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Chine : quatre raisons qui expliquent la volatilité du classement des milliardaires chinois

Homme le plus riche de Chine et d'Asie avec 71 milliards d’euros, Zhong Shanshan (65 ans) a bâti sa fortune grâce à l’eau minérale et aux tests Covid-19.

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Par le professeur Ming-Jer Chen, spécialiste de la stratégie commerciale et de la concurrence Est-Ouest à la Darden School of Business (University of Virginia)

Tribune. Bien que les États-Unis comptent toujours le plus grand nombre de milliardaires dans le monde, la Chine est, comme on peut s’y attendre, en passe de les dépasser. Selon le classement 2021 des milliardaires du magazine Forbes, le nombre de milliardaires en Chine a augmenté de plus de 60 % entre 2020 et 2021 (de 387 à 626), contre 18 % (de 615 à 724) aux États-Unis sur la même période.

À bien des égards, l’augmentation du nombre de milliardaires chinois est à l’image de la croissance étonnante de l’économie chinoise dans son ensemble : en effet, le PIB par habitant en Chine est passé de 951 dollars à 12 000 dollars entre 2000 et 2021 et a augmenté de près de 50 % au cours des six dernières années. Autre fait notable, le nombre d’internautes est passé de 8,9 millions en 2000 à plus de 900 millions aujourd’hui, et le taux de pénétration de la téléphonie mobile parmi les 1,4 milliard de Chinois avoisine les 100 %.

Mais un examen plus approfondi du classement des milliardaires chinois révèle une caractéristique intéressante et quelque peu idiosyncratique, en particulier si on le compare aux États-Unis : alors que ce dernier est stable depuis de nombreuses années, surtout à son sommet, les milliardaires figurant au classement chinois se renouvellent fréquemment, d’illustres inconnus venant remplacer des noms familiers à un rythme surprenant.

Un changement systématique

Qu’est-ce qui explique ces changements rapides ? La réponse tient pour beaucoup au paradigme singulier de l’économie de marché socialiste du pays, qui permet aux politiques émanant du gouvernement chinois, axées sur le communisme, de guider fermement le puissant moteur capitaliste de la Chine. Les quatre facteurs présentés ci-dessous vous donneront une meilleure idée de ce que cela signifie en pratique.

1. L’ÉVOLUTION RAPIDE DES INFRASTRUCTURES ET DES PRIORITÉS EN MATIÈRE DE HAUTE TECHNOLOGIE

Ces dix dernières années, le gouvernement central chinois a eu pour objectif de transformer le pays en superpuissance technologique. En 2020, le gouvernement annonce un investissement de près de 1 400 milliards de dollars sur cinq ans dans des initiatives clés liées aux technologies telles que les réseaux sans fil de nouvelle génération, l’IA, la robotique, l’informatique basée sur le cloud et l’analyse de données. (Les nouveaux fonds d’investissement serviront également à financer l’initiative « Made in China 2025 » de réalisation d’infrastructures et de fabrication massive du pays).

Le gouvernement chinois s’efforce ouvertement de se libérer de sa dépendance à l’égard des poids lourds américains de la technologie tels qu’IBM et Oracle. Dans le même temps, les politiques du gouvernement continueront de soutenir des entreprises technologiques chinoises de premier plan telles que Huawei, China Telecom et China Mobile, ainsi que les nombreux partenaires et fournisseurs de ces entreprises.

En effet, les mises à niveau rapides et importantes des infrastructures de Beijing sont souvent à l’origine de l’arrivée de nouvelles générations de milliardaires du secteur des technologies et du départ ou du déclin des groupes existants. Il n’est pas surprenant que le classement des milliardaires chinois de 2021 soit dominé par des entrepreneurs des secteurs de la haute technologie et de la technologie verte (une autre cible des fonds publics) qui ont tiré parti des investissements du gouvernement dans les technologies de pointe.

Cette année, par exemple, la fortune de Zhang Yiming (fondateur de l’application mobile ByteDance, 38 ans) a surpassé celle de Jack Ma (fondateur d’Alibaba, 57 ans) et de Pony Ma (fondateur de Tencent, 50 ans), les deux hommes les plus riches de Chine.

2. UNE POLITIQUE GOUVERNEMENTALE CHANGEANTE

La volatilité du classement des milliardaires chinois reflète également la capacité du gouvernement central chinois à opérer des changements politiques plus larges. En contraste frappant avec les démocraties occidentales, et en particulier avec les États-Unis qui sont actuellement dans l’impasse, le gouvernement central chinois est capable de formuler et de mettre en œuvre de nouvelles politiques avec une efficacité extraordinaire.

Il y a dix ans, par exemple, le classement des chinois les plus riches était dominé par des magnats de l’immobilier et des dirigeants d’entreprises connexes de secteurs tels que l’électroménager. En 2016, le gouvernement chinois a annoncé une politique de non-spéculation immobilière, ce qui a considérablement réduit la rentabilité du secteur immobilier, avec pour résultat une disparition rapide des milliardaires de ce secteur.

3. L’ÉMERGENCE DU FINANCEMENT PAR ACTIONS

Cette évolution des priorités et des politiques stratégiques du gouvernement s’est accompagnée d’une évolution parallèle technologique des prouesses et des capacités financières du pays. Le système bancaire et financier chinois et le marché des capitaux étant de plus en plus mature, les jeunes entreprises ont de plus en plus recours au financement par actions.

À l’instar de la bulle technologique survenue aux États-Unis à la fin des années 1990, les valorisations boursières ont grimpé en flèche, souvent sous l’impulsion d’offres publiques initiales très médiatisées, transformant les détenteurs d’actions en milliardaires du jour au lendemain. La contrepartie étant un revirement de situation lié à la baisse des valorisations boursières.

4. L’ÉQUILIBRE DYNAMIQUE DE LA CHINE

Les trois facteurs énumérés ci-dessus s’inscrivent dans le contexte plus large d’une Chine qui évolue elle-même rapidement. Les observateurs occidentaux supposent souvent que cette évolution implique une progression par à-coups de la Chine sur la voie cahoteuse du capitalisme de type occidental. Mais il s’agit d’une interprétation profondément erronée de ce qui se passe en Chine.

Il est plus juste de dire que la Chine est engagée dans un processus de rééquilibrage continu de son économie de marché socialiste : si les choses vont trop loin dans un sens ou dans l’autre, le gouvernement chinois se retire, parfois brutalement, dans le but de rééquilibrer son système. En effet, l’intérêt marqué du gouvernement chinois à maintenir son équilibre socialisme-marché alors qu’il s’oriente vers ses priorités stratégiques est l’un des principaux moteurs de ses politiques et de ses actions.

Il convient également de noter que les Chinois ont une longue et impressionnante tradition d’entrepreneuriat et sont beaucoup moins réfractaires au risque que les Occidentaux ne le pensent. Il ne fait aucun doute que l’économie chinoise en plein essor, guidée par un gouvernement central fort, offre des possibilités de déployer pleinement les compétences entrepreneuriales et commerciales des Chinois. Bien sûr, comme beaucoup d’autres cultures, la Chine a connu ses propres problèmes avec des entrepreneurs trop zélés qui se sont lancés dans des pratiques commerciales peu recommandables et parfois illégales.

Nous devons garder à l’esprit la dualité capitaliste et socialiste de la Chine

À bien des égards, le « renouvellement » de la liste des milliardaires chinois n’est pas surprenant et ne devrait pas non plus laisser perplexe : on pourrait y voir l’empreinte laissée par la main forte du gouvernement autoritaire chinois, qui façonne et guide l’économie de marché dynamique du pays.

Il y a toutefois un point important à souligner. Si les Occidentaux considèrent parfois l’intervention de l’État comme contraire à la libre concurrence, les Chinois pensent que l’État est un agent d’équilibre nécessaire : si une entreprise prend trop d’ampleur, le gouvernement peut être amené à intervenir pour encourager la concurrence. Lorsqu’il est apparu en avril 2021 que la plateforme de vente en ligne Alibaba se livrait à des pratiques anticoncurrentielles, par exemple, le gouvernement chinois a infligé à l’entreprise une amende de 2,8 milliards de dollars.

Au même moment, le Quotidien du Peuple, le journal officiel du Parti communiste chinois, publiait la position du parti : « Le monopole est l’ennemi majeur de l’économie de marché. Il n’y a pas de contradiction entre réglementer en vertu de la loi et soutenir le développement. Au contraire, ces deux principes se complètent et se renforcent mutuellement. »

Lorsque nous essayons de mieux comprendre la croissance et le développement de l’économie chinoise (et de sa population de milliardaires), nous devons garder à l’esprit la dualité capitaliste et socialiste de ce pays. En acceptant cet état de fait, nous comprendrons plus facilement les actions actuelles et futures et les trajectoires de développement possibles du pays.


Par le professeur Ming-Jer Chen, spécialiste de la stratégie commerciale et de la concurrence Est-Ouest à la Darden School of Business (University of Virginia)


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