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Arménie : Ruben Vardanyan, le milliardaire philanthrope

A Moscou, où il réside un tiers de son précieux temps, Ruben Vardanyan, Arménien de 53 ans, à la réussite fulgurante, reste un travailleur acharné.

Photo : Vahé Gabrache

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De notre envoyé spécial, Antoine Bordier

Troisième partie de notre trilogie : L’Arménie, la nouvelle « start-up nation »

A Moscou, où il réside un tiers de son précieux temps, cet Arménien de 53 ans, à la réussite fulgurante, est un travailleur acharné. Il jongle entre deux rendez-vous, deux appels téléphoniques, et, trois dossiers à finaliser. Il a, cependant, troqué son complet-veston de banquier et d’investisseur depuis quelques années, pour la tenue plus décontractée de celui qui veut faire du bien à son pays et à son peuple. Aujourd’hui, il consacre sa vie à la philanthropie.

En 2001, le magazine de référence Fortune, le challenger de Forbes aux Etats-Unis, consacre quelques lignes à cet homme de 33 ans. Ruben Karlenovich Vardanyan fait partie des 25 nouvelles « étoiles montantes de sa génération ». C’est dire que cet homme, massif, avec sa barbe noire de l’époque devenue poivre-et-sel, ne passe pas inaperçu. Pourtant ses amis, comme Noubar Afeyan, disent de lui qu’il n’aime pas « être sous la rampe des projecteurs ». Vahé Gabrache, qui préside plusieurs fondations arméniennes en Suisse, l’a récemment croisé. Les deux hommes se connaissent bien et s’apprécient. Ils se sont rencontrés à plusieurs reprises. La dernière fois, c’était en Italie lors de la remise du prix Aurora. Pour Vahé, « Ruben est un homme hors-du-commun ».

Cette même année 2001, le Forum Economique Mondial de Davos, le nommait comme étant l’un des « 100 leaders mondiaux de demain ». Ces superlatifs donneraient le tournis à plus d’un. Mais au fil du temps, Ruben a gardé la tête froide. Il sourit peu, et, paraît toujours très sérieux. Il tient sans doute cela de ses parents, Karlen et Irina. « Mon père était un professeur d’architecture très connu ».

Sa famille ayant survécu au génocide de 1915, il connaît son histoire familiale par cœur. « Mon grand-père, Hamo, était originaire de Erzurum, près du lac Van, dans la partie orientale de l’actuelle Turquie. Il a perdu ses parents, son frère et sa sœur. Il a survécu grâce à un cocher turc et à des missionnaires américains. Orphelin, il est, ensuite, recueilli à Etchmiadzin (NDLR : l’équivalent du Vatican en Arménie). L’Eglise apostolique arménienne lui a donné une très bonne éducation. Il est ensuite devenu professeur d’histoire. Il est mort quand j’avais 15 ans. Je me souviens qu’il était, habituellement, très calme. Il était très connu à Erevan, notamment, parce qu’en 1952 il avait été emprisonné en raison de son opposition à la répression stalinienne contre les juifs d’URSS. »

Cette stature, cette héroïcité doublée d’humilité semble lui avoir été transmis dans ses gênes. Son père était lui-même un grand professeur, qui a enseigné en Afrique. « Il a travaillé à Conakry, et, il parlait parfaitement le français. » Dans le sang de Ruben Vardanyan coule l’amour des études et du travail bien fait.

Un rêve et une vie hors-norme

Ruben a été fortement marqué par cette histoire familiale professorale, qui se transmet de génération en génération. De fait, le jeune étudiant va s’investir à fond dans ses études supérieures en économie. Très jeune, il rêve d’intégrer la prestigieuse Université d’Etat de Moscou. Son rêve devient réalité. Il sort, avec les honneurs, diplômé de l’Université d’Etat de Moscou en 1992. Très vite, il est remarqué par le fondateur de la banque d’investissement Troika Dialog.

Les deux hommes se sont rencontrés quand il était encore étudiant, en 1990. Il est l’un des premiers employés à rejoindre cette société de bourse qui va devenir sous son impulsion l’une des premières banques d’investissement de Russie. Il en grimpe vite les échelons et en devient le Directeur exécutif à 23 ans ! Il est l’un des plus jeunes dirigeants de sa génération. Il se souvient de ses débuts : « Le fait même de la création de Troika était unique : en 1991, Peter Derby a cherché à créer une société d’investissement russe selon les normes internationales. Je suis fier d’avoir participé à cette aventure. »

Peter Derby est un Russo-Américain qui veut redorer le blason financier de Moscou et en faire une place financière comparable à celle de New-York. Sous l’impulsion de Ruben, il va mettre 20 ans pour réussir ce pari. En 2012, Ruben Vardanyan quitte ses fonctions de Président-Directeur général. Troika Dialog vient de fusionner avec le premier groupe bancaire de l’Etat Russe : Sberbank. L’ensemble forme l’un des premiers groupes bancaires d’Europe. En 2020, il emploie près de 300 000 employés. Le total de son bilan aurait dépassé les 500 milliards de dollars. Son chiffre d’affaires serait de 50 milliards, et, ses capitaux propres avoisineraient les 70 milliards. De quoi faire pâlir les banques françaises. Et, de quoi racheter la BNP, ou presque.

Un serial-entrepreneur, serial-bienfaiteur

Si Ruben continue à piloter la destinée de ce premier groupe bancaire d’Europe de l’Est, il commence à s’en éloigner progressivement. Il le quitte définitivement en 2015. Il prend des participations et entre au conseil d’administration d’une vingtaine d’autres entreprises. C’est un boulimique de travail, et, des opérations financières de haut-vol. Il n’en délaisse pas pour autant son épouse, Veronika Zonabend, et, leurs quatre enfants.

Il crée avec son associé, Mikhail Broitman, Vardanyan, Broitman and Partners Ldt, VB Partners, une société d’investissement digne de la haute-couture et de la haute-joaillerie financière. Ruben offre son expertise à des clients internationaux, des investisseurs, des banquiers, des conglomérats industriels, qui ont besoin d’effectuer des opérations financières complexes, et, de gérer leurs actifs financiers à un haut degré de confiance et de qualité. Et, puis, il se lance dans la philanthropie. Il cofonde et entre au conseil d’administration de nombreuses structures et fondations. Impossible de toutes les citer. Car ce serial-entrepreneur, qui est business-angel à ses heures, est, aussi, un serial-bienfaiteur. Dès le début des années 2000, « nous avons lancé avec Noubar Afeyan, le projet ‶Arménie 2020″. Nous voulions participer à la construction de l’Arménie du futur. » Depuis, les deux hommes ont aidé, financé et lancé par loin de 700 projets en Arménie.

Première brique de son rêve

La priorité de Ruben reste l’éducation. C’est pour cela qu’en 2006, lui et sa femme Veronika réfléchissent sur le concept d’une nouvelle école de commerce internationale, inclusive et respectueuse de l’économie sociale et solidaire. Pour cela Ruben se rapproche de l’organisation internationale UWC, United World Colleges, fondée en 1962 par Kurt Hahn. Ce-dernier était un pédagogue hors-pair, avant-gardiste et visionnaire. Bardé de diplômes universitaires, il a été à l’origine du concept de ‶pédagogie active″ qui donnera naissance à la pédagogie ‶peer to peer″.

Il a créé de nombreuses écoles en Angleterre, dont la UWC. Ruben et Veronika s’en inspire : « En 2006, nous avons commencé à rêver de créer une école internationale où les valeurs éthiques, l’inclusion, la responsabilité sociale et environnementale, les valeurs interculturelles de respect seraient enseignées. Nous voulions aider les futurs citoyens de demain à construire leur avenir au regard de ces enjeux. En 2014, avec un groupe de personnes partageant les mêmes idées, dont Noubar et Anna Afeyan, Gagik Adibekyan, Vladimir et Anna Avetissian et Oleg Mkrtchan, nous avons créé UWC Dilijan, le premier internat international en Arménie. » En août de cette même année, l’école accueille sa première promotion de 94 étudiants, provenant de 49 pays. C’est la première brique significative de la nouvelle vie de Ruben Vardanyan.

Aurora, une puissance de vie

Sa deuxième brique est dans l’humanitaire. Elle porte un nom : Aurora Humanitarian Initiative ; en Français, Aurora l’Initiative Humanitaire. Là, nous plongeons encore plus profondément dans les racines arméniennes. Nous sommes au cœur de la survie et du génocide de 1915. Avec Noubar Afeyan et Vartan Gregorian, Ruben, dont le principal hobby est la lecture d’œuvres littéraires, à ses heures perdues, se lance dans la lecture de celles d’Aurora Mardiganian. Née en 1901, son vrai nom est Arshaluys Martikian. Elle est la seule rescapée du génocide. Elle est morte en 1994. Son histoire est incroyable. Ruben y a puisé toute sa force pour lancer cette ONG-Fondation, qui chaque année dessert un prix international d’une valeur de 1 million de dollars, a des personnalités hors-du-commun qui œuvre en faveur de la paix, de l’assistance humaine, et, de l’enfance. Il honore les héros de l’humanitaire, de la résilience et de la survie.

Cette année, le prix a été remis, en octobre dernier, à Venise. Le jury est prestigieux. Il est composé de personnalités internationales, comme Lord Ara Darzi, directeur de l’Institut pour l’innovation globale en matière de santé, au Collège Impérial de Londres, Georges Clooney, Shirin Ebadi, la première femme juge en Iran, Leymah Gbowee, Libérienne, co-lauréate du prix nobel de la paix en 2011, et, Bernard Kouchner. Il a choisi de remettre le prix à Julienne Lusenge. Elle est la co-fondatrice de SOFEPADI, Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral, une ONG de la République Démocratique du Congo. Depuis 20 ans, elle vient en aide aux femmes et aux enfants victimes de la guerre, de violences sexuelles et autres. Ruben peut se réjouir de cette remise de prix. Sur l’île Saint-Lazare de Venise, il déclarait : « Ici, nous mettons à l’honneur des héros tels que Julienne Lusenge. Nous mettons en valeur leur travail avec l’aide de nos donateurs et amis du monde entier. »

Le Futur Arménien

C’est la troisième brique fondatrice de sa nouvelle vie donnée aux autres. Avec ses amis du monde entier, d’Arménie, de Russie et de la diaspora, il s’est lancé dans une nouvelle aventure. Celle de contribuer collectivement et publiquement au développement futur de l’Arménie. Une sorte de Think Tanks international, qui est indépendant des partis politiques et qui a défini 15 objectifs à atteindre. Elle est portée par deux fondations : Armenia 2041 et Armenia 2020, qu’il a fondées avec Noubar Afeyan. Elle est financée par ces-derniers, Artur Alaverdyan, Richard Azarnia, Aram Beckhian, et David Tavadian.

Il s’explique sur cette nouvelle initiative qui a vu le jour en décembre 2020. « Oui, depuis la guerre de 2020, depuis la défaite de l’Arménie, et, depuis la perte de 70% du territoire du Haut-Karabakh, je suis très inquiet pour l’avenir de notre jeunesse. » L’Azerbaïdjan et la Turquie semblent avoir toujours le même objectif : construire leur unité, aux dépends de l’Arménie. En ce moment les soldats azéris sont toujours à l’œuvre pour grignoter ses frontières. Ils ont fait des percées de plusieurs kilomètres à l’intérieur du pays, depuis le mois de mai. Pendant qu’ils pérennisent leur invasion, le monde se tait.

C’est pour cela que Ruben Vardanyan reste préoccupé. Le milliardaire au cœur d’or ne perd pas, pour autant, une minute à avoir des états d’âme. Il agit, initie, finance, projette des actions qui sont en train de participer de façon très significative à faire de l’Arménie une « start-up nation. » De ses initiatives, de ses 700 projets, plusieurs start-ups ont vu le jour. Plusieurs milliers d’emplois ont été créés. C’est l’avenir de ce petit pays, première nation chrétienne, que j’appelle ‶confetti″ qui est en jeu. Et, leur avenir, leur jeunesse, leur pays, Ruben et ses amis ont décidé, plus que jamais, d’en prendre soin et de le développer « quoiqu’il en coûte ».

Antoine Bordier


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