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De la mer à l’espace : la nouvelle odyssée de la Comex

Fleuron national dans les années 80, la Comex a presque disparu dans les années 90. Sous l’impulsion de la petite-fille du fondateur, Alexandra Oppenheim-Delauze, l’entreprise marseillaise, spécialisée dans les grandes profondeurs, a redressé la barre et se lance dans la conquête spatiale. Un nouveau grand défi, 50 ans après.

Europe at night viewed from space with city lights showing human activity in Germany, France, Spain, Italy and other countries, 3d rendering of planet Earth, elements from NASA

Fleuron national dans les années 80, la Comex a presque disparu dans les années 90. Sous l’impulsion de la petite-fille du fondateur, Alexandra Oppenheim-Delauze, l’entreprise marseillaise, spécialisée dans les grandes profondeurs, a redressé la barre et se lance dans la conquête spatiale. Un nouveau grand défi, 50 ans après.

La Comex a beaucoup évolué depuis le début des années 90. Quels sont aujourd’hui vos principaux domaines d’activité ?

Alexandra Oppenheim-Delauze : Nous possédons cinq départements, que l’on peut résumer en trois pôles : terre (caissons hyperbare, hypobare…), mer (imagerie, acoustique…), espace. Notre dernière innovation mondiale, validée par le bureau Veritas, s’appelle l’Orus 3D, qui peut descendre jusqu’à 6000 mètres. Elle permet de faire de la photogrammétrie (technique permettant de déterminer les dimensions et les volumes des objets — ndlr) grâce à des caméras qui s’attachent sous un Rov (robot sous-marin — ndlr). Cette innovation sera très utile en métrologie et dans différentes secteurs (défense, environnement, archéologie, aérien…).

Quelle place occupe l’ innovation au sein du groupe ?

C’est notre ADN, c’est ce qui nous permet d’être pionnier. Bien que nous ne soyons plus dans le domaine des sous-marins et de la plongée profonde, où nous avons atteint les limites humaines — tout est désormais opéré par des Rov —, l’innovation joue un rôle toujours aussi crucial. Sur 60 ingénieurs, nous avons une dizaine de chercheurs. Ils travaillent sur les prochaines innovations.

En coopération avec Airbus, la Comex va développer Esprit, l’un des modules européens de la future base en orbite lunaire qui prendra la place de la Station spatiale internationale vers 2023. L’expérience et la légitimité acquises par Comex dans le domaine des grandes profondeurs vous ont-elles permis de basculer vers le spatial ?

Absolument. L’ESA (Agence spatiale européenne) et le CNES (Centre national d’études spatiales) connaissent notre expertise. De notre côté, nous avons des porteurs de projets passionnés, comme Peter Weiss (il dirige le département Espace de la Comex — ndlr), qui nous permettent de nous positionner sur ces projets européens.

En quoi consiste ce contrat ?

Avec Airbus, l’objectif est de créer intégra- lement le fameux SAS de communication de la prochaine station spatiale lunaire. On y intégrera ensuite les modules de communication fabriqués par d’ autres groupes européens.

Quelles sont les prochaines étapes de ce projet ?

Nous en sommes encore à la partie test. Nous avons déjà fabriqué une maquette en grandeur réelle, sur laquelle nous avons effectué des tests en piscine. Il reste désormais à savoir si le CNES et l’ESA vont se positionner sur ce projet et participer à la phase 2, à savoir la réalisation concrète du SAS. Mais cela ne dépend plus de nous, c’est une décision politique, un arbitrage entre les Etats-Unis et l’Europe.

Avez-vous d’ autres projets dans le domaine spatial ?

Oui. Et encore une fois, ils sont liés à la passion de Peter Weiss qui possède un double doctorat, dont un en robotique spatial. Il s’est positionné sur deux autres projets : Pextex, qui porte sur l’étude de nouveau matériaux et textiles pour les combinaisons spatiales (la Comex est associée à l’institut allemand DITF et au forum spatial autrichien OeWF — ndlr), et un programme d’entraînement de femmes astronautes. Tous ces projets doivent encore être acceptées par la Commission européenne.

Quelle est votre vision de la Comex à horizon 10 ans ?

Nous opérerons toujours sur les mêmes secteur d’activités. On sera sans doute amené à évoluer au sein du département innovation marine. Nous allons devoir produire des Orus en série. Mis à part les caissons hyperbare, nous n’avons encore jamais fait de production en série. Concernant la marine, nous continuerons à faire des missions à travers le monde, sans pour autant augmenter notre flotte de navires. Par ailleurs, j’aimerais développer le secteur médical, car nous avons des opportunités.

Quel est votre objectif en matière de chiffre d’affaires ?

Quand je suis arrivée en 2016, j’avais fixé comme objectif de doubler le CA en 5 ans. On est se situe aujourd’hui à 80% de cet objectif (en 2019, la Comex réalisera un CA de 7 M€ — ndlr).

Comment se répartit votre chiffre d’affaires ?

C’est la grande question… La répartition est un peu différente chaque année. L’ espace représente 25%, l’ ingénierie et les services 30%, et enfin 40% pour la marine et l’innovation. Mais tout peut bouger très vite. Nous avons répondu à 17 appels d’offres de caissons. Si ces contrats aboutissent, la répartition changera.

Qui sont vos principaux clients ?

Ce sont des clients historiques, comme la DGA (direction générale de l’armement — ndlr), Naval Group (groupe industriel dont le capital est contrôlé à plus de 62% par l’Etat français — ndlr), Total, de nombreux scientifiques… Nous avons aussi une multitudes petits clients.

Et les concurrents ?

Ils sont très spécialisés. Il y a énormément de bureaux d’études, mais ils n’ont pas d’expertise particulière sur les milieux extrêmes. En vérité, nous sommes le seul acteur aussi diversifié, ce qui est à la fois notre force et notre faiblesse, car cela augmente les effectifs dans chaque division.

Vous semblez très fière de votre ancrage à Marseille…

On est bien à Marseille, on aime cette ville. C’est ici que mon grand-père (Henri Delauze, fondateur de la Comex — ndlr) a créé l’entreprise en 1962. Dans les années 80, quand on a commencé à parler de délocalisations, de défiscalisation ou de paradis fiscaux, il disait toujours : « j’aime Marseille, je ne partirai jamais et je continuerai à payer mes impôts en France ». Aujourd’hui, on paye toujours nos impôts en France et on trouve ça normal.

N’avez-vous jamais songé à délocaliser une partie de la production ?

Non. Et puis, nous avons tellement d’équipements que l’opération serait extrêmement complexe. Notre site date certes des années 60, mais il reste extraordinaire et tout le monde nous l’envie.

Que vous apporte le fait d’être une entreprise familiale ?

Le principal avantage, c’est que je suis la seule actionnaire du groupe. Cela laisse toute latitude sur les décisions. Nous ne sommes pas soumis aux exigences d’un pool d’actionnaires extérieurs.

Avez-vous envisagé de faire appel à des fonds d’investissement pour financer certains projets ?

Non, je n’ en veux pas. Ils n’ ont pas la même logique que nous, ils videraient l’ entreprise de sa substance, avant de partir ailleurs… A l’inverse, une structure familiale permet d’envisager les choses sur le long terme et de gérer en bon père de famille.

Vous avez déclaré que vous envisagiez de céder l’entreprise d’ici une dizaine d’années. Pourquoi ?

Je n’ai pas encore défini tous les détails, mais mon idée est que l’entreprise reste aux mains des salariés. Je n’ai pas envie de faire rentrer des actionnaires. Il faut que le groupe soit détenu par des gens du cru, pour conserver notre ADN, notre culture d’entreprise, nos valeurs et la vision.

Vous dirigez une entreprise qui était autrefois un fleuron national. Retrouver
ce statut est-il l’une de vos aspirations en tant que dirigeant ?

Chaque collaborateur est dépositaire de cette fabuleuse histoire. Chacun est en quelque sorte un aventurier. Même si ne nous sommes plus dans le domaine de la plongée profonde, puisqu’il n’y a plus de découvertes à faire dans ce domaine, nous partons du principe qu’il y a encore des choses à inventer. On doit garder notre savoir-faire et notre créativité pour rester avant-gardiste.

Quelles leçons tirez-vous de l’effondrement de l’entreprise dans les années 90 ?

Parfois, il ne sert à rien de vouloir grandir pour grandir. Il ne faut pas non plus chercher à se diversifier à outrance. Le plus important est de s’adapter et d’anticiper les évolutions du marché. Enfin, il ne faut pas être soumis à une contrainte extérieure. Dans les années 90, on a quasiment été obligé de vendre (les activités de pétrole offshore ont été cédées en 1992 — ndlr) à cause des banques…

Vous en voulez aux banques ?

Nous avions d’importants besoins de développement à l’époque, ce qui nous a conduit à multiplier les emprunts. Ensuite, les banques ont refusé par deux fois de faire des reports d’intérêts, et nous avons été étranglés. Etre trop dépendant des banques est dangereux. Raison pour laquelle nous évitons désormais de trop nous endetter. S’il faut emprunter, on le fait, mais en ciblant les investissements.

Vous avez affirmé que la Comex avait « vécu sur son trésor de guerre pendant 30 ans ». Est-ce réellement ce qu’il s’est passé ?

C’est malheureusement vrai…

La Comex aurait-elle pu purement et simplement disparaître ?

Oui. A partir du moment où on ne va pas chercher le client et où on s’assoit sur ses lauriers, on peut disparaître… Avoir remis un peu d’humilité nous a été profitable.

Propos recueillis par Thibaut Veysset


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