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La sauvegarde accélérée est-elle un outil à la portée des PME et ETI ?

Entreprendre - La sauvegarde accélérée est-elle un outil à la portée des PME et ETI ?

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Après une année 2023 caractérisée par un retour des défaillances à un niveau supérieur aux années 2018/19 pré-Covid, 2024 s’annonce encore riche en défis pour les entreprises. Dans un contexte qui demeure marqué par l’inflation, une contraction de la demande, des taux d’intérêts élevés et donc des échéances de refinancement en 2025/2026, l’anticipation et la gestion de ces difficultés font plus que jamais partie intégrante de la mission et des responsabilités des dirigeants.

Pour les accompagner, le droit français met à leur disposition des outils procéduraux dont l’utilisation à bon escient peut permettre d’obtenir des efforts de la part des principaux créanciers de l’entreprise, de bénéficier d’une respiration sur le plan financier et ainsi favoriser la mise en place d’une restructuration opérationnelle plus large.

Parmi ces outils, on trouve la procédure de sauvegarde accélérée, procédure judiciaire de traitement des difficultés des entreprises récemment remodelée[1], qui offre aux entreprises un nouvel outil certes complexe mais néanmoins efficace de restructuration juridico-financière. En témoigne son utilisation remarquée dans les dossiers de restructuration les plus médiatisés (Pierre & Vacances, Arc, Orpea, Casino, certains commentateurs évoquant déjà sa possible utilisation dans le dossier Atos).

Que faut-il penser de cette nouvelle popularité ? Effet de mode ou nouvel outil incontournable dans les restructurations d’entreprise ? S’agit-il d’un outil réservé aux grands groupes ou également à la portée des PME et ETI ?

Pour accompagner les dirigeants d’entreprises en difficulté, le droit français offre une boîte à outils complète avec des procédures préventives et collectives adaptées à chaque situation et permettant de réagir efficacement.

Quelques chiffres

Sur les deux dernières années, environ 92% des ouvertures de procédures collectives[3] concernent des entreprises de moins de 10 salariés (et 75% d’entre elles sont, en moyenne, des procédures de liquidation directes). Ce pourcentage s’élève quant à lui à 80% pour les procédures préventives[4].

De l’autre côté du spectre, les entreprises de plus de 100 salariés concourent à moins de 1% des ouvertures des procédures collectives et moins de 5% des procédures amiables.

La mise en lumière des défaillances des très petites entreprises et la surmédiatisation des dossiers de grande envergure ne doivent pas occulter le fait que le cœur de notre tissu économique est constitué de PME et d’ETI qui font elles aussi face à d’importants défis opérationnels et financiers. En particulier, les ETI qui n’ont pas pu se refinancer à des conditions intéressantes pendant la crise du Covid-19 vont devoir commencer à anticiper dès les prochains mois un nouveau mur de dette à horizon 2025-2026.

Des outils amiables plébiscités par les PME et ETI

L’année 2022 a été marquée par une augmentation de plus de 30% des procédures de prévention (mandat ad hoc, conciliation), atteignant 7 473 procédures4, le niveau annuel le plus élevé jamais enregistré. L’année 2023 devrait s’inscrire dans cette tendance, avec un nombre d’ouvertures similaire, voire légèrement supérieur.

Ces chiffres confirment le succès croissant des procédures préventives qui sont de mieux en mieux intégrées dans la boîte à outils des chefs d’entreprise, en particulier sur le segment des entreprises de 11 à 1 000 salariés, qui enregistre le taux de croissance le plus important sur 2023.

De manière générale, l’efficacité de l’arsenal procédural dont dispose le dirigeant d’entreprise a été considérablement renforcée par la dernière réforme du droit des entreprises en difficulté et en particulier par le nouveau régime de la sauvegarde accélérée.

La sauvegarde accélérée nouvelle génération est venue renforcer l’efficacité des procédures amiables existantes

Sous l’impulsion de l’Union Européenne, le législateur français a mis en œuvre fin 2021 une réforme profonde du droit des entreprises en difficulté. Les modifications apportées à l’ancien régime de la sauvegarde accélérée en constituent l’une des principales nouveautés.

Conçue comme une procédure hybride entre procédure amiable et collective, la sauvegarde accélérée nouvelle génération et l’introduction d’un mécanisme « d’application forcée interclasse » pour l’adoption de plans de restructuration financière qui l’accompagne, ont renforcé, par ricochet, l’efficacité des procédures amiables.

Les entreprises engagées dans une procédure de conciliation – dans le cadre de laquelle les créanciers ne peuvent pas être contraints et doivent adhérer unanimement à la solution de restructuration qu’on leur propose – sont désormais mieux armées pour surmonter l’obstruction d’une minorité de créanciers ou d’actionnaires opposés à la solution de restructuration proposée par les dirigeants.

D’ailleurs, dans beaucoup de dossiers, la sauvegarde accélérée (du fait de sa complexité, du risque de contentieux pouvant en résulter et des nouveaux équilibres entre débiteur, créanciers et actionnaires qu’elle a introduits) constitue une arme de dissuasion pour les parties prenantes qui sont mieux disposées à négocier pour parvenir à la conclusion d’accords de restructuration négociés amiablement.

Un outil judiciaire qui a déjà fait ses preuves

Outre son effet dissuasif, lorsqu’elle est effectivement utilisée, la sauvegarde accélérée nouvelle génération s’avère être un outil d’utilisation complexe mais néanmoins efficace.

Son succès est certes davantage visible dans les dossiers de restructuration de grande ampleur. La sauvegarde accélérée a ainsi permis l’adoption du plan de restructuration financière de la société cotée Orpea, en dépit de l’opposition de certains créanciers mais aussi des actionnaires existants qui se sont retrouvés massivement dilués.

Mais la sauvegarde accélérée n’est pas exclusivement réservée aux entreprises de taille significative. Elle est ouverte, sans condition de seuils, à toute entreprise qui fait l’objet d’une procédure de conciliation et qui justifie d’un projet de plan susceptible de recueillir un soutien suffisant de la part des créanciers concernés par la restructuration, et le cas échéant des actionnaires si des modifications du capital sont prévues. L’un des avantages de cette procédure est qu’elle permet aux dirigeants de choisir quels créanciers et/ou actionnaires seront affectés par la restructuration et de garder la maîtrise du processus. Autre avantage : sa courte durée et son caractère pré-négocié permet de limiter l’impact sur le business et la réputation de l’entreprise, une solution étant déjà trouvée au moment où la procédure est rendue publique. Son ouverture entraîne ensuite la constitution obligatoire de classes de parties affectées qui se prononceront sur la proposition de restructuration. Pour être adoptée, la restructuration devra être votée par toutes les classes à la majorité des 2/3. A défaut, le tribunal pourra l’imposer aux classes ayant voté contre, sous certaines conditions.

La méthode d’adoption des plans de restructuration via une consultation des actionnaires et créanciers en classes de parties affectées inhérente à la sauvegarde accélérée offre des perspectives intéressantes pour dégager plus facilement des solutions de restructuration majoritaires. Elle permet en outre de regrouper les créanciers en tenant compte de la valeur économique réelle de leur créance. Cette approche fondée sur la réalité économique est – contrairement à l’ancien système – omniprésente tant au stade de la constitution des classes qu’à celui du vote par référence à la valeur de l’entreprise. Les rapports de force entre l’entreprise, ses créanciers et ses actionnaires, mais aussi entre les créanciers, s’en trouvent profondément bouleversés. S’il est possible de contraindre certains créanciers qui ne pouvaient l’être, il faut également garder à l’esprit que les actionnaires ne sortent pas toujours gagnants de l’apparition des classes de parties affectées puisqu’il est désormais possible de leur imposer des sacrifices.

Il appartient toutefois aux dirigeants d’entreprise de manier cet outil avec clairvoyance et précaution en vue de proposer une solution de restructuration la plus équilibrée possible entre les parties prenantes.

Accroître ses chances de réussite

Par son seul effet dissuasif ou par son efficacité avérée lorsqu’elle est utilisée, la sauvegarde accélérée crée un nouvel équilibre des forces en présence dans le monde des restructurations qui devrait d’ailleurs contribuer à l’attractivité de nos entreprises pour les prêteurs et investisseurs, y compris étrangers.

Sa réussite nécessite néanmoins d’être bien préparée au regard de son calendrier contraint et de sa relative complexité. Une importante phase de travaux préparatoires doit être menée par l’entreprise et ses conseils spécialisés pendant la procédure de conciliation préalable, afin d’identifier les besoins et les contraintes de l’entreprise et d’engager une réflexion approfondie sur l’élaboration d’une proposition de restructuration et la constitution des différentes classes de créanciers et d’actionnaires le cas échéant.

Afin de maximiser ses chances de réussite, la capacité des dirigeants à anticiper et savoir s’entourer restent clé.

Raphaël Miolane
Senior Managing Director / FTI Consulting
Alexandre Koenig
Avocat associé en Restructuring & Insolvency au sein du cabinet Stephenson Harwood LLP


[1] En vertu de l’habilitation donnée par l’article 198 de la loi PACTE du 22 mai 2019, le gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, complétée par un décret n° 2021-1218 du 23 septembre 2021, ayant notamment pour objet de transposer en droit français les dispositions de la directive (UE) n° 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive.
[2] Les auteurs remercient Lauriane Chauvet, avocate au sein du cabinet Stephenson Harwood LLP et Paul Josa, Senior Consultant chez FTI Consulting, pour leur contribution à cet article.
[3] Selon l’étude Altares, « Défaillances et sauvegardes des entreprises en France », bilan 2023
[4] Selon le Conseil National des Administrateurs Judiciaires et des Mandataires Judiciaires (CNAJMJ) – au 30/11/2023


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