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Au Liban, les deux frères Gebrayel ont fait de Ghalboun un village paradisiaque

Entreprendre - Au Liban, les deux frères Gebrayel ont fait de Ghalboun un village paradisiaque

Dans l’arrière-pays du célèbre port phénicien de Byblos, Elie et Gabriel Gebrayel ont relevé le défi de faire revivre leur village après l’avoir transformé en un petit coin de paradis où coule le lait, le vin et le miel. C’est un village vert, écologique, tourné vers le développement durable et vers la high-tech, qui se dresse au nord de Beyrouth.

A l’heure où nous écrivions ces quelques lignes, la France vivait une semaine en enfer : jour et nuit pillages et saccages se multipliaient. C’était la désolation, dans l’un des plus beaux pays du monde, numéro un mondial en termes de destination touristique. Pensez : elle accueille sur son sol près de 90 millions de touristes ! Qu’en sera-t-il demain, après cette flambée barbare ? Le Liban, de son côté, vivait entre 1975 et 1990 les affres de la période la plus terrible de son histoire contemporaine : sa guerre civile fratricide, sous influence internationale. En tout, cette guerre aura fait plus de 150 000 morts. La France n’est pas le Liban, mais son multi-culturalisme récent l’entraine vers cette pente dangereuse. Alors que la saison touristique démarre, une question se pose : seront-ils au rendez-vous de la France ? Au Liban, les compteurs s’affolent…La croissance touristique s’apprête à faire un bond en avant significatif : plus de 100 %, selon certains opérateurs locaux.

Pour autant, le Liban ne va pas mieux que la France, avec les crises successives de 2018, 2019 et 2020, qui ont augmenté dramatiquement sa pauvreté. Paradoxalement, le renouveau touristique est bien là. Le renouveau, la vie paradisiaque, c’est-à-dire celle qui consiste à se lever tôt le matin au moment où le soleil scintille, et où vous vous dites, enthousiaste et le sourire aux lèvres : « Ouha, quelle vue formidable, quelle nuit de sommeil de rêve, et quelles journées de flagorneries et de visites m’attendent ! ». Vous plongez alors dans la piscine…entourée de collines et de paysages à couper le souffle. Cette vie-là existe bel et bien à Ghalboun, à 500 mètres d’altitude, dans ce petit village libanais, où Gabriel et Elie Gebrayel, ont décidé d’investir et d’enraciner leur vie de famille.

Ghalboun, c’est, à la fois, le village typique du Liban de la Montagne, du Mont-Liban, qui sent bon la nature, les fleurs sauvages, le lait des vaches et le miel des abeilles. Il faut y ajouter le vin du Domaine Saint Gabriel, qui de l’autre côté domine la vallée. Ghalboun, c’est, aussi, ses vieilles ruelles, triplement millénaire et ses vieilles églises millénaires. Ce village, de 400 habitants, en cinq ans, sous l’impulsion de son nouveau maire (Elie) et de son gérant des 3 maisons d’hôtes et du domaine viticole (Gabriel) est devenu l’un des villages préférés des touristes. Ce n’est pas Stéphane Bern qui me contredirait…

Une histoire de famille et d’excellence

Tony est un ancien militaire des forces spéciales libanaises. Il connaît la région par cœur. Après sa rapide carrière militaire, il bascule vers la vie civile et travaille au service de la famille Gebrayel. « Le village est en plein développement », explique-t-il, alors qu’il bifurque plein-est après Byblos, cette ville phénicienne qui est l’une des plus anciennes cités du monde.  « C’est grâce à la famille Gebrayel, que Ghalboun est sorti de l’ombre, et qu’il attire de plus en plus de monde. » Un arrêt sur les hauteurs du village offre une vue de 360° sur toute la région. Vu de haut, le village est atypique : de nombreux panneaux solaires y fleurissent. On se croirait dans l’arrière-pays de la…Silicon Valley. Ici, c’est Ghalboun Valley. Bientôt, le village aura même la fibre optique, financée par les Gebrayel. Et, il est prévu que des start-ups s’y installent bientôt.

Comment ce miracle est-il possible à l’heure où le Liban est, encore, sous l’effet de la crise économique, monétaire, politique (il n’a, toujours, pas de président de la République, depuis novembre 2022) et sociale (la pauvreté touche 70% de la population) ?

L’histoire de la famille Gebrayel est très atypique. Elle est un miracle, une bonne nouvelle pour le Liban, les familles libanaises en mal d’entrepreneuriat. C’est une histoire digne des contes merveilleux. Au début, le papa est gendarme et la maman s’occupe des enfants. La famille déménage tous les deux ou trois ans. Impossible de s’ancrer dans un territoire, sur une terre, si ce n’est celle du Liban, au sens large du terme. Et, finalement, lorsque leur père prendra sa retraite, en 1969, Ghalboun deviendra le village familial. Gabriel est l’aîné de la fratrie. Doué et travailleur, il va obtenir des bourses pour continuer ses études dans l’hôtellerie. Ce sera son domaine d’activité privilégié, sa passion, celle de toute une vie. Il réussira, au cours, de ses quarante années de vie professionnelle à gravir tous les échelons. Jusqu’à devenir le directeur général de l’un des hôtels les plus huppés du Liban.

Elie est le numéro deux. Lui, a choisi l’architecture. Comme son frère, il est très doué. Lui aussi, obtient des bourses…Direction la France, Paris, où il va exceller dans son secteur d’activité, avant de revenir au Liban et de créer son groupe.

E comme Entrepreneurs et Esprit de famille

Elie, 40 ans plus tard, est à la tête, avec son épouse, Randa, d’un groupe familial international dans le secteur de l’architecture et de l’ingénierie du bâtiment, qui pèse plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires. Ils font travailler plus de 800 personnes hautement qualifiées. « Je partage ma vie entre plusieurs pays. Je suis un Libanais de Ghalboun. Mais, je suis né à Bourj el-Brajné, en 1952, un quartier de Beyrouth, près de l’aéroport. Mon père, Raphaël, était un sergent de la gendarmerie. Il est né au Brésil, à Rio de Janeiro. Puis, il est rentré au Liban en 1920. Ma mère s’appelle Georgette. » Avec son accent roulant les r de la francophonie, comme s’il poussait la chansonnette, Elie raconte son histoire, simplement. Son histoire familiale est une leçon de vie, un cas d’école. Elle est des plus surprenantes. Comme son frère aîné, il a obtenu la nationalité brésilienne, il y a une vingtaine d’années. « Nous avons, même, une troisième nationalité ! » Mystère…Cette famille est polyglotte.

Revenons à son père qui est gendarme, lorsque le Liban est sous mandat de la France. Il porte le képi français. Le drapeau du Liban est aux couleurs de la France, avec le cèdre du Liban en son blanc milieu. En 1950, naît son frère Gabriel. Toute la famille suit les différentes mutations du papa, avec leurs trois petites sœurs, Marie-Venise, Minerva et Mona.

Leur enfance est, cependant, chaotique. « Je me souviens que nous déménagions souvent. Par exemple, une fois, nous avons loué pour trois mois dans le nord du pays, parce que mon père avait une mission là-bas. » Leur père les pousse à étudier, à respecter les valeurs ancestrales et à beaucoup travailler. Les parents sont pauvres, mais la famille est heureuse, très soudée autour du père, comme les 5 doigts d’une main. Certes, les possibilités de payer des études supérieures aux enfants…n’existent pas. « C’est pour cela que je suis rentré à l’université, et que je suis devenu entrepreneur », explique Elie, qui possède en lui la rage d’entreprendre, même si cela ne se voit pas au premier regard. Il reste humble, presque voilé. Alors qu’il est l’un des meilleurs de sa promotion. Séquence humilité.

H comme Hôtelier et Hospitalité

De son côté, Gabriel gravit, trois à trois, les échelons de l’hôtellerie de luxe. « Je suis passé par toutes les étapes. Et, j’ai terminé comme Directeur Général d’un grand hôtel de luxe à Beyrouth. » Son hôtel ? Il s’agit d’Al Bustan Hôtel & Spa, un cinq étoiles, qui se situe sur une colline qui surplombe la capitale, à Beit Meri ! L’architecture d’un côté, l’hôtellerie de l’autre. Les deux activités font bon ménage.

Gabriel vient d’arriver à Ghalboun, avec un groupe de touristes libanais. Il gare sa navette devant Byout Ghalboun, l’une de ses maisons d’hôtes. Il est, avec son frère Elie, le deuxième homme clef de la transformation du village de Ghalboun en un village touristique, écologique et technologique. « Ici, nous n’avons pas seulement des maisons d’hôtes et des activités autour du tourisme, explique-t-il, mais nous avons, également, des vignes. Nous faisons travailler dans le village une vingtaine de personnes en basse saison, et une cinquantaine en pleine saison. »

C’est une seconde vie pour lui. A plus de 70 ans, avec son énergie à déplacer les montagnes – son frère à un tempérament plus posé – Gabriel (Gaby pour les intimes) s’occupe non seulement du tourisme, mais il est l’homme de terrain, l’homme des évènements corporate et familiaux, l’homme des vignes. Il est le chef d’orchestre qui organise, planifie et régente.

« Nos 3 gîtes sont pleins pendant les deux mois d’été. Nos 13 chambres bénéficient de l’énergie électrique grâce à nos panneaux solaires photovoltaïques. Nous avons, également, un restaurant, des piscines et des activités sportives. Nous allons, bientôt, lancer des programmes culturels. » Avec Nathalie, son adjointe, il prend soin de chacune des 13 chambres, qui bénéficient des dernières technologies hôtelières. « Nous sommes des fans de hi-tech avec mon frère, ajoute-t-il avec un sourire gourmant. Toutes nos maisons d’hôtes sont qualifiées Smart-Home. Les clients pilotent eux-mêmes, à partir d’un seul écran digital, les fonctions et services mis à leur disposition : la climatisation, le chauffage, l’électricité, les autres services. Et nous, nous pouvons gérer à distance nos 3 sites. »

A comme Architecture au service des Autres

Dans les gîtes, la signature du frère de Gabriel est manifeste. Les chambres y sont architecturées avec générosité et ingéniosité. Les lits y sont larges, des plus onctueux. Les murs colorés sont sertis de pierres de taille. Les salles de bain grandes et très lumineuses sont dotées des derniers équipements au design futuriste. Une grande cuisine et un grand salon avec une cheminée ou un poêle permettent, dans chaque maison, aux hôtes et aux touristes de passage d’être comme chez eux. « Notre exigence, explique Elie, a été d’allier le moderne architectural avec la noblesse des matériaux les plus anciens. Nos standards sont hauts, mais, en termes de prix, ils sont abordables. »

Elie et Gabriel se souviennent de leur jeunesse sans argent, les poches percées par leurs billes de cailloux. Ils se sont enrichi, par la suite, à la force du travail et du talent. Elie a été, lorsqu’il était étudiant dans les années 70, l’un des meilleurs de sa promotion à l’université. Il se souvient de ses années 1973-1980 où il faisait de l’auto-stop pour se rendre à l’université d’architecture de Beyrouth. « A l’époque les 500 livres libanaises de mon père ne suffisaient pas pour faire vivre toute la famille. » Il doit, donc, se débrouiller, faire du stop pour étudier et travailler. Par chance, l’un de ses pairs s’appellent Antoine Romanos. Il va lui mettre le pied à l’étrier de ses premiers contrats, de ses premiers chantiers.

II a, déjà, travaillé sur la construction d’hôtels et de tours d’immeuble. Il n’a pas 30 ans lorsqu’il travaille en ArabieSaoudite. Après ses 7 années d’études, et après être passé par les Beaux-Arts de Paris, il est diplômé dans les années 80. Dans les années 90, il est très sollicité et travaille sur un projet majeur au Liban : celui de la construction du quartier Solidere, l’un des quartiers les plus huppés et modernes de Beyrouth. Le Liban se reconstruit après 15 années de guerre civile. Pendant 6 ans, il est le responsable du bureau d’architecture d’Antoine Romanos.

Le groupe familial ERGA

« Je me suis marié en 1982 avec Randa. Nous nous étions rencontrés à l’université. » Ensemble, ils ont lancé en 1980 ERGA, qui va devenir l’un des groupes d’architectures majeurs au Liban. « Nous faisons chaque année plus de 200 projets, dans le monde entier, mais principalement au Proche et au Moyen-Orient. En ce moment, au Liban, nous travaillons sur le projet de construction de la future ambassade des Etats-Unis. » A Beyrouth, le site de la future ambassade est impressionnant. Des kilomètres de palissades ultra-sécurisées donnent une idée de l’ampleur du projet : une véritable petite ville autonome dans la capitale poussera de terre dans les années à venir. 

« On ne peut pas réussir sans talent » est la phrase clef d’Elie. Il faut y ajouter le facteur travail et l’équipe. Il a su s’entourer des meilleurs. Son groupe est, aujourd’hui, composé de 16 agences et travaille dans 25 pays. « Nous avons réalisé une soixantaine de tours au Moyen-Orient, 42 hôtels, des universités et des hôpitaux. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes et invitent à l’ivresse.

Et, puis, il est devenu, en 2012, le maire de son village, Ghalboun. Avec son frère, ils ont investi. Ils financent une partie des infrastructures communales. Mieux encore, ils ont transformé la colline qui est juste en face du village, en domaine viticole pour donner du travail aux villageois. Incroyable, mais vrai. Séquence viticole.

Saint Gabriel, le domaine viticole

Elie vient d’arriver à Ghalboun. Sa vie est une véritable mosaïque de projets multiples. Comment s’organise-t-il ? Ses activités au sein d’Erga lui prennent les 2/3 de son temps. Le dernier tiers s’équilibre entre son mandat de maire et son association avec son frère dans les activités touristiques et viticoles. Comme son frère, il travaille 7 jours sur 7. Tous les deux se préparent d’ailleurs à une première : celle de leur participation au Festival du Vin de Byblos, un évènement incontournable qui réunit la plupart des vignobles du Liban.

Gabriel monte dans sa voiture, un 4×4, en direction la colline du Domaine Saint Gabriel. Les deux frères ont investi des millions de dollars pour transformer la colline, y planter des hectares de vigne en terrasse, y creuser la roche pour abriter leur chai, leur cave et leur salle de réception des clients. L’endroit est magnifique. Le design y est épuré, aux couleurs pourpres. Là encore, les derniers équipements et les dernières technologies ont pris place pour servir l’ambition des deux frères : « Nous voulons redonner ce que nous avons reçu. Certes, notre réussite professionnelle nous la devons à nous-mêmes, à nos parents, à notre travail. Mais, également, nous la devons à la chance et à des rencontres. Nous voulons servir notre village et permettre aux villageois d’y rester et d’y vivre. »

Dans les années 2012 et 2015, les deux frères commencent à travailler la colline et à la modifier. En 2015, les 5,5 ha sont plantés. Les premières bouteilles sont commercialisées dès 2018. C’est Aimée, une jeune ingénieure agronome, qui travaille au domaine depuis deux ans – elle n’a pas 30 ans – qui est responsable de la viticulture et de la viniculture. « Aujourd’hui, c’est le rush, car nous participons pour la première fois au Festival du Vin de Byblos. Nous allons présenter notre blanc, notre rosé et notre rouge. » Direction…Byblos.

De Ghalboun à Byblos coule le vin des 2 frères

C’est l’effervescence ce 22 juin entre Ghalboun et Byblos. Tout le port de cette cité phénicienne a été transformé en une cave géante, à ciel ouvert. Elie et Randa, Gabriel et son fils, Rany, qui est le directeur administratif d’Erga, sont là, avec une vingtaine de personnes. Tony, le chauffeur, va faire plusieurs fois l’aller-retour entre Byblos et Ghalboun pour ravitailler le stand du Domaine Saint Gabriel. Comme si le vin y coulait depuis la colline et de façon continue. Sur place, Elie et Gabriel se répartissent les tâches. Les médias interviewent le premier, pendant que Gabriel et son équipe accueillent les clients, des Libanais, des Français, des Anglais, des Suédois, des Espagnols, etc.  

« C’est incroyable, explique Gabriel, nous avons vendu plus de 100 cartons de vin. » Le soleil se couche. Après les interventions des organisateurs, la musique monte d’un cran. Les générations se mélangent. Le vin est populaire. Comme la fête ! L’ivresse virevolte. Comme le dit le verset d’un texte biblique : « Le vin réjouit le cœur des hommes et de Dieu ». Il faudrait rajouter et des femmes ! Car, elles sont nombreuses les amies de Randa ! Elles dansent, elles chantent, elles trinquent. Cela fait du bien, dans un pays miné par la crise.

C’est certain, les Gebrayel ont relevé un sacré défi. Et, surtout, ils sont restés attachés à leur famille, à leur histoire, à leurs amis et à leur pays. Pour rien au monde, ils ne le quitteraient. Mieux encore ils disent à l’unisson : « Nous allons continuer à investir… ».

A Ghalboun, dans les gîtes, Nathalie et son équipe préparent les chambres. A côté, chez Gabriel, sa maison est en plein travaux. Y vivent 4 générations… C’est cela, aussi, Ghalboun : un esprit générationnel hors-du-commun !

Antoine BORDIER                     


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