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Lagardère ne meurt jamais

Le démantèlement du Groupe Lagardère, annoncé tel un feuilleton inéluctable, nourrit de nombreux commentaires sur les choix stratégiques et le mode de gestion de son PDG

Jean-Luc Lagardère

Par Arnaud Molinié, Président de Capitello Group et de Loxamed, ancien Directeur général groupe Lagardère

Le démantèlement du Groupe Lagardère, annoncé tel un feuilleton inéluctable, nourrit de nombreux commentaires sur les choix stratégiques et le mode de gestion de son PDG, les jeux et les manœuvres des actionnaires et l’obsolescence d’un capitalisme fait d’entre-soi, de connivences politiques et d’assemblages d’activités hétéroclites. On glose aussi beaucoup sur l’échec de la transmission « dynastique » entre le père et le fils…

Pour avoir eu la chance et le bonheur de travailler à la fois auprès de Jean-Luc et d’Arnaud Lagardère, qui m’ont accordé leur totale confiance alors que je n’avais que 27 ans -qui était d’ailleurs l’âge moyen chez Matra en 1963 lorsque Lagardère père prenait les rênes de cette petite entreprise encore confidentielle -, mon propos n’est pas de porter un jugement sur l’évolution d’un groupe que j’ai quitté il y a dix ans, encore moins sur la valeur de ses dirigeants.

Je voudrais simplement porter témoignage de l’immense reconnaissance que l’on doit à Jean-Luc Lagardère. Celle-ci est d’abord, bien sûr, celle des collaborateurs des entreprises qu’il a dirigées au long d’une épopée de 40 ans. Mais elle doit aussi venir de tous les Français envers un formidable capitaine d’industrie, qui se définissait comme « farouchement Français », en Gascon fier de ses racines paysannes, et « farouchement Européen » parce qu’il était conscient que si rien de grand ni de durable ne pouvait se faire seul, le leadership international n’était pas antinomique de l’affirmation d’un ADN français.

Lagardère s’est battu toute sa vie pour faire gagner la France dans l’aéronautique, l’automobile, l’armement, l’espace, le sport, les médias ou l’édition. C’était le moteur de son engagement, au service d’une stratégie ambitieuse et cohérente, qu’il est scandaleux de voir aujourd’hui dépréciée et le groupe Lagardère désigné comme un « conglomérat », synonyme d’éparpillement et d’absence de vision stratégique. Après le recentrage des activités du groupe, l’idée même d’« empire médiatique » a récemment été qualifiée par un éditorialiste de « château de cartes » voué à l’échec.

Arnaud Molinié et jean-Luc Lagardère

La situation actuelle ne saurait occulter les faits. Ce qui caractérisait Jean-Luc Lagardère c’est la combinaison réussie de l’intuition, de l’analyse stratégique, de la rigueur d’exécution et d’une capacité d’entraînement hors pair. Sans cela, comment aurait-il pu transformer Hachette en un leader mondial de l’édition ? Et deux ans après l’échec de la fusion avec Thomson, être le brillant architecte et dirigeant d’EADS, premier groupe européen dans l’aéronautique, la défense et l’espace ?

Quant à l’attention qu’il portait aux relations avec le pouvoir politique, pourquoi la décrier alors qu’elle était naturelle dans les secteurs où il opérait ? En cela, il a servi les intérêts de ses entreprises, de leurs salariés et actionnaires, comme l’a démontré l’épisode de la nationalisation de Matra en 1981, qui a vu Jean-Luc Lagardère en conserver la présidence.

Arnaud Molinié, Président de Capitello Group et de Loxamed, ancien Directeur général groupe Lagardère

Cette route ne fut pas exempte d’échecs, dont Lagardère assumait « solitairement » la responsabilité et tirait des enseignements pour, disait-il, ne pas répéter deux fois les mêmes erreurs. Celui de la Cinq fut le plus spectaculaire et conduisit à mettre en place la fameuse commandite, qui visait à préserver le groupe, tandis que Jean-Luc puis Arnaud, en échange de la stabilité dans la direction de l’entreprise, s’engageaient sur leurs biens propres. Comme le disait lui-même Jean-Luc Lagardère, tout avantage a sa contrepartie.

Rappeler ces faits ne procède ni de l’évocation nostalgique d’une gloire passée, encore moins de la réécriture de l’Histoire. Ce qui me conduit aujourd’hui à m’exprimer publiquement pour la première fois, au-delà de la gratitude d’un ancien « Lagardère boy », c’est l’envie de faire partager une évidence, celle de la modernité d’un entrepreneur dont les valeurs et le talent en font un modèle toujours vivant pour ceux qui veulent faire réussir la France.

Jean-Luc Lagardère fut pour moi un patron extraordinaire et une source d’inspiration constante dans ma vie d’homme et d’entrepreneur. Je me souviens de ses mots dans le grand amphi de la Sorbonne, s’adressant à la jeunesse, à cinq mois de sa brutale disparition. Il y disait que « l’important, quand on passe sur la Terre, c’est de laisser une signature » et que son envie avait toujours été de le faire avec d’autres, parce que c’est avec des équipes que l’on peut réaliser des choses, à condition qu’y prévalent des principes de responsabilité, de sérieux, de fidélité, de loyauté et de dévouement les uns envers les autres.

Il avait, chevillée au corps, cette conviction que la réussite d’une entreprise ne se fait pas qu’avec des règles mais tient à son esprit. Pour l’illustrer, il évoquait souvent la fulgurante et brillante incursion de Matra dans le sport automobile, qui avait forgé un « esprit Matra », à inscrire à l’actif de l’entreprise.

A une époque où les entreprises subissent ou s’enferment elles-mêmes dans des règles, des normes et des pratiques qui étouffent l’initiative et la créativité, où le principe de précaution est préféré au risque, il est vital de se nourrir d’épopées comme celle de Jean-Luc Lagardère pour rêver, pour oser et pour construire. Sa signature est bien dans cet esprit, ce souffle qui défie le temps et les vicissitudes. Lagardère ne meurt jamais.

Arnaud Molinié


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