Pour traiter correctement la complexité, il est indispensable d’accepter de revoir le système de légitimité unique et pyramidal (autorité et pouvoir) pour lui substituer un système chaordique plus équilibré … Ne serait-ce que parce que toutes les organisations sont chaordiques : un mélange d’ordre et de désordre !
« Deux dangers ne cessent de menacer le monde ; l’ordre et le désordre. » Paul Valéry
Je suis un général, administrateur militaire, qui a accompli une carrière de 40 ans au sein du ministère des armées. Formé à la conduite des Hommes à Saint-Cyr, j’ai été pendant une dizaine d’années un officier des armes, puis j’ai opté pour le corps des administrateurs militaires, où j’ai effectué la plus grande partie de ma carrière en manageant d’abord, puis en dirigeant des organisations composées majoritairement de personnels civils. Comme colonel, j’ai bénéficié d’une formation de « dirigeant d’entreprise ». Après un passage au sein de l’état-major de de l’armée de terre en qualité d’adjoint au sous-chef Opérations-Logistique, où j’ai pu observer le fonctionnement des CODIR et des COMEX. Finalement, j’ai terminé ma carrière comme directeur régional, à la tête d’une demi-douzaine d’organismes et de plus d’un millier de collaborateurs.
Pour avoir mis en œuvre, avec succès, pendant 40 ans le modèle pyramidal et en avoir fait l’analyse, a posteriori, pendant dix ans, je peux dire que j’ai une haute estime pour le modèle pyramidal, indispensable pour assurer la pérennité et la performance de l’organisation. Pour faire converger l’action des différentes parties prenantes, cette belle mécanique horlogère repose sur des règles, des silos, des contrôles, des jeux de pouvoirs et des compétitions. Un ensemble de « codes » qui constituent l’Ordre pyramidal qui grâce aux objectifs, à la stratégie, à la vision et à la raison d’être offre la possibilité d’atteindre la performance ou l’efficacité collective. Ainsi, au terme de ma carrière, j’étais persuadé d’avoir trouvé le Graal en matière de performance collective.
C’est alors, qu’un ami me conseille, il y a maintenant quinze ans, de découvrir la complexité et son remède l’intelligence collective, thèmes auxquels je consacre plusieurs années d’étude. Je considère aujourd’hui que la complexité agit comme un tsunami dans les organisations. Or d’une façon générale, la complexité des organisations n’a pas encore été prise en compte par de nombreux intervenants. Cette complexité est apportée tout à la fois par la mondialisation, la globalisation et cinq ruptures simultanées, cumulatives et irréversibles parfaitement documentées par les prospectivistes.
Un problème complexe est un problème multidimensionnel et en conséquence multi interactionnels, … c’est un peu « Comme si tout se déréglait en même temps ! »
C’est ainsi que, progressivement, je vais découvrir pourquoi le modèle pyramidal est inapte à traiter la complexité. Là se situe un paradoxe : les codes du modèle, grâce à la recherche permanente de convergence des actions, permettent d’atteindre la performance de l’organisation, mais dans le même temps, dans des environnements devenus complexes, ces codes sont limitants et s’opposent à l’émergence d’une véritable intelligence collective support de l’excellence décisionnelle.
Aujourd’hui, nombreux sont les responsables qui comprennent l’importance de recourir à plus d’intelligence collective. La volonté est présente, mais sans méthode … On pratique l’incantation, voire l’injonction : soyez optimistes, bienveillants, agiles, audacieux, et même soyez coopératifs. Même la coopération ne marche pas. La coopération est comme la baguette magique, elle a toutes les qualités, sauf celle d’exister réellement. Tout le monde en parle, mais il est difficile de la concrétiser.
Pourtant, la demande est forte … Un sondage récent publié dans les Échos indique que 76% des salariés souhaiteraient que leurs dirigeants évoquent avec eux aussi des problèmes concrets qu’ils rencontrent. Nul doute qu’une véritable écoute exercerait une influence décisive en termes d’engagement.
Il devient nécessaire de comprendre qu’il n’est guère possible de faire émerger cette intelligence collective, … si on reste soi-même dans la posture du « sachant » ou du « leader charismatique » qui sait tout mieux que ses collaborateurs !
Quand c’est complexe, personne ne sait avec certitude ce qu’il convient de faire ! C’est pourquoi, il devient nécessaire d’apprendre à décider avec humilité, avec un savoir-faire qui associe plus et mieux les parties prenantes grâce à une véritable co-construction.
L’humilité est une posture centrale et pratique dans un processus de co-construction en mode intelligence collective. Mais il n’est pas aisé de faire preuve d’humilité dans un environnement hiérarchique et compétitif avec des contraintes de coûts, de délai et de qualité.
Voilà pourquoi et comment j’en suis venu progressivement à considérer qu’un modèle chaordique était indispensable pour viser cette excellence décisionnelle. Avec cette approche chaordique qui sait concilier l’ordre pyramidal indispensable et le désordre intelligent pour traiter simplement les problèmes complexes, il s’agit véritablement de repenser le dilemme permanent de la gouvernance et du management en comprenant mieux l’articulation de l’Ordre et du Désordre dans l’organisation.
Le Désordre intelligent n’est pas seulement une approche pour aider un responsable à faciliter les transformations ; il permet également d’aller bien au-delà de la motivation individuelle en obtenant un engagement collectif durable.
Avec le modèle chaordique, j’adopte une perspective radicalement différente pour aider tous les décideurs à lutter contre cette maladie grandissante de la complexité.
Jean-Claude Dussaucy