un tour de force : vendre l’opérateur à SFR pour 8 milliards d’euros en 2007. Une somme faramineuse pour l’époque. À titre de comparaison, la valeur actuelle d’Iliad, maison mère de Free (22 millions d’abonnés), est évaluée à 10,8 milliards d’euros. Avec ses 2 % du capital de Neuf Cegetel, Jacques Veyrat récupère 160 millions d’euros. Le jeune loup commence à se faire un nom et une réputation.

Les 630 millions d’euros de la vente de Direct Energie

Son deuxième gros coup sera la vente de Direct Energie. Là encore, le timing de Jacques Veyrat est impeccable. Malgré son statut de premier distributeur alternatif d’électricité, Direct Energie affichait des pertes colossales, de l’ordre de 150 millions d’euros. Mais deux facteurs décisifs vont profiter à Jacques Veyrat : le secteur de l’énergie était alors en pleine phase de dérégulation, et Total, fort de ses immenses réserves de cash, était, à l’époque, prêt à tout pour rentrer sur le marché de l’électricité.

Camarade de Veyrat à l’X et président de Total, Patrick Pouyanné a racheté Direct Energie à une valorisation de 1,4 milliard d’euros, et glissé ce petit commentaire à propos de son copain de promo : « Il est malin et a bien saisi le momentum. » Deuxième plus importante OPA de l’année 2018, cette vente fait passer Jacques Veyrat, actionnaire principal de Direct Energie aux côtés de son ami Stéphane Courbit et Jean-Paul Bize, dans une autre dimension. Ses 33 % au capital lui rapportent 630 millions d’euros. Les 50 millions d’euros investis en 2006 sont largement remboursés. Encore fallait-il avoir osé…

Il renonce à l’ENA et à la politique

Rien ne prédestinait Jacques Veyrat à devenir un virtuose des affaires. Né à Chambéry dans une famille de médecins, il est parvenu à se hisser jusqu’aux bancs de Polytechnique et à en sortir diplômé en 1983. À l’X, il côtoie Patrick Drahi, PDG d’Altice, Patrick Pouyanné, PDG de Total, et le mathématicien Grégoire Allaire. Après avoir songé à passer le concours de l’ENA pour suivre les pas de ses oncles – l’un fut maire de Chambéry et l’autre sénateur –, il intègre finalement les Ponts et Chaussées et décroche un MBA du Collège des ingénieurs.

Un parcours académique exemplaire qui prédestine ce Savoyard surdiplômé à une brillante carrière ministérielle. Fraîchement diplômé, il découvre la haute fonction publique, naviguant entre les administrations et les cabinets ministériels. Ce sera d’abord la direction générale du Trésor, avant, en 1993, d’effectuer un bref passage au ministère de l’Équipement, des Transports et du Tourisme du gouvernement Balladur.

L’homme de confiance de Robert Louis-Dreyfus a bien appris

Le premier grand virage de la carrière de Jacques Veyrat a lieu en 1995. Âgé de 33 ans, il quitte la fonction publique et passe dans le privé : il est recruté par un mastodonte du négoce, la multinationale franco-helvétique Louis-Dreyfus, dont les activités s’étendent à de nombreux domaines (grain, transport maritime, immobilier…).

D’abord co-directeur des activités maritimes, il va rapidement monter les échelons. Au point de devenir un intime du président Robert Louis-Dreyfus, le redresseur d’Adidas et ancien patron de l’OM. Nommé directeur général en 1997, l’influence de Jacques Veyrat auprès de « RLD » est telle qu’on l’autorise à se lancer dans une aventure risquée : créer et développer une filiale spécialisée dans les télécoms. Pourtant, ce parcours météoritique au sein du groupe Louis-Dreyfus va s’interrompre de manière fracassante suite au décès de « RLD » en 2009. Le magnat du négoce avait fait de Jacques Veyrat son héritier.

Désormais propriétaire du groupe, Margarita Louis-Dreyfus, l’épouse du milliardaire, ne l’entend pas de cette oreille. En 2011, après des mois de conflit, Jacques Veyrat, dépité, finit par quitter l’entreprise. Mais le protégé de Robert Louis-Dreyfus ne part pas les mains vides : il récupère ses actions et la structure dédiée aux investissements qu’il avait lancée. Pour une enveloppe totale estimée à 200 millions d’euros.

La direction d’Orange, la promesse non tenue de Nicolas Sarkozy

Après cette éviction brutale – un évènement qui l’a marqué à jamais –, Jacques Veyrat aurait pu choisir la voie de la facilité : devenir PDG d’un grand groupe français. Les offres ne manquaient pas. En 2008, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, lui avait promis la direction d’Orange. Une promesse restée sans suite. On lui a proposé la direction de France Télécom, de Veolia et plus tard d’Engie.

À chaque fois, le même scénario se répète : il repousse toutes les offres. Jacques Veyrat voulait voler de ses propres ailes. Cette soif d’indépendance, cette volonté d’investir son propre argent et le souhait de ne plus avoir de comptes à rendre vont se matérialiser dans le lancement de son holding, Impala, en 2011. Depuis, Impala s’est étoffé. Le véhicule d’investissement de Jacques Veyrat aligne aujourd’hui des participations dans une vingtaine d’entreprises impliquées dans divers secteurs comme la finance, la culture, la technologie et les cosmétiques. Sans oublier l’énergie avec la start-up TagEnergy. La vente du producteur d’énergie, qui a déjà levé 1,2 milliard d’euros, pourrait d’ailleurs être la prochaine grande opération de l’ancien grand patron devenu entrepreneur.

« Il n’a pas ce côté hors sol de certains grands capitalistes », disait de lui Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, en 2018 dans les colonnes de Challenges. « La France se porterait mieux s’il y avait plus de Veyrat. » Face aux moyens considérables des fonds de capital-investissement, Jacques Veyrat a su creuser son sillon grâce à ses intuitions, sa patience – Neuf Cegetel et Direct Energie ont été cédés au bout de 10 et 12 ans – et son indépendance. Une belle leçon de capitalisme appliqué pour tous les apprentis businessmen de France et de Navarre.

Victor Cazale

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