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Anjou : l’incroyable destin du château de La Houssaye

« Nous aimons ce château, car il nous rappelle l’histoire incroyable de l’Anjou », répond John, un anglais installé dans la région depuis plusieurs années. Les châteaux de l’Anjou, ceux de la Loire, respirent l’histoire de France sur plusieurs siècles. En poussant les vieilles grilles du château, la rencontre avec les nouveaux propriétaires, la famille Bru-Luneteau, est presque imaginaire. Ils ont créé un monde, qui fascine les petits comme les grands. Reportage à remonter le temps.

Copyright des photos A. Bordier

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Ah, l’Anjou, cette terre de France, qui est presque restée la même depuis le… 15è siècle. 1412, c’est la date de construction qui est apposée sur la façade blanchâtre du château de La Houssaye. Aujourd’hui, pour s’y rendre, de Paris, il faut mettre 3h30, en voiture, via Le Mans et Angers. Si vous empruntez l’A10, plutôt que l’A11, vous passerez par Orléans, Tours et Angers. Il vous faudra, alors, rajouter une heure pour atteindre le joli petit village de Saint-Laurent-du-Mottay. Saint-Laurent-du-Mottay ? Un village de 724 habitants avec un nom enchanteur, qui ressemble à une composition musicale, polyphonique, à quatre voix et huit mains.

Comme la douce France est belle vue du ciel. C’est une mosaïque de cultures, de prairies et de vallées. Les paysages, les villages et les petites villes traversées y fleurissent la campagne. Il faut rouler doucement, toute fenêtre ouverte pour que l’histoire de la douceur angevine s’engouffre dans l’habitacle et imprègne tout votre être. Dans la vallée de la Loire règnent de nombreux châteaux tapissés de pierres de tuffeau et de jardins à la française. Enfin Angers, nous voilà presque arrivés. Angers n’a plus de duché, ni de comté. Non, la Révolution française est passée par là. La chouannerie y a payé un lourd tribut : celui du sang versé. Mais le château des ducs d’Anjou a tenu bon, il est resté debout. Il nous invite à remonter le temps.

Le château d’Angers et ses tours

Pensez : avec ses 17 tours, impossible de lui mettre genoux à terre. Avec son mur d’enceinte de 1 km, Blanche de Castille, au 13è siècle, avait vu juste : ce château a été construit pour demeurer éternel. Il rappelle l’histoire glorieuse de la capitale des Plantagenêts. Cette dynastie régna du 12è au 15è siècle, sur un territoire qui s’étendait, au début, des Pyrénées à l’Irlande, en passant par l’Angleterre. Tout l’ouest de la France, jusqu’aux îles vertes irlandaises, était leur domaine. Ce temps ne durera que la moitié d’un temps. Au début du 13è siècle, l’Anjou, le Maine, la Normandie et la Touraine tombent aux mains du roi de France Philippe Auguste.

A partir du 13è siècle, Saint Louis (Louis IX) confie la charge du comté d’Anjou à son frère, Charles Ier. Puis, au 14è siècle, le comté devient un duché. C’est à ce moment-là qu’Angers retrouve de sa superbe. Des figures emblématiques, comme le bon roi René, vont traverser l’histoire. Son duché est intégré au Royaume de France, à la suite de manœuvres politiques menées par le roi de France, Louis XI, le neveu du roi René. Nous sommes en 1474. Le Royaume de France est une grande famille. A 20 mn du château d’Angers, un autre château est caché derrière ses hauts arbres multi-séculaires : La Houssaye.

Un manoir qui devient château

En 1412, les travaux de La Houssaye sont terminés. Son propriétaire est Jean Fleury. Impossible de savoir s’il s’agit de l’évêque d’Angoulême, ou d’un clerc et greffier qui aurait assisté à la mort de Jeanne d’Arc, sur la grand-place du Vieux-Marché de Rouen. Quoiqu’il en soit, cette année-là, il contemple la fin des travaux. Le château est en fait un manoir, une gentilhommière qui n’est pas encore flanquée de sa tour sud. L’ardoise et la pierre du pays, le célèbre tuffeau, y excellent. Entouré d’un parc, de bois et d’étangs, il est le cadre idéal pour l’élevage de chevaux. 

Il va traverser les siècles, les guerres et la Révolution française. Puis, au 19è siècle, il va vivre son grand-siècle. La famille Bordier rachète le château et le transforme. Jules Emile Bordier est un banquier. Il a les moyens financiers. Il rajoute une tour au manoir qui devient à ce moment-là un château. Il rachète les fermes aux alentours. Plus tard, la Première Guerre mondiale et la Grande Dépression de 1929 vont emporter la banque, qui subit, également, les affres des affairistes locaux. Les Bordier sont obligés de se séparer du château en 1933. 

De famille en famille

Le château va alors passer de main en main, de famille en famille. Après les Bordier, qui vont presque rester un siècle (entre 1858 et 1933), c’est au tour de la famille Chéné (1933 et 1941), puis des familles Biotteau et Maugeais (de 1941 à 2005). Et, enfin, les actuels propriétaires sont la famille Bru-Luneteau, des passionnés de l’histoire du château et des anciens propriétaires, comme les Bordier.

Les Bordier ? Ils sont une famille 100% angevine. Ils étaient bijoutiers, orfèvres, puis, banquiers à Angers, et avaient investi dans toute la région. Ils faisaient vivre plusieurs hameaux et villages. Ils étaient, également, des bienfaiteurs. Dans cette famille, l’acquéreur, Jules Emile Bordier (1817-1893), s’est marié avec Angèle Haran de la Barre (1826-1897), qui appartenait à la noblesse angevine. En 1847, il a racheté la banque Rogeron avec son associé de l’époque, Jean-Baptiste Cormeray. La banque s’appelle, alors, Bordier-Cormeray. Jules-Emile était, également, administrateur de la Banque de France et ancien président de la Chambre de Commerce d’Angers et de la Chambre de Commerce du Maine-et-Loire. Quant à la banque, elle sera rachetée et fusionnera en 1950 avec le Crédit de l’Ouest, qui deviendra le CIC.

Une start-up ?

Du côté des Biotteau et Maugeais, nous avons, cette fois-ci, deux familles d’industriels qui vont s’illustrer notamment dans une marque bien connue : TBS. « C’est ici en 1973 qu’est née la marque », explique Jacques Bru. « Ils ont démarré dans ces hangars en créant un revêtement pour les terrains de tennis : “ Terre Battue Synthétique ”, d’ailleurs, le 1er terrain est toujours ici ».

TBS ? A l’époque, c’est, donc, une start-up dans les revêtements des terrains de tennis. Cette terre battue synthétique va ensuite leur servir pour les… chaussures, au style bateau. Le pivotement est réussi. TBS est une marque française qui va compter au pays de l’Anjou. Au château de La Houssaye, Gérard Biotteau et Antoine Maugeais s’attellent aux premiers prototypes de la marque aux chaussures et aux textiles très innovants. TBS est officiellement lancée en 1978. L’alliance des deux familles font que TBS entre dans le groupe ERAM et en devient l’une de ses marques emblématiques. Innovations obligent.

Aujourd’hui, les marques sont devenues grandes, très grandes. L’ensemble du groupe pèse 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, avec ses 5 500 collaborateurs. Il reste un groupe familial à part entière. Créé en 1927, son siège social et ses ateliers sont, toujours, implantés à Saint-Pierre-Montlimart, à 13 minutes en voiture (à moteur) de La Houssaye. On comprend mieux la présence des Biotteau et Maugeais à Saint-Laurent-du-Mottay.

Aline, Jacques, Valentin et Lara : une famille authentique

Ils sont simples, amoureux de l’histoire angevine et de leur région familiale. « Ici, nous vivons dans un château qui a 6 siècles d’histoire », répète Jacques. « Nous en sommes, en quelque sorte, les héritiers et les serviteurs. Nous sommes dans un lieu qui remonte à l’époque féodale, au temps des chevaliers. » Le temps des chevaliers ? Cela fait rêver.

Aline et Jacques ne sont pas un couple de châtelains comme les autres. Ils ont quelque chose d’unique. « Nous aimons l’histoire, c’est vrai. Et, nous travaillons ensemble dans notre agence de communication. Aline est originaire de Châtellerault et moi d’Angers. Nous ne sommes pas des collectionneurs de vieilles voitures, même si nous en avons quelques-unes. Autour de l’automobile et de ce château, nous voulons raconter des histoires, les remettre en scènes. Nos familles ont vécu dans les vieilles pierres. »

Aline l’interrompt et ajoute : « Dans ma famille, nous avons, encore, un vieux moulin. Nous aimons les vieilles pierres. C’est certain ! ». Avant lui, les parents de Jacques travaillaient au service d’un châtelain. Il a, donc, dès son enfance, était bercé dans ce milieu chargé d’histoire angevine.

L’histoire passionnante des marques

« Il n’y a pas que les vieilles pierres qui nous unissent. Nous travaillons dans la communication et l’histoire des marques. Nos clients ont, toujours, une histoire à raconter. Qu’il s’agisse d’une entreprise familiale qui a perduré dans le temps. Notre agence s’appelle Marlow, comme le nom du détective. Nous sommes, certainement, l’une des agences les plus anciennes des Pays de la Loire. Nous nous sommes spécialisés dans l’univers des marques et des produits de la grande distribution et du commerce spécialisé. Nous l’avons créée en 1985. Il y a 40 ans », raconte Jacques, visiblement, ému.

Leur agence a, déjà, travaillé pour des grandes marques comme OCB, Fleury-Michon, pour n’en citer que quelques-unes. Ils se souviennent, encore, de la campagne pour OCB : « Nous avions carte blanche. Ils étaient présents à Angers et à Perpignan. Il était important de raconter l’histoire d’OCB pour les collaborateurs, pour la culture interne. »

Aline et Jacques continuent de conter leur histoire, pendant que Valentin prépare le café. De son côté, Lara, absente du château, du haut de ses 25 ans, n’est plus étudiante : « Elle travaille pour une filiale du Circuit des 24h du Mans dans l’organisation des courses automobiles dans toute l’Europe ». La transmission de la passion automobile tourne à plein régime. La nouvelle génération prend le relais. Elle est, déjà, sur le pont.

Valentin et son jardin extraordinaire

Il y a du Joachim du Bellay, du Pierre Rahbi et du Pierre de Ronsard, dans ce jeune homme de 27 ans. Joachim du Bellay ? Oui, cet angevin est un auteur, un poète, un écrivain à succès comme son ami Pierre de Ronsard, qui, lui, est originaire du Vendômois, au nord de Tours. Ils ont juste deux ans de différence. Ensemble, ils vont lancer la Pléiade, un groupe de poètes qui ambitionne de redorer le blason de la langue française. Mais des trois, Valentin ressemblerait davantage à Pierre Rabhi.

« Nous sommes arrivés à La Houssaye, j’avais 9 ans. A 12, j’ai commencé le jardin. Puis, j’ai continué. Et, j’en ai fait mon métier, il y a 5 ans. J’ai lancé le concept Les Jardins de La Houssaye, à ce moment-là ». Valentin n’est pas qu’un simple jardinier. Il y a un an, il prenait la plume et publiait en auto-édition Le guide du parfait jardin en permaculture

L’ombre de Pierre Rabhi plane, alors, à l’énoncé de ce mot : permaculture. Ce petit personnage, né en Algérie en 1938 et décédé à Bron, en France, en 2021, a été l’un des chantres de la permaculture, et l’un des pionniers de l’agriculture écologique en France. A La Houssaye, les jardins de Valentin s’inscrivent dans cet esprit. Ils sont une véritable réussite. « Mon potager n’utilise aucun intrant chimique. J’ai aménagé l’ancienne serre des Bordier, qui date du 19è. J’y cultive plus de 500 variétés de légumes et de plantes aromatiques. J’ai créé un jardin Mandala, avec des carrés aromatiques, que je vais entièrement redessiner en 2024 ». 

Des fruits et des légumes du monde entier

Valentin chausse ses bottes. Il s’apprête à quitter l’un des salons lambrissés du château où trône une magnifique cheminée. Des bûches du domaine y crépitent. Il sort et se dirige vers son jardin extraordinaire. Il tient à préciser, sur le chemin, que s’il connaît Pierre Rabhi, ses deux maîtres à penser restent Charles et Perrine Hervé-Gruyer.

« Ils ont créé la ferme du Bec Hellouin, qui est une très belle réussite. C’est mon modèle. » Dans cette ferme exemplaire, créée au début des années 2000, Charles, le marin, décide de faire une escale définitive sur le plancher des vaches. Perrine de son côté, après avoir bourlingué en Asie pour des raisons professionnelles, le rejoint. Le couple d’aventuriers-voyageurs va tomber amoureux de la région du Bec Hellouin. Ils sont devenus des fermiers d’un nouveau genre : celui d’autrefois, des pratiques ancestrales, celui de la permaculture.

A La Houssaye, Valentin ne traîne pas. Son pas est rapide. Il oblique vers la droite. Là, se découvre la serre, cachée derrière un haut mur. Elle est un joyau à la fois architectural et paysager. Elle forme une demi-lune de verre. « Nous l’avons entièrement restaurée à partir de 2006 », expliquent à l’unisson Jacques et Aline. Eux-aussi ont chaussé leurs bottes. En cette fin de matinée, le soleil est radieux, le ciel est bleu, l’herbe verte est grasse et humide. On se croirait dans un paradis… vert.

Valentin entre le premier dans la serre, où la température monte en flèche. Il est à l’aise, dans son jardin secret. Tel un guide-professeur, il nomme toutes les plantes qui s’y trouvent encore : la citronnelle de Madagascar, la verveine d’Argentine. Il fait un geste et attrape un petit fruit jaune-oranger de la taille d’une cerise : « C’est un coqueret du Pérou… ». Le moment est délicieux.

Des conteurs d’histoires et des passionnés de voitures

Nous repartons. Direction le monde de Jacques et d’Aline. Le dépaysement est total dans leur univers, entreposé dans les communs du château. Il y a, aussi, cette nouvelle bâtisse en bois, qui abrite les voitures de collection du couple. Là, après les vieilles pierres du château et les semences oubliées, sont reconstituées les histoires de la fin du 19è siècle, celles des années folles et des années d’après-guerre. Sur près de 1000 mètres carrés, un autre voyage dans le temps commence, à partir du mobilier d’époque et surtout des voitures d’autrefois, des motos, des vélos de nos parents, des transistors de nos grands-parents et de la caisse enregistreuse de nos arrière-grands-parents. Un musée, des univers qui vous plongent dans un passé pas si lointain, finalement. Jacques et Aline sont épatants. Ils connaissent par cœur l’histoire des 5 000 pièces chinés depuis une quarantaine d’années.

Dans quel but ? « Nous voulons partager et transmettre nos passions, qui sont, principalement, axées sur l’histoire. Ce lieu est visité par 4 000 personnes chaque année. Ici, pendant deux à trois heures, les gens sont dans un autre monde. Ils repartent avec des envies… » Une parenthèse de bonheur inattendue.

2024 : l’année des concerts ?

6 siècles après sa construction, le château de La Houssaye n’a pas fini d’émerveiller ses châtelains et ses visiteurs, qui seront ravis de toucher la combinaison de course automobile de l’ancien présentateur du JT de 13h sur TF1, Jean-Pierre Pernaut.

Aline, en plus, de sa passion commune avec Jacques, veut redonner au château sa touche artistique, notamment, avec un personnage emblématique pour elle : « Mon modèle, c’est Jules Bordier (NDLR : 1846-1896), qui était musicien et qui a créé les concerts populaires d’Angers, avec Louis de Romain, son associé ». En 2024, elle veut lui rendre hommage et organiser, à son tour, des concerts. Le château de La Houssaye proposera, ainsi, un 4è univers, plus musical cette fois-ci. Peut-être y verrons-nous le bordicor, cet instrument de musique présenté à l’Exposition Universelle de Paris de 1900, inventé par Paul Jean Bordier (1826-1909), un compositeur-inventeur, à qui l’on doit, notamment, la musique de Mon Lac. Si elle voit le jour, cette parenthèse musicale ne sera pas si inattendue que cela. A suivre…

Pour en savoir-plus : https://lesjardinsdelahoussaye.fr/
www.lemondedejacques.fr

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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1 commentaires sur « Anjou : l’incroyable destin du château de La Houssaye »

  1. J’aime l’Anjou
    Même si je n’y suis pas née
    Grâce à votre récit
    Je viendrai voir le château de la Houssay
    Merci

    Répondre

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