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A Djerba, la jeunesse tunisienne a rendez-vous avec la Francophonie et le fait savoir sur ses ondes

Copyright des photos A. Bordier et D. Raynal

De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur du livre : Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Ils sont 4 et sont élèves en terminale au Lycée Gustave Flaubert de Tunis, la capitale. Ces apprentis-journalistes ont décidé, en accord avec leurs parents et leurs professeurs, de consacrer toute leur semaine au 18è Sommet de la Francophonie. A l’heure où la culture francophone perdrait du terrain dans le monde, ici, sur cette île paradisiaque où Ulysse a accosté, ces jeunes relèvent le défi de la Francophonie. Reportage au micro de leur radio qui porte un drôle de nom.

Le village francophone de Djerba ne désemplit pas. En cette fin de journée, alors que le soleil se couche (il est 17h00) les jeunes de radio Cailloux préparent leur prochaine interview : celle de Fawzia Zouari. Hela Terki, Jasmine Lucattini, Dechir Haddad, et Naïs Taspect sont arrivés lundi de Tunis et vont passer toute la semaine à Djerba. « Nous avons mis 7h00 pour venir à Djerba », expliquent-ils à l’unisson.

Ces jeunes sont incroyables, on dirait des pros. Casque sur la tête, micro sous le menton, ils enchainent les interviews tutorés par leur mentor, le directeur de la radio du lycée, Khereddine Zarrouk.

« L’interview démarre dans 15 minutes, rejoignez-nous sous le pavillon français. » Le rendez-vous est pris. Dans les rues du village les familles déambulent, femmes, hommes, enfants, toute la Tunisie semble s’être donnée rendez-vous sur cette île peuplée de 150 000 personnes et grande comme 5 fois Paris (514 km2).

« Radio Cailloux est animée par plusieurs élèves du Lycée Gustave Flaubert. Nous représentons la seule radio lycéenne de Tunisie », explique Hela. « Nous sommes accompagnés par le lycée et par l’AEFE, l’Agence des Ecoles Françaises à l’Etranger. N’oublions pas, aussi, l’IFT, l’Institut Français de Tunis », ajoute Jasmine. « Nous sommes la radio des jeunes pour les jeunes. Nous sommes libres de traiter tous les sujets qui nous inspirent. Nous avons carte blanche », complète Dechir, le seul garçon de la bande. Pourquoi un tel nom ? Naïs répond : « Cailloux, parce qu’au début notre lycée s’appelait Maurice Cailloux, un généreux donateur qui a légué une partie de son patrimoine, pour que la France construise le lycée. »  Nul doute à avoir, cette équipe d’animateurs radio est, aussi, fine que jeune.

La genèse

Situé dans les hauteurs, au nord de Tunis, il est un endroit idyllique pour la formation de la jeunesse tunisienne et de la jeunesse francophone. Sur les bords de mer, c’est dans le quartier des expatriés que Maurice Cailloux, il y a 70 ans, en 1952, donnait son nom à ce qui était, dans un premier temps, un collège. En 1948, la Société du Collège Maurice Cailloux est créée à l’initiative des français installés en Tunisie. Un peu de recul historique s’impose…

La Tunisie vit au 19è siècle sous le joug de l’Empire Ottoman et des grandes influences européennes. En 1881, elle devient une colonie française (un protectorat, plus exactement). Elle recouvre son indépendance le 20 mars 1956, 18 jours après celle du Maroc. Depuis, la Tunisie est restée francophone, devenant, même, francophile. C’est, certainement, la vision qu’avaient les hommes de bonne volonté venant de France au 19è et 20è siècle. Comme Monseigneur Bazin, l’archevêque de Tunis, qui cède en 1948 une partie des vignobles situés près de La Marsa, aux Pères Assomptionnistes, qui veulent ouvrir un établissement scolaire. Les Cailloux apportent le budget d’investissement et de fonctionnement nécessaire (l’équivalent aujourd’hui de 15 millions d’euros).

Maurice Cailloux et l’ERLM

Il est incroyable ce Maurice. Après sa mort, le collège porte, donc, son nom. Cet ingénieur n’est pas un ingénieur du son ! C’est un agronome et un véritable entrepreneur. Au début du siècle dernier avec son équipe de haut-vol, il a développé les techniques de la mécanisation du labourage et du battage au profit des riches terres du plateau tunisien. Nous sommes en 1903. Il ne s’arrête pas là. Dans la foulée, il lance – aujourd’hui nous dirions, il incube – une nouvelle génération de semences de blé : celle du blé dur devenu l’une des principales richesses de la Tunisie. (A ce sujet, la Tunisie n’est pas encore arrivée à l’autosuffisance.)

C’est à l’ombre de ce grand bienfaiteur-visionnaire que le collège est devenu l’Etablissement Régional de La Marsa. Son Proviseur, Daniel Raynal, joint par téléphone présente l’ERLM : « Nous accueillons dans nos 5 écoles, dont le Lycée Gustave Flaubert, plus de 2 650 élèves, de la maternelle à la terminale. C’est l’un des plus gros lycées du réseau de l’AEFE (NDRL : Agence pour l’enseignement français à l’étranger). »

Retenu, en ce moment, en France pour des raisons de santé, il est arrivé en Tunisie il y a deux ans, en 2020. Après un début de carrière comme chef d’établissement dans l’académie de Toulouse, sa carrière s’est envolée pour servir la langue de Molière et de Flaubert à l’étranger. Amoureux de la Francophonie, en véritable ambassadeur, il a dirigé des établissements en Andorre, en Italie, et en Pologne. C’est un globe-trotter de la Francophonie !

Un proviseur « heureux »

« Oui, je suis heureux, parce que je travaille dans mon domaine de prédilection. Je suis professionnellement comblé. Grâce à cette expérience à l’étranger, j’ai pu mettre en œuvre ma passion pour l’enseignement et la diplomatie. Nous sommes des acteurs importants de la culture et de la diplomatie française. De plus, je suis passionné par le sport. Je suis un ancien joueur de rugby – dans des petits clubs autour du Stade Toulousain. Avec une équipe de passionnés, nous avons lancé le Tournoi de Rugby de la Méditerranée, qui devrait reprendre en mars 2023. » Marié et père de famille, de deux grands enfants, Martial et Jeanne, sa carrière est incroyable. Elle a été menée tambour-battant. Depuis plus de 13 ans, il a dirigé, à travers le réseau international de l’AEFE, des lycées à l’étranger. Mais, sa première expérience, c’était en France : « J’ai démarré comme CPE dans un établissement de la Mayenne. » A 59 ans, son expérience est un véritable couteau toulousain de la Francophonie.

Quant à la Tunisie, il l’aime pour ses arts, sa culture, son histoire. « Après la direction du lycée Comte de Foix dans la principauté d’Andorre, je souhaitais vivre une expérience dans un pays du Maghreb. Le Maghreb m’attirait. C’est tout naturellement que je me suis tourné vers la Tunisie. Ce pays est majoritairement francophone.  Ici, je suis, un peu, dans le vaisseau amiral de l’enseignement du français. » Avec l’IFT, l’Institut Français de Tunisie, il travaille, actuellement, sur des activités culturelles conjointes.

Nous évoquons, ensuite, l’histoire récente de la Tunisie, la fin de Bourguiba (Président de la République de Tunisie pendant 30 ans, de 1957 à 1987), le Printemps arabe et la Révolution de Jasmin qui ont étiolé le dynamisme de la Francophonie et déstabilisé le pays.

Avec cette jeunesse au micro de radio Cailloux, celle qui déambule dans le village tunisien de la francophonie et le 18e Sommet, il est certain que la langue de Molière et de Flaubert est en haut de l’affiche tunisienne (pour paraphraser Charles Aznavour). Le rebond de la Francophonie et de la Tunisie est réel. La Tunisie voudrait-elle devenir une start-up nation de la Francophonie. Pour l’heure, le mot d’ordre est celui-ci : « Tous connectés, tous au Sommet ! ».

Gustave Flaubert en Tunisie !

Parler de la Tunisie, parler de Djerba, parler de sa jeunesse et parler de la Francophonie sans parler de Gustave Flaubert serait inexcusable. En 1998, 2008 et 2018, le lycée fêtait en grande pompe les 140è, 150è et 160è anniversaires de la venue du célèbre écrivain en Tunisie. Cet écrivain français, dont on fêtait le bicentenaire de sa naissance, le 12 décembre 2021, est hors-norme. C’est un Immortel qui nous réconcilie, quand on le relie, avec la culture, les racines et les valeurs de la France. Sa plume poétique s’est affinée et transformée au fil de l’écriture et de ses plongées dans l’encrier. Elle est devenue romantique. C’est Salammbô qu’il faudrait enseigner après Madame Bovary. C’est un chef d’œuvre de la littérature. Il y a de la terre de France, de Tunisie et d’Ulysse dans ses pages. Faisons un retour en arrière.

Nous sommes au printemps 1858, dans les mois d’avril, mai et juin. Gustave a pris les voiles. Il veut s’éloigner du tumulte parisien et des scandales qui ont entaché Madame Bovary. Il a gagné son procès, il part pour Tunis du 12 avril au 5 juin. Là-bas, il voit les murs blancs des villas et les premiers bougainvilliers en fleurs. Il s’imprègne du parfum de Tunis, de Carthage, de son art de vivre, de sa culture, de son histoire. Il se rend à Djerba. Il se plonge dans l’Antiquité et dans les derniers siècles avant Jésus-Christ. Il relit Ulysse. Il mettra 4 ans pour écrire son roman historique qui est, encore aujourd’hui, un chef d’oeuvre. Dans 7 jours, nous fêterons les 160 ans de sa parution. Il a été édité aux Editions Michel Lévy Frères, le 24 novembre 1862.

Une jeunesse au micro de radio Cailloux

Question : pourquoi Flaubert appelait-il Djerba « l’île des Rêves » ? Les jeunes de radio Cailloux n’ont pas la réponse. Hela Terki, Jasmine Lucattini, Dechir Haddad et Naïs Daspect ont, cependant, hérité de lui, spirituellement, un français presque parfait. Ils le connaissent.

A radio Cailloux, c’est l’effervescence. Au micro, leurs animations et leurs questions sonnent justes. En face de cette fine équipe : des auteurs, des entrepreneurs, des journalistes, des amoureux de la langue de Flaubert, des ambassadeurs, comme l’Ambassadeur de France en Tunisie, André Parant. En tout, ils sont une bonne vingtaine à animer cette radio et à produire des podcasts.

Et, si nous parlions de leur avenir ? Dans un premier temps, ils représentent leur lycée à la Francophonie. Dans un deuxième temps, ils préparent leur baccalauréat. Et, dans un troisième temps, ils pensent à embrasser différents projets professionnels : Dechir se dirige vers le…journalisme, Naïs veut faire une licence en Philosophie et Humanité. Mais, elle veut surtout devenir…cascadeuse professionnelle ! Jasmine, elle, veut faire des études de Sciences Politiques pour se lancer, ensuite, dans la diplomatie. Quant à Hela, elle se dirige vers le cinéma…

Cette jeunesse est belle et pétillante. Intelligente, elle est, parfois, enivrante…comme les sirènes d’Ulysse où les eaux turquoise ont fait rêver Flaubert. Ce qui est encourageant, c’est que la relève francophone est assurée. Et, cela s’entend sur toutes les ondes !

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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