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Au Château Roubine, la vigneronne Valérie Rousselle et ses enfants assurent l’avenir du domaine viticole

Il fait partie des 18 crus classés de Provence. Qu’ils soient rouge, blanc ou rosé, les vins du Château Roubine, situé dans le Var, se retrouvent sur les plus belles tables de France.

Copyright des photos : Château Roubine et A. Bordier

Il fait partie des 18 crus classés de Provence. Qu’ils soient rouge, blanc ou rosé, les vins du Château Roubine, situé dans le Var, se retrouvent sur les plus belles tables de France. Comme celles de Bruno, un restaurant local. Sous l’œil bienveillant et maternel de Valérie Rousselle, Victoria, Adrien et, bientôt, Léonard, développent un savoir-faire des plus remarquables. Reportage au cœur des vignes, avec ces jeunes vignerons, qui marient le neuf et l’ancien, le masculin et le féminin.  

L’histoire du Château Roubine s’écrit dans les lignes de l’histoire, celle de l’Antiquité. Celle des Romains qui occupent la Provence pendant quelques siècles. Ces-derniers la modernisent et développent les vignobles en leur donnant leurs premières lettres de noblesse. Ils aiment ce terroir gorgé de soleil.

De Toulon, il faut mettre plus d’une heure pour se rendre près de Lorgues, où se trouve le domaine. Nous y rejoignons la voie « Julia Augusta », plus communément appelée Julienne. Avant d’arriver, des vallées précèdent des reliefs qui grimpent à près de 250 m. Vous passez devant le restaurant gastronomique Bruno, qui, lui aussi, est une histoire de famille depuis 1920. Le papa Clément n’est pas là. Mais ses deux fils, Benjamin et Samuel le sont. Peut-être avez-vous, déjà, humé les parfums de truffes, dont ils sont devenus les grands serviteurs ? Plus loin, devant Lorgues, l’un des plus anciens villages de Provence, vous bifurquez sur votre droite. Ensuite, des lacets s’enchaînent comme une farandole au milieu des cyprès, des pins et des oliviers. Ils sont comme une introduction à la découverte du domaine. Vous ne vous arrêtez pas au Château Sainte-Béatrice, qui, avec le Domaine Chante Bise, à Suze-la-Rousse, dans la Drôme, complète le groupe familial. Vous continuez, et, tout de suite sur votre droite apparaît Château Roubine. Cyrano aurait pu être de Lorgues, il se serait alors exclamé : « C’est un roc, c’est un pic, c’est un cap. C’est un cap, que dis-je c’est une péninsule ! » Non, c’est un domaine viticole. C’est Roubine.

Victoria et Adrien sont-là, au caveau d’accueil et de vente. Victoria est élégante. Elle est habillée d’une jolie robe verte, qui invite au sérieux. Adrien est plus décontracté. Il porte une chemise bleu rayée, et, un short. Il en impose par son allure, qui rappelle celle de son père. La maman n’est pas là physiquement. Valérie Rousselle, la vigneronne du domaine par excellence, participera, par smartphone interposé, à la découverte du domaine.

Une histoire familiale, au fil de l’épée et de la vigne

Nous passons le hall d’accueil, et, l’espace commercial, pour nous diriger vers la terrasse. En cette matinée du 22 juillet, le soleil chahute, déjà, les degrés Celsius. La température va vite dépasser les 30° C. Dehors, au-delà de la grande baie vitrée, un horizon de 180° offre à la vue les 120 ha du domaine, avec bois et vignes. La conversation s’engage avec beaucoup d’humour et de courtoisie.

« Oui, notre père est Philippe Riboud. Nous avons fait un peu d’escrime, mais nous sommes meilleurs dans le vin », rient à l’unisson Adrien et Victoria. Philippe Riboud ?  Rappelez-vous, il est le d’Artagnan de l’Equipe de France d’escrime, dans les années 80. Son palmarès est époustouflant. Il a participé, entre 1978 et 1988, aux Championnats de France, aux Championnats du Monde et aux JO. Il est monté souvent sur les premières marches du podium. Il collectionne une vingtaine de médailles, dont 9 en or, 4 en argent et 3 en bronze. En 1989, après un repos bien mérité, il remet son épée au fourreau, définitivement. Il se marie avec Valérie Rousselle.

Alors que lui est un as du fil de l’épée, elle, est une fée de la nature, du service, puis, de la vigne. Dans ses vignes, elle virevolte depuis bientôt 30 ans comme vigneronne. Normal, pour cette native de Saint-Tropez, qui voit le jour dans les années 60. Elle est née, pratiquement, au pied des ceps de la région. Ses parents ont fondé le célèbre camping Kon Tiki. Après ses études à l’Ecole Hôtelière de Lausanne (l’EHL), un passage chez Barrière, et, son mariage, elle a un coup de cœur pour le domaine viticole, qu’elle découvre, avec son mari, en mai 1994. Cela tombe bien : « Il était à vendre », raconte-t-elle au téléphone. « C’est le domaine qui m’a choisi. J’ai eu le sentiment d’être élue par les lieux. J’étais happée, comme si les racines du château rejoignaient les miennes. » Plus qu’un coup de cœur, c’est un coup de foudre, un enracinement qui s’opère. Le couple s’endette et rachète l’un des plus vieux domaines de la région. Avec le recul, cette prise de risque a été plus que bénéfique, encore une montée de podium. La pépite est devenue un joyau, à force de travail, d’innovation et d’investissement.

Une pépite ? « L’histoire de la vigne a, ici, plus ou moins 2 600 ans », souligne Valérie. Après les Romains, au Moyen-Age, pendant les Croisades, ce sont l’Ordre des Templiers et celui de Saint-Jean de Jérusalem qui en deviennent propriétaires. Après la Révolution française, le domaine passe entre les mains de vieilles familles aristocrates, comme celle de Rohan-Chabot. Avec le coup de cœur de Valérie Rousselle, le virage du domaine vers le 3è Millénaire est pris. Elle assure, désormais, le passage de relais à ses enfants, Adrien, Victoria et Léonard. « Ce dont je suis le plus fière, c’est que mes enfants s’entendent à merveille. »

Une fratrie, au fil de l’harmonie

Victoria et Adrien continuent la conversation par la visite des chais et de la cuverie. « Nous sommes, effectivement, la 2è génération. Cela fait 10 ans qu’Adrien travaille au domaine, et moi, 5 ans », explique Victoria en ouvrant la porte qui mène aux grandes cuves en inox. « Nous en sommes même à la 3è génération, puisque Victoria a eu un bébé, il y a deux ans », ajoute Adrien, qui prend son rôle d’oncle au sérieux. Cette conversation ressemble à une pièce de théâtre de boulevard autour d’un vignoble. Les intrigues, les textes, les réponses, les dialogues coulent de source, s’entrechoquent et se croisent, comme s’ils avaient été écrits par avance et appris par coeur. Mais non, tout, ici, est spontané, même si Adrien et Victoria connaissent l’histoire du domaine et de son environnement sur le bout des doigts. « Notre particularité, c’est d’avoir 72 ha de vignes d’un seul tenant, avec 13 cépages différents. L’ensemble forme un cirque naturel qui est orienté est, sud, ouest. »

Ils parlent cépages, exposition, ruissellement d’eau, sol argilo-calcaire. Elle s’occupe de toute la partie corporate et direction, et, lui de toute la partie commerciale et marketing. Lui, 32 ans, a fait l’ISG, une école internationale de commerce basée à Paris. Elle, 25 ans, a suivi les pas de sa mère en intégrant l’EHL. Et, le petit dernier, Léonard, 22 ans, est en formation, justement, dans cette école de Lausanne.

Adrien parle des marchés internationaux, des Etats-Unis et de la Chine. Il explique que leur cuvée « Lion & Dragon, correspond tout-à-fait à la demande chinoise. » Pour le marché américain, ils créent « La Vie en Rose ». Victoria ajoute, comme un hommage : « Adrien est très créatif. La Vie en Rose, c’est lui. C’est un homme qui l’a fait. » Adrien rigole…Il manie aussi bien l’humour que la connaissance et la technicité du métier. En négociation, ce jeune homme doit être redoutable.

Un domaine, du neuf et de l’ancien

Nous parlons de la cinquantaine de cuves, des techniques de remontage, du rosé, du temps de macération, de la robe (la couleur). « Nous vendangeons la nuit, à partir de 2h00 du matin, pour que notre raisin soit le plus frais possible », explique-t-il pour répondre à la question sur la clarté de la robe. Le rosé est de plus en plus clair, ce qui correspond aux demandes des dégustateurs (du marché). Les récoltes manuelles représentent 30 à 40% du total. Ce qui permet de neutraliser le temps de macération.

Le téléphone de Victoria sonne : c’est sa maman qui (re)prend des nouvelles. A la suite d’un grave accident, elle est, actuellement, en rééducation dans une maison de convalescence, à Hyères. Sa marque d’affection vis-à-vis de ses enfants est très touchante. Séquence émotion et tendresse. Un ange passe. La famille c’est sacré !

Elle raccroche. Adrien continue sa présentation en évoquant les rosés haut-de-gamme, la marque de fabrique de la maison. Il entre dans le détail du processus de production de ces fameux rosés. Il développe le sujet de la macération, comme dans un livre ouvert. Le jeune trentenaire ressemble à un professeur. Pourtant, lui, a contrario de sa maman, n’a pas fait l’Université du Vin de Suze-la-Rousse.

Il enchaîne : « Notre vision est vraiment de faire des rosés de gastronomie. Nous développons, donc, des solutions sur-mesure pour donner à la fois plus de clarté, mais, également, plus de consistance, plus de noblesse à nos rosés. » Nous passons devant des œufs, des foudres et des barriques classiques, qui font penser à l’ancien temps et aux dernières techniques de vinification. Les œufs en béton brut sont apparus en France, il y a une vingtaine d’années. C’est une nouvelle façon de vinifier. Ils permettent de produire des vins épanouis, exempts de réduction, aux parfums et textures immédiatement harmonieux et aboutis.

« Une façon de travailler la vigne ancestrale »

Même s’ils sont nés sur le domaine, et, qu’ils sont tombés dans le sain breuvage (brut, celui qui n’est pas encore alcoolisé) dès leur plus jeune âge, Victoria et Adrien sont étonnants. On les écouterait des heures. Certes, depuis, leurs sens se sont développés et sont devenus experts au rythme des affinages et des dégustations. Comme le bon vin, leurs connaissances se sont améliorées au fil des années. Leur secret reste la transmission de leurs parents, et, de leur maman devenue vigneronne. Le papa, lui, en 2008, est retourné vers le sport et vers le conseil, avec l’un de ses amis, un ancien champion, David Douillet. 

A Roubine, « ce qui est très important, c’est notre équipe », explique Victoria. L’histoire également. « Nous avons une façon de travailler la vigne ancestrale, de par le bio et la biodynamie. En plus, nous sommes à la pointe de la technologie, en ce qui concerne la vinification. »

Nous sortons des chais. Direction le château du domaine qui date de la fin du 18è siècle. Il est magnifique, et, vient d’être restauré. Avec sa grande tour carrée, il rappelle, un peu, celles du Moyen-Age. Le chef de culture arrive, il sort des vignes, en contrebas. Lors de la visite des chais nous surplombions les 72 ha de vignes. Cette fois-ci, elles sont à nos pieds. Elles remontent lentement vers la partie boisée. La dégustation peut commencer.

Des chiffres clés et une dégustation

A l’ombre d’un parasol, sur la terrasse du château, nous parlons chiffres avant la dégustation. « En tout, nous produisons à l’année 2 millions de bouteilles. Et, chaque jour, ce sont à-peu-près 10 000 bouteilles qui sortent de notre chaîne d’embouteillage », détaille Adrien. Victoria précise qu’au Château Roubine, ce sont 700 mille bouteilles qui sont produites.

Nous dégustons la cuvée premium blanc, médaillée d’or des grands vins de France, en 2019. Elle a reçu d’autres récompenses. Sa robe est cristalline. A la première gorgée, les notes fruitées de Provence explosent en bouche. Les sens des lèvres se libèrent au contact de sa fraîcheur. Il est à bonne température. « Nous avons, ici, une belle complicité de cépages, notamment, avec le sémillon, le rolle, l’ugni blanc, et, la clairette », commente Victoria. « Ce sont les 4 cépages de l’appellation Côtes-de-Provence », précise Adrien.

Les dominantes sémillon et rolle apparaissent de suite, avec le caractère fort du cépage, et, celle des arômes. Le sémillon apporte de la rondeur et du gras au vin. Alors que le rolle apporte ses arômes de pamplemousse et de fruits blancs.

Le chef de culture, Jean-Louis Francone, déguste à son tour. Il fait partie de l’histoire du domaine. Sans lui, sans Pierre Gérin, le directeur technique, sans Olivier Nasles, l’œnologue-conseil, sans leurs 50 salariés, Valérie Rousselle et ses enfants auraient eu du mal à émerger dans ce monde fermé et masculin du vin. Jean-Louis explique son rôle : « C’est un bien grand mot. Mais, le chef de culture s’occupe de la plantation. Ici (NDLR : il se tourne vers les vignes et indique les hauteurs du domaine), là-haut, comme vous pouvez l’apercevoir, nous sommes en plein travail. Nous plantons 2 à 3 ha par an. Devant le château, nous avons planté 7 ha. Nous arrachons les vieilles vignes. Nous travaillons en fonction de différents critères, comme le goût. Par passion, nous avons remis au goût du jour le tibouren, qui avait disparu. » Avec son look de rocker, le chef de culture ressemble à un héros de BD. « Il m’a presque vue naître » ajoute Victoria pour imager le lien particulier qu’il a avec sa famille.

L’oenotourisme : la clef des vignes

De son côté, la nouvelle génération fourmille de projets, et, souhaite développer encore plus l’œnotourisme, initié par la maman, il y a une dizaine d’années. Comme pour les vins, Adrien et Victoria ont décidé d’équiper leurs gîtes et leurs chambres d’hôtes, pour qu’ils soient labellisés écologiques.

Avec en ligne de mire leurs 30 ans (en 2024), ils vont, prochainement, ouvrir un restaurant qui s’appellera Fada (ils ont de l’humour, je vous l’avais dit !) qui sera situé au Mas des Candeliers. Ils ont prévu de poser des panneaux photovoltaïques sur tous les bâtiments de production. Ils vont, entièrement, rénover le caveau de vente avec un espace éducatif, ludique et sensoriel dernier-cri. L’activité hébergement va prendre son envol et déployer ses ailes avec l’ouverture de chambres insolites (cabanes dans les arbres, tiny houses) et troglodytes.

Pour l’heure, ils peuvent accueillir, au Mas des Candeliers, situé au cœur du vignoble, une cinquantaine de personnes. Fêtes, réceptions, vacances aux pieds des vignes, et, au bord de la piscine s’étaient tues en raison de la Covid-19. Elles sont en train de renaître, de reprendre vigne. Avec un appartement familial, et, les deux studios aux noms évocateurs de Clairette, Mourvèdre, Syrah et Tibouren, l’invitation est immersive. « Nous invitons nos visiteurs à vivre parmi les 13 cépages du domaine. Ils sont, littéralement, plongés dans notre univers viticole. »

F comme Femme, V comme Vigneronne

Le reportage se termine au féminin. Car, en France, selon certaines sources, seuls 1/3 des domaines viticoles seraient dirigés ou co-dirigés par des femmes. Pourtant être une femme et une vigneronne est un atout indéniable. Ce n’est pas Victoria, qui dira le contraire : « Notre domaine a été beaucoup tenu par des femmes. Elles apportent beaucoup d’élégance et de finesse. Elles ont plus de sensibilité. » Ni son frère. Pour Adrien, c’est certain, la femme apporte quelque chose de nouveau : « Maman adore le rosé par exemple. Il y a des femmes qui ont le goût plus tourné vers le rouge-blanc, et, des vins plus structurés. »

Nous quittons cet endroit remarquable, inoubliable, sur les tons des cuvées Inspire, Terre de Croix, Premium, La Vie en Rose. L’ivresse de la conversation, de la dégustation, de l’histoire, des lieux et des vignes, font leurs œuvres. Les sujets sont nombreux au Château Roubine. Impossible de parler de tout. Il faudrait parler, également, de la société cosmétique Vinalie, que Valérie Rousselle et Cécile Destaing ont lancé en 2016. Elles veulent faire l’éloge de la biodiversité des lieux, très généreuse en agrumes, en cyprès, en lavande, en miel, en oliviers, en romarin et en thym.

Est-ce un hasard si en 2008, Valérie Rousselle fonde Les Eléonores de Provence ? Une association de femmes vigneronnes, sommelières, et cheffes de cuisine qui défend « la tradition et le patrimoine provençal ». On y trouve, aussi, des journalistes. Les arts de la table, la gastronomie et le vin font leurs grands retours au féminin, à ce moment-là. « J’ai lancé cette association avec le souci, également, de préparer l’avenir, de passer le relais à la nouvelle génération et de réussir la transmission. » Avant-gardiste et généreuse, elle pressentait bien que ce sujet de la transmission d’entreprise ne concernait pas qu’elle. Et, qu’il deviendrait un enjeu national en dépassant les frontières de Provence. L’une des valeurs des Eléonores n’est-elle pas la solidarité ?

Il faut, déjà, repartir et laisser cette famille vigneronne au travail. La revoir ? Pourquoi pas lors d’un prochain reportage au Château Sainte-Béatrice ou au Domaine Chante Bise. Le temps des vendanges est une occasion à ne pas manquer !

 Pour en savoir-plus : www.chateauroubine.com

Antoine BORDIER


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