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Les docteurs en recherche appliquée, nouveaux rois de l’innovation en entreprise ?

Au cours des dernières années, la confiance en la science s’est fortement érodée avec le développement des réseaux sociaux et la complexe gestion de la crise sanitaire.

Laurent Cervoni, Directeur de la Recherche et de l’Innovation chez Talan

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Par Laurent Cervoni, Directeur de la Recherche et de l’Innovation chez Talan

Une étude de janvier 2023 de l’Ifop pour la fondation Jean Jaurès révèle ainsi que 16% des Français de 18 à 24 ans pensent que la Terre est plate, tandis que 20% ne croient pas que les Américains sont allés sur la Lune. Au global, ce ne sont pas moins de 69 % de ces jeunes Français qui adhèreraient à au moins une grande contre-vérité scientifique ! Toutes catégories confondues, 35% des Français croiraient dans une théorie du complot (sondage Ifop pour Amb-usa.fr).

Pour tenter d’enrayer ce mouvement et de réconcilier les Français avec la science, la vulgarisation scientifique régulière s’avère essentielle. Mais la complexité grandissante de la science rend cet exercice difficile, long et exigeant.

Une piste de solution complémentaire réside dans le renforcement de la visibilité des scientifiques, qui pourraient notamment jouer un rôle plus important dans le monde de l’entreprise.

La recherche au service de la compétitivité des entreprises

La place des docteurs sur le marché de l’emploi est un indicateur significatif à ce titre. Et dans ce domaine, la situation française n’est pas brillante comparée à d’autres pays. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche souligne que la part d’investissements privés en recherche en France est de 56% en 2017. C’est bien moins que le Japon (78,3%), l’Allemagne (66,2%) ou les États-Unis (63,6%).

Et le lien entre cette implication des entreprises dans le financement de projets de recherche et leurs résultats est clair : alors que ces pays publient davantage de recherches scientifiques, aujourd’hui, la France est 7ème en nombre de publications et 16ème en termes de qualité de la recherche, selon l’Observatoire des Sciences et Techniques du Hcéres. Ces autres pays valorisent clairement les compétences des docteurs dans le secteur privé, là où la France ne s’y intéresse que timidement.

Ce manque d’attention envers la recherche affecte la compétitivité et l’innovation des entreprises françaises. Elles disposent pourtant d’un avantage compétitif non négligeable avec le Crédit d’Impôt Recherche : s’il est régulièrement montré du doigt ou remis en cause, il demeure un vecteur indispensable au maintien de la R&D dans le secteur privé.

Un autre vecteur pourrait être joué par les docteurs  au sein des entreprises : ils pourraient contribuer à bâtir des ponts entre les grandes tendances de la recherche et les connaissances récentes et les besoins de la société, notamment autour des grandes transitions environnementales, énergétiques ou numériques, et agir ainsi comme des éclaireurs voire des apporteurs de solutions nouvelles. Ils peuvent ainsi facilement imaginer des solutions pour réduire l’empreinte carbone ou optimiser la consommation d’énergie, enjeux cruciaux de chaque organisation.

Les docteurs, accélérateurs d’innovation en entreprise

En règle générale, les objectifs à court terme des entreprises sont de produire de la valeur et de capitaliser sur un haut niveau de compétences pour développer de nouveaux produits et services.

À cet égard, les docteurs ne manquent pas d’atouts. Par leur formation et leur expérience, ils sont capables de résoudre des problèmes complexes et nouveaux. Cette compétence ne se restreint nullement à leur domaine de prédilection. Leur curiosité et leur rigueur les rendent aptes à se poser les bonnes questions, y compris dans des domaines qui ne sont pas immédiatement les leurs.

Et contrairement aux idées reçues, les docteurs travaillent régulièrement en équipe, y compris dans des disciplines considérées comme plus « solitaires » telles que les mathématiques ou l’informatique. Ils sont donc très souvent en situation de pilotage de projets. Ils sont enfin rompus aux exercices de communication, puisqu’habitués à présenter régulièrement leurs résultats parfois auprès de publics éloignés de leurs domaines de spécialisation, et peuvent ainsi jouer un rôle de diffusion de l’innovation au sein des équipes.

Les pouvoirs publics ont d’ailleurs décidé de faire bouger les lignes. Il est désormais nécessaire de faciliter la reconnaissance de ces docteurs en entreprise. Le 17 novembre 2023, la ministre de l’Enseignement et de la Recherche Sylvie Retailleau et le ministre délégué chargé de l’industrie ont à cette fin lancé la « mission sur la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société ». L’enjeu de cette mission est double : favoriser la reconnaissance du doctorat dans le monde socio-économique pour augmenter la part des docteurs en entreprises et de renforcer l’intensité scientifique et technologique de l’industrie. Cette mission débouchera sur des nouvelles mesures d’ici le printemps prochain. Une excellente nouvelle pour tous les titulaires de doctorats qui, souvent, souffrent d’un manque de reconnaissance alors qu’ils disposent de compétences essentielles dans des disciplines de premier plan pour le développement de nos économies.

L’intelligence artificielle, un terrain de jeu idéal pour la coopération entreprises-universités

Lors du « Symposium on the future of AI », donné à l’Université de New York en 2016, Yann LeCun – l’un des plus éminents spécialistes de la question, prix Turing 2018, l’équivalent du prix Nobel, et lui-même, titulaire d’un doctorat –, a affirmé que l’intelligence artificielle est une question scientifique plus que technologique et que c’est du monde universitaire que viendra la majorité des idées innovantes dans ce domaine. Néanmoins, sur ce sujet aussi, la coopération entre la recherche et l’entreprise est nécessaire : là où les travaux de recherche menés par les universitaires pour entraîner les algorithmes nécessitent de grands volumes de données, les entreprises les produisent !

L’intelligence artificielle représente ainsi, par exemple, une occasion unique pour les entreprises françaises d’intégrer des pools de docteurs-chercheurs travaillant sur des projets de recherche appliquée.

Enfin, dans ce domaine comme dans de nombreuses disciplines techniques, les docteurs sont familiers avec le monde de la recherche ouverte et de l’Open-Source, pratique parfois difficile à faire accepter dans le secteur « privé ». Ils peuvent alors contribuer à favoriser des interactions naturelles et nécessaires prenant en compte les dernières évolutions technologiques.

Nous disposons donc en France d’un vivier, sous-exploité à sa juste valeur, de profils de chercheurs de haut niveau, capables de faire gravir à nos entreprises les échelons de la compétition mondiale et de compter dans la course à l’innovation. Intégrons davantage de docteurs dans nos entreprises et confirmons notre capacité à faire avancer la recherche mondiale.

Laurent Cervoni
Directeur de la Recherche et de l’Innovation chez Talan


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