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L’ostéopathie mise à l’épreuve

Entreprendre - L’ostéopathie mise à l’épreuve

Jean-Pierre Marguaritte, ostéopathe reconnu, dirige depuis 2014 un organisme de formation professionnelle. Il s’est montré récemment critique envers le récent rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur l’ostéopathie. Il revient pour Entreprendre.fr sur une étude portant sur la lombalgie chronique qui conclut en ces termes « les manipulations ostéopathiques ont un effet faible et non cliniquement pertinent sur le retentissement de la lombalgie sur les activités de la vie quotidienne » précisant qu’aucun bénéfice n’a été recensé sur « la douleur, la qualité de vie ou la consommation de médicaments ».

En mars 2023, le gouvernement a annoncé la création d’un « comité d’appui pour l’encadrement des pratiques de soins non conventionnelles » dont fait partie l’ostéopathie. Vous ne craignez pas que l’ostéopathie soit rétrogradée à une pratique de soins de bien-être ?

Non, je ne peux l’imaginer. 20 millions d!actes d’ostéopathie sont pratiqués chaque
année notamment pour des douleurs articulaires qui le plus souvent résistent aux
traitements conventionnels. Si l!ostéopathie n!offrait aucun intérêt pour la santé de la
population, la demande ne serait pas aussi importante. Ce chiffre démontre bien que ses
effets vont bien au delà du bien-être tout en y contribuant activement.

Et pourtant, l’Igas rappelle que l’efficacité de l’ostéopathie n’a pas été démontrée et que « plusieurs universitaires alertent sur les dangers potentiels de ces activités non contrôlées ».

Si l!on s!appuie sur une seule étude pour donner un avis sur l!efficacité de
l!ostéopathie alors qu!il existe de nombreuses autres études qui apportent la preuve du
contraire, tout laisse à penser que les soins pratiqués étaient insuffisants pour traiter avec
efficacité la lombalgie chronique.
La difficulté que rencontre notre profession porte justement sur les évaluations car pour
que les résultats d’étude puissent être significatifs vis-vis de la communauté scientifique,
le nombre de sujets participants doit être élevé. Pour exemple, l’étude à laquelle fait
référence l’Igas portait sur 400 sujets pour un coût de 400 millions d’euros financés en
partie par l’APHP. Elle a été réalisée au sein d’un service de rhumatologie dont le patron
défend ses propres idées et dispose d’une position stratégique imprenable.

Vous pensez que cette étude a été orientée ?

Non, mais nous aurions aimé pouvoir échanger sur le déroulement de cette étude
car ses résultats ne reflètent pas la réalité. Comme je l’ai précisé lors de votre précédente
interview, une lombalgie chronique est quasiment toujours liée au mode de vie et les
mains du meilleur ostéopathe ne suffisent pas. La pratique de l’ostéopathie est holistique
et de nombreux autres facteurs sont à intégrer dans la prise en charge. L’ostéopathe est
en quelque sorte un accélérateur de guérison mais la consolidation et le maintien sur le
long terme de cette guérison appartient au patient.
Cela soulève d’ailleurs certains manquements dans le référentiel de formation établi pour
les écoles d’ostéopathie. Je l’ai déjà évoqué lors de la publication du rapport de l’Igas
sur l’ostéopathie.

Mais les ostéopathes ne pourraient-ils pas se mobiliser pour réaliser une étude et apporter une preuve scientifique significative ?

En début d’année 2022, la direction du pôle recherche de l’école supérieure
d’ostéopathie ayant entendu parlé de mes formations, s’est montrée intéressée par la
réalisation d’une étude qui mettrait en évidence les bénéfices de l’application d’un
principe fondamental de l’ostéopathie délaissé dans l’enseignement « L’artère est
souveraine ».
Le protocole visait à mesurer les effets vasculaires de l’ostéopathie et leurs
conséquences dans le traitement des lombalgies chroniques idiopathiques, c’est-à-dire
celles dont on ne peut identifier la cause et qui résistent aux traitements conventionnels
sans justifier pour autant une intervention chirurgicale.
Nous sommes convenus de déposer un dossier au Comité de Protection des Personnes
dont il est nécessaire d!obtenir un avis favorable sur les conditions de validité puisque
cette étude implique la personne humaine.
Après un premier avis défavorable, nous avons décidé de représenter une autre demande
mais si certains points ayant fait l’objet d’une critique justifiée vont pouvoir être précisés,
il va être plus difficile de faire admettre la validité d’un protocole d’étude sur l’ostéopathie
à des lecteurs non avertis.
Et pour cause, le comité est notamment constitué de professionnels de santé, médecin,
et kinésithérapeute, dont la pratique symptomatique standardisée ne correspond pas à
l’approche globale et systémique de l’ostéopathie.

Dans l’avis défavorable que vous avez bien voulu me transmettre, le comité fait remarquer que le médecin investigateur est spécialisé en médecine vasculaire et qu’il manque des médecins qualifiés dans le domaine des lombalgies et des troubles digestifs associés.

Nous allons en effet pouvoir y remédier tout en restant étonné que le comité
estime qu’un médecin, quelque soit sa spécialité, ne soit pas en mesure de diagnostiquer
l’existence d’une lombalgie et d’un trouble digestif.

Une autre remarque porte sur les conseils d’hygiène alimentaire apportés aux sujets au cours de l’étude, qui ne reposent sur aucune base scientifique, faisant référence à la consommation de café au lait.

De tout temps, l’observation clinique d’anciens médecins dont mon père était, a
permis de mettre en évidence les méfaits du mélange café – lait sur la digestion. Il est
reconnu que le tanin du café fait coaguler la caséine, la protéine du lait, qui se transforme
en petits caillots sur-indigestes.
En cas de doute, j’invite toutes les personnes qui présentent des troubles digestifs et
consomment du café au lait à faire un test en supprimant cette boisson « poison »
pendant une seule semaine. Je parle bien d’un bol de lait avec du café rajouté ou encore
d’un yogourt pris au petit déjeuner avec un café et non du café avec un nuage de lait.
Elles seront étonnées de constater une nette amélioration de leurs troubles digestifs mais
aussi la disparition progressive de leurs douleurs lombaires. Le nombre de personnes
dans le monde qui consomment du café au lait se compte par milliards. Aux États-Unis
dans l’État de Rhode Island c’est même la boisson officielle.
C’est un pari que je lance… Bien qu’il existe d’autres facteurs, en ma qualité
d’ostéopathe, je ne suis jamais parvenu à soulager durablement la lombalgie chronique
d’un patient consommateur de café au lait et cela va bientôt faire 40 ans que j’exerce.
Faut-il attendre que la science s’y intéresse pour faire cesser cette pandémie ? Au début
de l’année dernière, l’assurance maladie lançait une campagne de prévention sur la
lombalgie quelle considérait comme un enjeu de santé publique. La lombalgie est en
cause dans 20% des arrêts de travail.

Et pourtant, une étude aurait démontré les effets anti-inflammatoires du café au lait ?

C’est exact. Cette étude a été réalisée par une équipe médicale danoise au sein de
l’Université de Copenhague en sciences alimentaires . Elle conclut que l’association d’un
antioxydant, le café, avec une protéine, le lait qui est une protéine grasse, aurait des
effets anti-inflammatoires. Cette étude ayant été réalisée in vitro – c!est-à-dire sur des
cellules, les effets de cette synergie sur les humains sont donc seulement supposés.
Le phénomène est le suivant. La graisse favorise l’oxydation qui attaque les membranes
protectrices des cellules comme la rouille sur le métal. L’inflammation qui en découle est
une réaction de défense qui tend à éliminer les agents toxiques qui ont ainsi pu pénétrer
dans la cellule. Il est donc normal dans ce contexte que l’apport d’un anti-oxydant ait une
action anti-inflammatoire pour lutter contre ces agents toxiques.

C’est très intéressant et inquiétant à la fois…

Oui, une approche globale et systémique de la santé incluant le mode de vie
permettrait de soulager de nombreuses personnes qui sont en errance médicale.
Concernant le café au lait et pour terminer, les résultats diamétralement opposés d’une
autre étude publiée en mars 2021 apparaissent plus crédible. En tous cas, plusieurs
facteurs à prendre en compte, la proportion de lait utilisée par rapport au café, la
température de la boisson avant/après avoir versé le lait, le type de lait ajouté…pourraient
changer la donne.

J’aimerais revenir sur l’étude qui souligne que le faible nombre de personnes inclues
n’est pas justifié et qu’il ne permettra pas d’aboutir à des résultats robustes.

L’objet de cette étude qui est en fait une pré-étude est de mesurer l’amélioration
du débit artériel et d’établir le lien avec la diminution des tensions musculaires qui
déséquilibrent le bassin sur lequel repose la colonne vertébrale. Il va de soi que les
compressions artérielles se situent entre le coeur et le bassin amenant ainsi à
s’intéresser au organes digestifs et par conséquence au mode d’alimentation.
Nul n’est besoin de recruter un nombre important de sujets pour établir ces mesures mais
le comité n’a semble t-il pas bien compris son objectif puisqu’il parle d’un risque pour les
patients. Il est clair que cette première étude est juste observationnelle

Avez-vous pu obtenir un financement pour cette pré-étude, car en général, les études sont souvent financées par des laboratoires pharmaceutiques ?

L’ostéopathie n’intéresse pas l’industrie du médicament et surtout n’est pas reconnue
comme une profession de santé. Nous aurons peut-être l’occasion de parler de la place
de l’ostéopathie dans le paysage sanitaire si vous le souhaitez.
La rédaction du protocole de l’étude qui date de 2016 a été financée sur mes deniers
personnels issus des formations avec l’aide de l’Association Française d’Ostéopathie et
la collaboration amicale du médecin investigateur. Les organismes de recherche en
ostéopathie qui sont tenus par les dirigeants des écoles d’ostéopathie ont été contactés
sans résultat.
Si nous parvenons à réaliser cette pré-étude et à apporter la preuve de l’efficacité du
protocole thérapeutique, nous aurons plus de chance d’obtenir des fonds pour la
réalisation d’une étude plus significative.

Vous avez une idée des besoins de financement ?

Si je me réfère à l’étude réalisée par le professeur François RANNOU qui a été
reprise dans le rapport de l’Igas, il faut compter 1000 € par personne. Les mutuelles qui
ont un intérêt économique à réduire les dépenses de prévoyance liées à l’absentéisme en
entreprise pourraient être intéressées.
J’ai cependant réfléchi à une monnaie d’échange qui devrait retenir l’intérêt des
complémentaires santé car rien n’est gratuit. Il s’agit de leur fournir une base de données
leur permettant d’évaluer l’évolution de l’état de santé en fonction du mode de vie. Ces
informations précieuses qui leur servent d’outils d’analyse de gestion des risques, sont
difficilement accessibles.

Ce n’est pas indiscret de vous demander comment vous allez collecter ces données ?

Non, il n’y a aucun risque de récupération car pour collecter les informations il est
nécessaire de disposer d’un réseau d’ostéopathes spécialisés et de tracer leurs patients.

Et vous faites comment ?

En avril, vous m’avez ouvert une tribune pour annoncer le lancement prochain de
MON OSTEO. Plus qu!un agenda en ligne, c!est une plateforme de recueil de données.
J!ai formé à ce jour plus de 700 ostéopathes en France or le plus important lorsque l!on
transmet un savoir est de s!assurer de la bonne reproduction de ce qui a été transmis
mais aussi d’en vérifier l’impact sur la population. Pour cela, il faut pouvoir établir le lien
entre l!ostéopathe et le patient. Un agenda en ligne est la solution idéale.

Vous allez créer un ostéo-adviser ?

Non ce n’est pas dans cet esprit que le concept a été pensé. L’évaluation des ostéopathes est établie à partir des auto-évaluations et des enquêtes de satisfaction réalisées auprès des patients mais les résultats sont conservés en interne. Un score est établi pour chaque ostéopathe et la comparaison du score individuel avec la moyenne des scores de tous les ostéopathes permet de veiller au maintien de leur niveau de compétences. Si le score descend trop bas, l’ostéopathe est invité à suivre une formation de révision. De plus, chaque ostéopathe est tenu de suivre une journée de perfectionnement par an. L’ostéopathie est une profession qui évolue constamment, l’ostéopathie qui m’a été enseignée il y a 40 ans ne correspond plus à ma pratique d’aujourd’hui et chaque formation m’enrichit autant que les participants. 

Vous n’auriez pas intérêt à recueillir des témoignages auprès des patients ?

Si bien sûr. Des témoignages volontaires pourront être déposés de façon anonyme
sur MON OSTÉO. Ce sont des preuves indiscutables qui viendront en complément des
résultats des enquêtes d’évaluation.

Et concernant la confidentialité ?

Toutes les données recueillies sont cryptées.

Vous avez des partenaires pour assurer le développement de Mon Ostéo ?

Les sociétés de développement contactées étaient financièrement hors budget, je
ne pouvais pas suivre avec le gain des formations. J’ai donc contacté les écoles
d’informatique et mon projet a été retenu par l’école d!intelligence artificielle GEMA à
Boulogne-Billancourt qui est d’ailleurs proche de l!adresse de votre Groupe LAFONT
PRESSE, pour servir de sujet de thèse. Le développement étant loin d’être terminé, la
personne qui les encadrait, enthousiasmée par le projet, m’a recommandé un élève qui
avait passé deux en Inde chez Google. Je travaille depuis mars avec Thomas, un jeune
développeur méritant. C’est super, il programme ce que j’ai dans le cerveau pour
l’automatiser. Un peu comme le ChatGPT.

Et vous pensez que tous les ostéopathes que vous avez formé vont adhérer ?

Je ne sais pas mais les ostéopathes qui seront référencés sur MON OSTÉO se
distingueront par leur sur-qualification et accèderont à une notoriété qui les protègera de
l’installation pléthorique d’ostéopathes, c’est un autre sujet. En tous cas, DOCTOLIB a
bien intégré ce contexte car l’argument commercial pour capter de nouveaux
ostéopathes porte essentiellement sur l’apport d’une source de nouveaux patients. Sauf
que le volume de la population intéressée par l’ostéopathie stagne pour des raisons
économiques alors que le nombre d’ostéopathes adhérents à DOCTOLIB est croissant.

Vous allez faire concurrence à Doctolib ?

Nous n’avons pas le même objectif. DOCTOLIB cherche à faire du volume, je
cherche à faire de la qualité.

Avez-vous déjà fixé le prix de l’abonnement ?

Initialement, j’ai imaginé pour être plus juste, de fixer l’abonnement mensuel au prix
de la consultation de chaque ostéopathe mais les prix peuvent varier et la gestion serait
devenue difficile. Le prix d’abonnement mensuel à DOCTOLIB approche 150 €, celui de
MON OSTÉO ne dépassera pas la moyenne des honoraires de consultation en France. Et
contrairement à DOCTOLIB qui use de son quasi monopole, MON OSTÉO est un
aventure collective. S’ils travaillent bien, leurs patients seront mieux remboursés et le
développement de leur activité suivra.

Et si en plus, les résultats de l’étude sur votre méthode sont publiés avec des résultats encourageants, Mon Ostéo va devenir une véritable entreprise.

Oui, je l’espère, une véritable entreprise de santé. Et comme toute entreprise, pour
que les salariés soient impliqués, il faut les intéresser. C’est précisément ce qui est prévu
dans le fonctionnement de la société d’exploitation de MON OSTÉO. Au terme d’une
période probatoire, chaque ostéopathe référencé pourra prendre une participation. Je ne
peux vous en dire plus car ce n’est pas mon métier. Mais c’est important à la fois sur le
plan financier que psychologique car par nature une profession libérale n’aime pas être
exploitée. MON OSTÉO est aussi une aventure solidaire car il est prévu un fonds de
réserve pour subvenir aux besoins d’ostéopathes qui seraient en difficulté pour raison
personnelle. Une comité des sages sera chargé d’examiner les éventuelles demandes.

Le Groupe ENTREPRENDRE va vous suivre car non seulement votre projet répond à un besoin de santé publique mais il rassemble l’ensemble des acteurs privés concernés, sans générer de dépense publique. 

Pas tout à fait, les entreprises sont aussi concernées. J’ai été en contact avec le
président d’une société de service aux entreprises spécialisée dans les titres pré-payés
pour la restauration. Malheureusement, il a quitté l’entreprise alors qu’une réunion avec
son service marketing avait été prévue. L’idée était de créer une application qui collecte la
participation financière de la complémentaire santé et celle de l’entreprise afin de
permettre au patient salarié de régler ses honoraires d’ostéopathie par dématérialisation.
Un moyen pour apporter une meilleure accessibilité financière aux soins d’ostéopathie
mais aussi pour faciliter la gestion du remboursement des honoraires par les
complémentaires santé.

Je vous souhaite toute la réussite et je suis persuadé que des investisseurs vont
vous permettre d’étendre votre activité au delà des frontières.

Vous ne croyez pas si bien dire, un fond d’investissement à Singapour est déjà sur les rangs. 

Propos recueillis par Henri Marin


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