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A Bzommar, la petite Arménie du Liban est un coin de paradis

Copyright des photos A. Bordier

De notre envoyé spécial Antoine Bordier

Le Liban et l’Arménie ont leur destin lié depuis le 18è siècle. Au-dessus de Beyrouth, la présence arménienne épouse les contours de l’immense colline. Avec le Siège Patriarcal de l’Eglise Arménienne Catholique, l’Institut du Clergé Patriarcal, son couvent, son musée, sa bibliothèque, ses oliviers et sa société de reliure, c’est un trésor culturel inestimable qui se dévoile. L’esprit d’entreprise des prêtres, qui cultivent leur vignoble et bientôt leur ferme sur près de 300 ha, est atypique et réel. Reportage en immersion, dans ce petit coin de paradis.

« Allez à Bzommar, c’est la petite Arménie catholique du Liban », avait lancé en guise de défi journalistique Krikor Djabourian un natif de Beyrouth, qui a vécu aux Emirats. « Vous y serez le bienvenu » avait surenchéri le Patriarche Raphaël Minassian (l’équivalent du Pape pour les Arméniens Catholiques). Le serial bienfaiteur Vahé Gabrache avait confirmé : « Oui, c’est un petit bout de paradis, il y a des trésors partout ». Ni une, ni deux, le défi est relevé. De Beyrouth, en ce joli mois de juin, il faut compter près de 50 mn pour parcourir les 35 km qui séparent les deux lieux.

Si le Rwanda est le pays des 1 000 collines, le Liban serait celui des 10 000 collines. Elles fleurissent partout, comme autant de petites fleurs alpines sur la terre du Liban où coulent le lait et le miel. Elles sont l’anti-chambre du Mont-Liban et de l’Anti-Liban, la dernière barrière naturelle qui fait office de frontière avec la Syrie, à l’est. Les routes y sont sinueuses et très fréquentées. Toute cette région qui s’étend au nord et à l’est de Beyrouth est principalement chrétienne. « Ici, vous êtes dans un pays confessionnel et toute cette région est maronite », commente Fadia notre conductrice. « Moi, je suis maronite », ajoute-t-elle. La laïcité à la française ? « Elle n’est pas pour demain, car la religion fait partie de notre ADN, que vous soyez chrétien ou musulman », explique-t-elle.

Fadia, la servante au cœur d’or, surnommée « la petite Marthe » (en référence à Marthe et Marie qui ont accueilli le Christ), s’arrête devant des sanctuaires. Elle se signe en passant au plus près des églises qui fleurissent, alors que nous arrivons devant le Lourdes Libanais : Notre-Dame d’Harissa, Notre-Dame du Liban. « C’est elle qui unit tous les Libanais, car y viennent toutes les confessions. » Elle est la reine du Liban.

L’Arménie et le Liban : un destin croisé

Le Couvent de Notre-Dame de Bzommar est dirigé par Mgr Gabriel Mouradian, qui est le vicaire général de l’Eparchie Patriarcale de Beyrouth et de l’Institut du Clergé Patriarcal de Bzommar. Il travaille directement avec Raphaël Bedros XXI Minassian, le Patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques. Il est, également, « le Vicaire judiciaire et le président du Tribunal, le président des Ecoles arméniennes catholiques. Enfin, il est le supérieur de ce couvent depuis 12 ans. » A 48 ans, il a derrière-lui, déjà, 25 années de prêtrise. Il est tombé dans la religion quand il était petit, à 9 ans exactement.

Il nous accueille tout de noir vêtu. C’est un véritable chef d’entreprise, un chef d’orchestre, un architecte hors-pair, qui fourmille de projets et d’idées pour développer, restaurer et valoriser ce bijou posé sur son écrin naturel de roche et de verdure. Il a, également, sous sa responsabilité le vignoble du couvent, ainsi que les nouveaux projets agricoles. Il veut que Bzommar devienne un havre de paix « où tout le monde pourra venir pour se reposer, méditer, déguster nos vins, goûter nos produits du terroir, nos olives, nos fruits, nos cerises, nos abricots, nos pommes. Nous ferons, également, nos fromages, notre lait et nos yaourts. Mais Bzommar est, avant-tout, un lieu de prière, un lieu de formation pour nos jeunes séminaristes, et le gardien de milliers de manuscrits. Nos trésors sont antiques. »

Depuis plus de trois siècles, depuis les années 1720-1722, les destins de l’Arménie et du Liban se sont étroitement liés, entrecroisés, comme l’on tresse une seule et même couronne avec deux fils d’or différents. A la suite des persécutions ottomanes contre les populations arméniennes de Cilicie (région se trouvant dans l’actuelle Turquie, dans la région d’Adana, au sud-est), l’archevêque Abraham Ardzivian se retrouve au Liban et y fonde la future Eglise catholique arménienne, le 8 décembre 1742, à Jounieh (une ville au nord de Beyrouth), exactement. Là où se trouve l’un des poumons de la communauté maronite – principale communauté chrétienne au Liban. Puis, en 1749, il acquière ce qui va devenir le Siège Patriarcal des Arméniens Catholiques.

Bzommar, une principauté et un trésor

Bzommar, aujourd’hui, est un village de 7 000 habitants. Mais, à l’époque, il s’agit d’une principauté qui joue un rôle majeur. Y siège même le gouverneur du Mont-Liban pendant la période ottomane (1516-1918).

Pour bien comprendre, écoutons Amine Jules Iskandar, un expert du média Ici Beyrouth : « A Bzommar, Le principal conseiller du prince Bachir II le Grand n’était autre que Mgr Jacques Holassian, le vicaire patriarcal sous le catholicos Grégoire-Pierre VI. Il était également le confesseur de la princesse Hosn Jihane, épouse de Bachir II. Pour ce prince, le patriarcat arménien catholique représentait plus qu’un soutien moral et spirituel. Ayant pressenti la défaite face à un imminent débarquement anglo-ottoman, il a confié le 3 septembre 1840, les trésors princiers au monastère maronite de Richmaya et au patriarcat arménien de Bzommar. »

A Bzommar, les trésors sont, toujours-là. Une partie est ouverte au public, sur réservation. L’autre, la plus importante, qui représente plusieurs milliers d’œuvres d’art, attend que le futur musée où elles seront exposées, ouvre ses portes. En ces temps de crise et de disette, les mécènes se font, toujours, attendre.

Une histoire génocidaire et un jardin extraordinaire

C’est dans ce couvent, juché à plus de 900 mètres, que l’évêque émérite Mgr Georges (Kevork) Khazzoumian vit les mois d’été. « Oui, je vis 6 mois ici. Le climat y est humide, et souvent nous avons le brouillard. Mais, il est plus sain qu’à Beyrouth. La chaleur y est douce. L’air est très agréable. C’est pour cela que je ne redescends à Beyrouth qu’en hiver. » Né en 1935, il est natif de Beyrouth. Son père, Abdo, est originaire de Mardin, en Anatolie (en Turquie). Sa mère, Elisabeth, est une maronite. « Mon père avait 7 ans quand il a échappé au génocide de 1915 », raconte-t-il. « A Beyrouth, nous habitions le quartier Shiah, et lors du mandat français [ndlr : entre 1920 et 1943], je me souviens avoir vu des militaires français camper juste en face de la maison. »

En 1946, trois ans après l’indépendance, il entre au Petit Séminaire de Bzommar. « J’avais 11 ans. A l’époque nous étions 80 ! Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une petite vingtaine. » Puis, il devient curé de paroisse à Beyrouth, et par la suite, il est le recteur du séminaire de Bzommar. Il cumule avec ses fonctions de directeur spirituel, d’avocat au tribunal ecclésiastique, de vicaire patriarcal pour l’Institut du clergé patriarcal de Bzommar. Ensuite, il devient exarque patriarcal de Jérusalem et d’Amman. C’est en 2000, qu’il s’envole pour Jérusalem, où il dirige l’Eglise catholique arménienne, puis, ce sera, entre 2006 et 2014 la Turquie.

« Depuis 2014, je vis, ici, comme un retraité. Je vis dans un couvent et un jardin extraordinaire. Je suis les travaux, les projets de nos fermes agricoles. »      

Il sort de sa chambre-bureau pour se diriger à l’extérieur, dans les jardins extraordinaires. Il descend des escaliers, emprunte un long couloir tapissé de pierres blanches du pays, fait visiter l’église, puis, la chapelle de la Vierge. Il s’incline devant le mémorial du génocide de 1915. Sur la grande place, il fait un 360° : « Regardez la nature qui nous entoure, n’est-elle pas extraordinaire, merveilleuse ? » Des vallées, des près, des cultures d’oliviers et d’arbres fruitiers en terrasse, des vignes forment cette couronne où la nature exulte. Elle est généreuse. Les restanques sont magnifiques. De nouveaux oliviers y ont été plantés. Avec sa marche monastique, au pas de Dieu, il descend voir les travaux de sa ferme écologique qui fera vivre plusieurs familles. « Il y aura, à la rentrée prochaine des vaches, des moutons et des poules. Ce sera une ferme modèle, comme chez vous », finit-il par dire en rigolant.

Une bibliothèque, des livres et un trésor

Le couvent datant du 18è siècle, ses entrailles recèlent des trésors inconnus. Hampik Kabanjian travaille avec son équipe dans les sous-sols, les caves du couvent. Ici, tout inspire le respect et le sacré. On se croirait dans une crypte médiévale avec ses arcades voutées, ses murs de pierres, et ses dallages d’un autre-temps. Il manque juste l’encens et le chant des moines. C’est celui des oiseaux, qui se font la course autour du couvent, que l’on entend.  « Je suis un artisan du livre. Je suis au service du couvent depuis 23 ans. Je restaure, je fais la reliure et conserve les livres anciens, les parchemins de Bzommar. » Calme et posé, parlant, parfaitement, le français, c’est en France qu’il s’est formé, à Arles. Relieur, il a, en ce moment, entre les mains des livres du 17è siècle. Plus précisément, il travaille ce matin-là, sur un livre incroyable. « Je travaille comme un orfèvre. Je restaure des couvertures, des pages. Le livre que vous voyez-là est une Bible du 17è. Nous avons même des manuscrits du 13è. Nous avons presque 2000 manuscrits. Le plus ancien est du 11è siècle. » Cet artisan est un véritable entrepreneur du livre, dans le sens latin du terme : inter prehendere, qui veut dire saisir avec la main.

Plus haut, dans un autre couloir, que l’on a du mal à sectoriser tant le couvent et les bâtiments juxtaposés, qui se sont élevés ces-dernières années, en font un véritable labyrinthe, le père Moïse attend. C’est un musicien, organiste hors-pair, qui est le gardien du trésor de Bzommar. Il ouvre les portes d’une longue salle voutée, ultra-sécurisée : « C’est une partie de notre trésor, nous avons des œuvres d’art, des objets liturgiques, nous avons même des monnaies, des pièces anciennes, des billets de Cilicie. Dans le grand musée que nous souhaitons ouvrir – nous recherchons encore des mécène – il y en aura plein. Nos objets datent du 18è et du 19è siècle. »

A travers ces objets, ces œuvres, ces vêtements liturgiques et profanes, ces tableaux et ces icônes, ces vieilles malles en bois, votre être voyage. En entrant dans cette pièce, dont les pierres suintent l’histoire du couvent et du Liban, intimement liées, le dépaysement culturel est garanti. Cerise sur la visite : Moïse est un conteur prolixe !

Des Arméniens, du vin et des spiritueux

Dans cette petite Arménie, renouant avec la tradition monastique des moines d’Orient et d’Occident qui vivaient en autarcie, avec leurs fermes et leurs domaines viticoles, c’est à partir de 1810 que le couvent commence à produire ses premiers vins et ses spiritueux. Les caves sont magnifiques, nichées, presque cachées à l’abri des regards, dans l’ancien séminaire. Les parfums qui s’évadent des flacons de rouge, de blanc et de rosé, s’y diffusent avec douceur, comme les effluves d’encens qui s’envolent dans l’église.

Chaque année entre 10 et 15 000 bouteilles sortent du Domaine de Bzommar. Une dizaine d’hectares y sont, ainsi, consacrés. La notoriété de Bzommar est telle qu’un ancien président de la République du Liban, Charles Helou a dit : « L’histoire du Couvent de Bzommar s’identifie avec l’histoire du Liban. » Il en est de même de son vin, qui vieillit dans de vieilles amphores phéniciennes et des fûts de chêne venant de…France. Ici, Bzommar est bien une parcelle d’Arménie au Liban, un petit coin de paradis où coulent le lait, le miel et le bon vin.

Avant de repartir de la cave, dans un très vieux bassin de baptême, sécurisé, Mgr Gabriel se penche et ouvre la vieille porte en bois. Des vieux millésimes tout poussiéreux qui y finissent leur longue vie, il en ressort une bouteille de…1923 ! Un trésor de vin…divin ! Un trésor centenaire.

Dernier projet en cours, et non des moindres : un petit complexe sportif, avec un min-terrain de football et de basket, et un terrain de tennis. « C’est la jeunesse que nous voulons accueillir. Elle est porteuse d’espérance et de paix pour le Liban…et l’Arménie. Comme vous l’avez compris, nos deux pays sont, étroitement, liés. Ils sont liés par leur histoire, leurs entreprises et leur spiritualité. Nous sommes comme des frères et sœurs », conclut Mgr Gabriel Mouradian, qui repart sur Beyrouth.

Pour en savoir plus : https://www.bzommarvank.com/fr/

Reportage réalisé par Antoine BORDIER                     


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