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À Djibouti, le rêve avorté du Singapour africain

Avec une population d’à peine un million d’habitants, une superficie de 23 200 km2 et un PIB par habitant parmi les plus faibles du monde, Djibouti a toutes les caractéristiques d’un pays dont la vocation est de rester hors du jeu des affaires internationales.

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Avec une population d’à peine un million d’habitants, une superficie de 23 200 km2 et un PIB par habitant parmi les plus faibles du monde, Djibouti a toutes les caractéristiques d’un pays dont la vocation est de rester hors du jeu des affaires internationales. Et pourtant, rarement un pays a été aussi scruté par les grandes puissances qui cherchent, par tous les moyens, à y maintenir une influence diplomatique. La France, les États-Unis, la Chine et même le Japon et l’Allemagne y possèdent des infrastructures militaires. La Russie et l’Arabie saoudite sont en négociation pour s’y implanter aussi. Mais, dans ces jeux d’influence, la Chine semble avoir pris l’ascendant sur un pays qui se rêve en « Singapour africain ».

Un carrefour stratégique sous influence

Djibouti a conscience de son intérêt géostratégique. Le pays est situé en plein cœur de la route maritime qui passe par le Canal de Suez, la mer Rouge et l’océan Indien. Une voie commerciale qui, chaque année, rassemble 10 % du trafic maritime mondial. Pour Djibouti, ce positionnement géographique s’est transformé en rente stratégique. Depuis l’indépendance du pays en 1977, elle s’est même imposée comme l’une des rares ressources financières stables du pays. Les loyers payés par les puissances étrangères pour conserver leurs installations militaires atteignent, chaque année, 100 millions de dollars, soit 3 % du PIB du pays.

Le Président Ismaël Omar Guelleh qui a annoncé, le 22 décembre dernier, se positionner sur un cinquième mandat, a transformé le pays en propriété familiale, accordant à ses proches la mainmise sur les principales administrations et entreprises du pays. « Aujourd’hui, la moitié des actifs est au chômage. La pauvreté touche de milliers de Djiboutiens » expliquait, en 2018 à RFI, Ahmad Soliman, spécialiste de la Corne de l’Afrique et chercheur au think-tank Chatham House. La forte croissance du pays, comprise entre 5 et 7 % par an, ne fait plus illusion.

Une modernisation sous influence chinoise

Mais Guelleh se voit comme un modernisateur. Accroché au pouvoir depuis plus de vingt ans, il ne semble pas décidé à lâcher les rênes du pays. Pour lancer les travaux faramineux d’infrastructure qu’il ne peut pas financer, il s’est rangé dans l’escarcelle de la Chine — et son réservoir quasi-illimité de capital et de main d’œuvre. Officiellement, la Chine aspire à créer un modèle de relation équilibrée Sud — Sud avec le petit pays d’Afrique de l’Est. C’est en tout cas ce que déclarait le président chinois en 2017 qui, dans le cadre d’un sommet bilatéral, affirmant vouloir « approfondir (la) confiance mutuelle et (le) partenariat pour qu’ils deviennent un modèle de coopération ». Des déclarations mutuelles qui tranchent avec le déclin français dans la région. L’ancienne emprise française ne se matérialise plus que par sa base militaire, quelques écoles, un cinéma et une poignée d’entreprises. « La France regarde les trains passer en mode défensif et continue de percevoir Djibouti comme une grande caserne, alors qu’il y a des enjeux économiques majeurs et qu’on a l’avantage de la langue » expliquait, en 2017, l’ambassadeur Christophe Guillou. Peut-être plus pour longtemps, du moins chez les élites, la Chine ayant financé la construction de l’Institut d’Études Diplomatiques de Djibouti, au sein duquel des cours de mandarin sont dispensés aux étudiants.

Pékin a aussi relancé la ligne de chemin de fer entre Djibouti et Addis-Abeba, un vieil héritage colonial français tombé en désuétude, dont la rénovation a coûté environ 3,4 milliards de dollars. Autre « projet phare », de l’aveu même de Ismaël Omar Guelleh, la création d’une zone franche pour 3 milliards d’euros, destinée à attirer les investisseurs étrangers et à diversifier l’économie d’un pays toujours dépendant de sa rente stratégique. En novembre 2019, c’est un hôtel de luxe, doté de 155 chambres, de plusieurs suites et appartements, qui est inauguré en grande pompe par le gouvernement de Djibouti lors d’une cérémonie à laquelle ont assisté de nombreux officiels chinois. Pourtant, le rêve du Singapour africain, promu par le gouvernement de Djibouti, se heurte à la réalité.

Le pays est désormais enfermé dans une dette publique stratosphérique. Comme beaucoup de pays africains séduits par les investissements chinois. Car Djibouti n’est qu’une des faces de l’influence monétaire chinoise en Afrique. L’Overseas Development Institute considère que les prêts chinois constituent aujourd’hui 70 % de la dette extérieure de Djibouti. Ces prêts ont majoritairement été réalisés par des banques privées et des entreprises chinoises qui, malgré les demandes insistantes des organisations internationales, n’ont que modérément envie de les renégocier.

Dégradation du climat des affaires

Cette dépendance à la grande puissance chinoise amène avec elle de nombreux effets pervers. Qui, peu à peu, éloignent Djibouti du très libéral modèle singapourien convoité. Les investisseurs étrangers sont, peu à peu, exclus du jeu djiboutien. En 2018, DP World, opérateur émirati, majoritairement détenu par Dubaï, est purement et simplement éjecté de la gestion de son port. Libre, la place est reprise par un actionnaire… chinois, le groupe China Merchants Port Holdings qui reprend les parts de DP World et devient ainsi actionnaire majoritaire. Une décision illégale, selon la London Court of International Arbitration, qui conclut le 31 juillet 2018 que le contrat initial noué en 2015 est toujours vigueur. Décision que ne reconnaît pas Djibouti qui refuse de régler à l’opérateur malheureux les dommages et intérêts, estimés à 530 millions de dollars.

Des pratiques dont les conséquences se font ressentir dans les classements internationaux, où Djibouti n’émerge pas, à proprement parler, comme un Singapour africain. Selon l’indice de facilité de faire des affaires de la Banque Mondiale, Singapour brille à l’international pour son environnement propice à l’accueil de capitaux étrangers et son cadre favorable à l’entrepreneuriat, en occupant la 2ème place internationale. Djibouti, à l’inverse, occupe une triste 112e place, à des niveaux comparables au Pakistan, à la Côte d’Ivoire ou encore à la bande de Gaza.

La COFACE attribue à Djibouti un C pour sa note « environnement des affaires », que l’organisme juge sobrement « difficile », pointant notamment du doigt les défaillances dans la gouvernance, la corruption endémique et la dépendance systémique à la Chine, son principal créancier. Si comparaison n’est pas raison, Singapour obtient la note maximale, A1 à l’index COFACE du climat des affaires.

Pas de quoi motiver les investisseurs internationaux à s’implanter dans le pays, désormais chasse gardée du géant chinois. D’autant que des opposants dénoncent aussi des expropriations récurrentes contre de simples citoyens, au profit de la famille du Président Guelleh.


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