Ah, l’automne ! Ses feuilles mortes, son atmosphère de rentrée des classes, son récurrent débat budgétaire au Parlement. Véritable marronnier de la vie politique française, l’examen du budget représente chaque année l’occasion, pour les représentants du peuple, de faire preuve de toute l’étendue de leur créativité fiscale, chacun y allant de sa nouvelle taxe ou contribution – « exceptionnelle » va-t-il sans dire. Alors que la dette française tutoie les sommets, « les débats sur le budget en commission des finances virent à la ‘’foire à la saucisse’’ », confirme, en off, un député à la presse parlementaire. C’est donc peu dire que, tout affairés à ce concours Lépine des prélèvements obligatoires, peu voyaient venir le coup qu’en coulisse préparait un think tank à la réputation pourtant libérale.
Taxer le sucre, la fausse bonne idée ?
Le très sérieux Institut Montaigne, puisqu’il s’agit de lui, vient en effet de publier un rapport consacré à la « fracture alimentaire ». Mettant en garde contre ce qu’ils qualifient d’« alarmante épidémie de malbouffe » au sein de la population française, ses auteurs avancent plusieurs pistes pour tenter d’aider les ménages les plus modestes à se détourner de la junk food. Et ce afin de privilégier les fruits et légumes. Une intention louable, malheureusement tuée dans l’oeuf à la lecture de la principale recommandation du rapport. L’Institut Montaigne préconise, en effet, une hausse de la fiscalité sur les produits les plus sucrés, le produit de cette nouvelle taxe devant « apporter un soutien budgétaire aux Français en situation de précarité alimentaire pour faciliter l’achat de fruits et légumes ».
D’un côté donc, quatre millions de ménages parmi les plus modestes pourraient se voir offrir un chèque mensuel de 30 euros, exclusivement dédié à l’achat de fruits et légumes ; coût total estimé d’une telle mesure : 1,4 milliard d’euros. De l’autre, les produits sucrés (confiseries, biscuits, céréales du petit-déjeuner, chocolat, viennoiseries et pâtisseries industrielles, pâtes à tartiner, etc.) se verraient imposer une taxation proportionnelle au taux de sucre qu’ils contiennent : 0 euro en-dessous de 20 % de sucre ; 0,48 euro/kg entre 20 % et 30 % de sucre ; et 0,64 euro/kg au-dessus de 30 % de sucre. Une nouvelle déclinaison de la fameuse « taxe soda », en somme, appliquée cette fois à tous les produits jugés trop sucrés.
L’idée sous-jacente est simple, pour ne pas dire simpliste : les tarifs des produits sucrés enregistrant une hausse moyenne de +6 %, les consommateurs s’en détourneraient naturellement pour leur privilégier des alternatives plus saines. Une énième déclinaison de fiscalité « incitative », dont on ne sait que trop comment elle peut se révéler punitive. Car quelles catégories de population, si ce ne sont les plus précaires, subiraient prioritairement les effets, immédiats, d’une telle mesure sur leur pouvoir d’achat ? Et avec quel résultat ? « En trente ans », rappellent fort à propos les auteurs du rapport de l’Institut Montaigne, « le taux d’obésité a doublé chez les adultes. Les enfants sont particulièrement touchés par cette épidémie, avec 20 % des 6 à 17 ans en surpoids ».
Un désaveu pour le Nutriscore
Si l’obésité continue, hélas, de gagner du terrain, c’est donc que les vieilles recettes se targuant de lutter contre le phénomène n’ont pas donné les effets escomptés. En creux, les propositions de l’Institut Montaigne sonnent en effet comme un désaveu, cinglant, des politiques et initiatives publiques qui ont fleuri ces dernières années pour enrayer la spirale de la malbouffe. Initiatives au premier rang desquelles le fameux Nutriscore. Apparu dans les rayons français en 2017, le système d’étiquetage alimentaire se proposait pourtant d’aiguiller les consommateurs vers une alimentation plus saine, en facilitant notamment la lecture des informations nutritionnelles, condensées sous la forme d’un logo et d’une note allant de A à E.
Mais le ver était dans le fruit, ou plus exactement le flou dans l’algorithme. Illisible, le Nutriscore est en effet fondé sur la notion de portion, comparant dès lors des produits incomparables. Incompréhensible, le système d’étiquetage a longtemps accordé la meilleure note à des produits pauvres en nutriments, comme des sodas light, ou à des produits ultra-transformés, tout en reléguant en bas de classement certains produits du terroir, comme les fromages ou l’huile d’olive. Incohérent enfin, le Nutriscore a, pour ces mêmes raisons, subi plusieurs lifting depuis sa conception, rendant sa lecture et son interprétation pour le moins hasardeuses.
Responsabilisation vs culpabilisation
Alors que d’après une récente étude de l’Ifop le prix reste, de loin, le premier facteur de choix des Français quand ils font leurs courses alimentaires, la multiplication des initiatives visant à orienter les décisions des consommateurs pose question. A fortiori quand cette forme de paternalisme alimentaire s’inscrit – comme la taxe sur le sucre – à rebours des préoccupations financières des ménages, ou qu’elle semble – comme le Nutriscore – entretenir la confusion là où plus de clarté serait attendue. Peut-être faut-il en revenir à la philosophie ayant présidé à ces initiatives et passer de la culpabilisation des consommateurs à leur responsabilisation ?
Jean-Baptiste Noé
Docteur en histoire économique., directeur d’Orbis, école de géopolitique