Par Gérard Meftah
Depuis l’ouverture de son marché intérieur en 1978, la Chine a su développer une stratégie industrielle étatique interventionniste lui permettant de concurrencer les leaders économiques occidentaux.
Si le marché de l’environnement semble réparti entre une dizaine de grands acteurs européens et américains, ces derniers sont en perte de vitesse constante depuis une dizaine années comme le montre notamment la diminution de leur part de marché en Asie et plus particulièrement en Chine. En effet, l’organisation entrepreneuriale chinoise fait émerger de nouveaux acteurs dans le domaine de l’environnement où l’évolution technologique, technique et gouvernementale commencent à menacer les acteurs historiques du secteur. Bien que la croissance semble s’expliquer par le rôle de la Chine dans la mondialisation, il semblerait que le rôle unificateur de l’Etat soit le véritable moteur économique. Dans ce contexte d’hyper-mondialisation et face à la stratégie de conquête offensive de leurs concurrents chinois, quelles réponses les leaders européens peuvent-ils envisager pour pérenniser leurs positions de marché et conserver leur chance de conquérir eux aussi les marchés environnementaux émergents ?
En quelques décennies les acteurs occidentaux ont perdu leurs avantages technologiques et techniques au profit de nouveaux venus locaux
Lors de l’ouverture de la Chine aux pays occidentaux il y une quarantaine d’années, un marché vierge s’ouvrait aux entreprises occidentales. Alors qu’elles s’implantaient dans l’empire du milieu grâce à de nombreux appels d’offres gouvernementaux, un transfert massif de technologies et de compétences s’est opéré, notamment au travers de joint-ventures. Ce phénomène, observé notamment dans le secteur de l’environnement, se manifesta aussi dans l’industrie automobile et électronique permettant ainsi aux entreprises et à la main d’œuvre locale de se former pour finalement reconquérir la majorité de leurs marchés. Cette stratégie expansionniste a continué de s’accentuer ces dernières années au point où les acteurs historiques de l’environnement, implanté depuis 30 ans en Asie du Sud-Est ont vu ce marché leur échapper. Au terme de leur expansion intracontinentale, la multitude d’acteurs environnementaux chinois a développé une stratégie de croissance externe s’attaquant désormais au marché de leurs anciens mentors en se déployant dans le monde grâce à de nombreuses acquisitions (comme par exemple Urbaser en Espagne par China Tianying, Trilty en Australie par BEWG ou encore Novago en Pologne par Everbright). Ils profitent ainsi de l’image de marque locale et de leurs nouvelles implantations pour faciliter ensuite leurs développements organiques, voire même leur faciliter l’acquisition d’actifs plus stratégiques.
Cette politique s’est accélérée ces dernières années avec de nombreuses acquisitions dans tous les pays européens (cf. annexe 1). Ces dernières sont en ligne avec le programme « Made in China 2025 » élaboré en 2015 en vue de promouvoir une transition de l’industrie et des compétences chinoises vers la production plus spécialisée (avec des investissements ciblés dans la recherche et le développement et un accent sur l’innovation technologique) dans 10 secteurs clés dans lesquels la Chine a pour objectif de prendre le leadership mondial dans les prochaines décennies.
Parallèlement, l’Etat chinois a mis en place une gouvernance centralisée des entreprises, créant un trompe-l’œil concurrentiel
Derrière une apparente situation concurrentielle permise par la multitude d’acteurs chinois, le gouvernement a réussi à créer une force de frappe collective en s’inspirant d’un esprit de gouvernance d’entreprise occidental, permettant alors de spécialiser et coordonner ses entreprises nationales. Tandis que les leaders environnementaux européens affichent des chiffres d’affaires bien plus importants que des entreprises chinoises majeures comme China Everbright International ou China Energy Conservation and Environmental Protection Group, respectivement 4 et 5 milliards d’euros de chiffres d’affaire1, la multitude d’acteurs chinois et les acquisitions qu’ils réalisent suivent une même stratégie, ne les mettant non pas en concurrence mais davantage en coopération. Comme on peut l’observer en annexe 2, les 13 principales entreprises chinoises environnementales, chapeautées par l’Etat, ont un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 30 milliards d’euros, qui ferait de ce consortium le champion mondial de l’environnement. D’ailleurs, le gouvernement a clairement affiché son intention de soutenir le secteur : le dernier plan quinquennal prévoyait 10 trillions de RMB2 (1.2 trillion d’euros), dont 15% seront directement financés par l’Etat. Ces investissements massifs, majoritairement sous la forme de PPP, favoriseront clairement les acteurs chinois, accélérant ainsi la création de champions nationaux.
Il y a dès lors un risque majeur pour les leaders historiques face à ce nouveau géant gagnant du terrain à mesure que ses entreprises évoluent techniquement et technologiquement. Rétrospectivement, on observe que cette stratégie industrielle chinoise n’est pas nouvelle. En effet, dans les années 2010, PSA, Renault et Fiat-Chrysler se sont massivement implantés en Chine. Dix ans après, les ventes dans ce pays de PSA chutent de 55,4%3 et le nouveau groupe Stellantis (fusion Fiat-Chrysler PSA) ne détient que 1% du marché4. Parallèlement, grâce à leur stratégie industrielle unifiée, la Chine a réussi à créer un duopole sur le marché des voitures électriques et autonomes en ayant pré-acquis les parts d’un marché qui commence seulement à se dessiner et avec Tesla comme seul véritable concurrent.
accentuant l’avantage concurrentiel face à l’Europe. Conjointement, l’initiative Belt and Road (la « nouvelle route de la soie ») dévoilée à l’automne 2013 par le gouvernement chinois et la prise de position de Pékin dans les organismes de financement internationaux, visent permettre à ses fleurons nationaux de remonter la chaîne de valeur sur leur segment de marché, à les mettre sur le devant de la scène internationale pour pénétrer des marchés de niche comme le waste-to-energy ou le traitement des déchets dangereux, compromettent ainsi la place et même la pérennité des leaders occidentaux.
L’objectif de la Chine est de capitaliser sur l’incomparable puissance de son marché intérieur pour permettre l’émergence de leaders chinois dans tous les secteurs stratégiques (tels que l’environnement) où la Chine souhaite être autosuffisante. Une fois que ces nouveaux leaders sont en mesure de répondre à la quasi- totalité des besoins nationaux, ils sont encouragés à se lancer activement, de manière disciplinée, en concertant leurs actions pour éviter toute concurrence sino-chinoise (entre sociétés sœurs puisque sous l’égide de la toute puissante SASSAC – Commission Chinoise d’Administration des Actifs Publics), à la conquête des marchés internationaux. Ces derniers s’élèvent à plus de 1,12 trillion d’euros5 dans le secteur de l’environnement. C’est ainsi que les champions environnementaux chinois sont en passe de devenir les géants mondiaux du secteur, à l’instar du groupe China Everbright International qui ne cache plus sa volonté de devenir « un leader écologique et environnemental sous 5 à 10 ans ». Dans ce contexte, la pérennité du leadership européen réside désormais dans la capacité de ses acteurs, au premier rang desquels Veolia et Suez, à regrouper leurs forces et leurs moyens, à se rapprocher pour ne plus parler que d’une seule voix à l’international.
De surcroît, les sociétés majoritairement publiques ont aussi l’opportunité d’effectuer du dumping et de profiter des marchés sud-asiatiques et africains, captifs de la Chine grâce au financement qu’elle apporte,
accentuant l’avantage concurrentiel face à l’Europe. Conjointement, l’initiative Belt and Road (la « nouvelle route de la soie ») dévoilée à l’automne 2013 par le gouvernement chinois et la prise de position de Pékin dans les organismes de financement internationaux, visent permettre à ses fleurons nationaux de remonter la chaîne de valeur sur leur segment de marché, à les mettre sur le devant de la scène internationale pour pénétrer des marchés de niche comme le waste-to-energy ou le traitement des déchets dangereux, compromettent ainsi la place et même la pérennité des leaders occidentaux.
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L’objectif de la Chine est de capitaliser sur l’incomparable puissance de son marché intérieur pour permettre l’émergence de leaders chinois dans tous les secteurs stratégiques (tels que l’environnement) où la Chine souhaite être autosuffisante. Une fois que ces nouveaux leaders sont en mesure de répondre à la quasi- totalité des besoins nationaux, ils sont encouragés à se lancer activement, de manière disciplinée, en concertant leurs actions pour éviter toute concurrence sino-chinoise (entre sociétés sœurs puisque sous l’égide de la toute puissante SASSAC – Commission Chinoise d’Administration des Actifs Publics), à la conquête des marchés internationaux. Ces derniers s’élèvent à plus de 1,12 trillion d’euros5 dans le secteur de l’environnement. C’est ainsi que les champions environnementaux chinois sont en passe de devenir les géants mondiaux du secteur, à l’instar du groupe China Everbright International qui ne cache plus sa volonté de devenir « un leader écologique et environnemental sous 5 à 10 ans ». Dans ce contexte, la pérennité du leadership européen réside désormais dans la capacité de ses acteurs, au premier rang desquels Veolia et Suez, à regrouper leurs forces et leurs moyens, à se rapprocher pour ne plus parler que d’une seule voix à l’international.
- Rapports annuels 2019 de China Everbright International et CECEP
- U.S.-China Economic and Security Review Commission, novembre 2019
- PSA : baisse de 10% des ventes en volume en 2019, Capital, 16 janvier 2020
- La Chine, gros point noir de Fiat Chrysler et PSA, Les Echos, 30 octobre 2019