Par Georges Maregiano, Associé, directeur national du « Marché ETI » chez KPMG France
Tribune. Il n’est plus besoin de souligner l’importance des ETI pour le développement économique et social du pays et des territoires. Pourquoi alors tant de difficultés encore à leur transmission ?
0,2 % du nombre d’entreprises en France, mais 25 % de l’emploi salarié et 27 % du chiffre d’affaires global des entreprises françaises… Ces chiffres suffisent à résumer le rôle déterminant que jouent les ETI dans la vie économique de notre pays, et notamment dans les territoires à qui elles apportent de l’investissement, de l’emploi et de l’engagement : les deux tiers de leurs sièges sociaux se trouvent dans les régions. Puisque la période est aux projets élaborés par les candidats à l’élection présidentielle, suggérons-leur de regarder le sujet d’un peu plus près.
La caractéristique capitalistique essentielle des quelques 5 400 ETI françaises est qu’elles sont à 70 % détenues majoritairement ou partiellement par des capitaux familiaux. C’est une force, car les nombreuses études menées sur le capitalisme familial démontrent la grande résilience et la vision de long terme de ces entreprises, deux qualités essentielles dans le monde économique actuel. Mais cela peut aussi être une faiblesse lorsque l’on aborde la question de la transmission. L’une des raisons pour lesquelles le nombre d’ETI en France est beaucoup moins élevé qu’en Allemagne ou en Italie est précisément que la question du coût de la transmission familiale a été ignorée pendant de nombreuses années. Or, l’âge moyen des ETI françaises est aujourd’hui de 45 ans et un bon nombre d’entre elles vont devoir, dans les quelques années qui viennent, gérer cette période cruciale qu’est celle de la transmission.
Ce n’est pas d’ailleurs seulement une question de coût et de cadre réglementaire. Une transmission réussie est d’abord une transmission préparée : entre le choix du successeur et son temps de préparation aux fonctions de dirigeant, il peut s’écouler au moins cinq ans. Ce délai est nécessaire pour préparer la famille au passage de témoins dans la sérénité et la bonne entente, mais surtout donner le temps au successeur de s’installer dans ses fonctions de futur dirigeant et lui laisser les mains libres pour apporter à l’entreprise de nouvelles expertises, de nouvelles expériences et d’autres visions du management. Cette période peut être tendue en raison du « saut générationnel » et de la difficulté de la prise de décision « en commun ». Mais elle est stratégique pour une transmission réussie.
Mais le cadre réglementaire et fiscal de la transmission est encore beaucoup trop rigide. Certes, depuis 2003, il existe ce que l’on nomme le « Pacte Dutreil » qui permet, sous de nombreuses conditions, de bénéficier d’une exonération partielle des droits de transmission ou de donation de 75 %. Pour autant, le coût de l’opération reste encore élevé en France par rapport à d’autres pays européens. Il conviendrait donc d’élever ce seuil pour éviter que la valeur produite ne sorte de l’entreprise pour financer la transmission et entrave ainsi ses capacités d’investissement. En outre les conditions d’application du Pacte Dutreil sont strictes et peuvent figer la situation capitalistique de l’entreprise pour de longues années, ce qui peut nuire à sa capacité de mouvement et à son agilité. Il serait également très positif de lever toutes les contraintes liées au dirigeant successeur pour qu’il ne soit pas obligatoirement un membre de la famille propriétaire, surtout s’il n’en pas le souhait ou la compétence. Enfin, il importe que le cadre de la transmission, c’est-à-dire les modalités du Pacte Dutreil, soit sécurisé, car certains textes sont flous ou imprécis, leurs évolutions sont trop fréquentes et leur validation ou infirmation par la jurisprudence crée de l’incertitude.
Ces recommandations ont pour vocation d’ouvrir un débat et de nourrir la réflexion des pouvoirs publics au moment où la souveraineté économique devient un sujet clé (70 % des ETI ont un capital majoritairement français) et où le renouveau économique des territoires apparaît comme essentiel. Ces deux points suffiraient à eux seuls pour justifier que l’on considère de façon plus active la pérennité des ETI familiales françaises.