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La prévention santé : une renaissance attendue du système de santé ?

L'augmentation croissante des pathologies chroniques appelle à une évolution des progrès thérapeutiques. Ces pathologies génèrent 60% des dépenses de santé et touchent 35 % d'une population qui souffre sans pour autant être malade.

Entreprendre - La prévention santé : une renaissance attendue du système de santé ?

Par Jean-Pierre Marguaritte, ostéopathe et expert de justice

Le plaidoyer d’Aurélien Rousseau, ministre de la santé et de la prévention, en faveur de la prévention au Congrès de la CHAM (Convention on Health Analysis and Management) les 28 et vendredi 29 septembre 2023 à Chambéry, la conférence de consensus sur les modèles d’évaluation des INM (Indications non médicamenteuses) organisée par le sénateur Philippe Couiller, président de la Commission des affaires sociales, en partenariat avec la société savante NPIS (Non-Pharmacological Intervention Society) présidée par le Professeur Grégory Ninot, qui s‘est tenue au Sénat ce 6 octobre dernier, la discussion fin octobre à l’Assemblée Nationale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) visant à maîtriser les dépenses sociales et de santé, tous ces événements annoncent-ils une révolution du système de santé ?

Nous avons demandé à Jean-Pierre Marguaritte, ostéopathe et expert de justice, invité à la Conférence de consensus au Sénat, de nous aider à mieux percevoir l’intérêt pour la prévention santé d’un modèle standardisé d’évaluation adapté aux thérapies complémentaires.

Jean-Pierre Marguaritte, lors d’une précédente interview, vous souleviez la difficulté d’évaluer une pratique de soins globale comme l’ostéopathie, les résultats de  la dernière étude sur la lombalgie chronique qui a été publiée n’ayant pas été probante.
Si l’étude en question avait suivi  le modèle d’évaluation défini par la NPIS, les résultats auraient certainement été significatifs. Il est  difficile d’évaluer l’efficacité d’un programme de remise en santé qui associe par exemple une thérapie manuelle et des recommandations de mode de vie, de la même façon qu’un médicament, auquel cas les résultats de l’étude sont considérés comme biaisés. C’est un obstacle qui vient d’être contourné car l’évaluation est une des principales conditions pour favoriser une meilleure intégration des indications non médicamenteuses dont l’ostéopathie, dans le paysage sanitaire.

Vous dites principales, parce qu’il y a d’autres conditions ?
Oui, disposer d’un programme de prévention santé validé ne suffit pas, il faut également s’assurer de la qualification des professionnels qui l’appliquent et du cadre juridique et réglementaire dans lequel ils exercent. Or plus de 24 000 ostéopathes n’ont pas de code de déontologie applicable et ne font l’objet d’aucun contrôle de la formation continue obligatoire, mais c’est un autre problème.

Pouvez-vous nous décrypter cette conférence qui a réuni de nombreuses personnalités. Outre ses organisateurs, des universitaires de renom, la direction générale de la santé, la direction de la sécurité sociale et de la mutualité française, la direction générale des affaires sociales, le médecin conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie, le président de la société française de rhumatologie, sont intervenus.
Oui, les principaux acteurs de la santé dans le domaine public et privé étaient à cette conférence de consensus. Je peux vous faire une synthèse des interventions qui ont retenu mon attention mais je tiens avant tout à saluer Monsieur le Professeur Grégory NINOT et son équipe d’experts qui réalisent depuis 12 ans un travail collaboratif qui a abouti à penser la santé autrement et à réaliser un modèle d’évaluation des solutions de prévention santé fondées sur des données probantes.

Pour commencer, pouvez-vous nous préciser ce qu’est une Indication Non Médicamenteuse (INM) ?
Les INM telles que définies par le Professeur Grégory NINOT, sont des « protocoles reproductibles de prévention santé et de soins efficaces, personnalisés, non invasifs, référencés et encadrés par un professionnel qualifié ».
Les plus dominantes ont été classées en quatre groupes. Les interventions psychosociales visant un suivi, un accompagnement et une réhabilitation sociale tel que la psychothérapie, l’ergothérapie, les programmes d’éducation thérapeutiques délivrés par les médecins, pharmaciens, infirmiers, les pratiques à dominante corporelle tel que l’activité physique adaptée, les thérapies manuelles, et la nutrition.
La NPIS a recherché un invariant entre ces INM pour réaliser un modèle d’évaluation. Ce travail a été cautionné par l’ensemble des sociétés savantes avec le soutien de l’INSERM (Institut Nationale de la Santé et de la Recherche Médicale).

La NPIS n’a donc pas considéré une méthode particulière comme l’ostéopathie, la psychologie, l’activité physique ou la nutrition, mais un programme complet qui démontre son efficacité dans la vie de tous les jours.
La notion d’implémentation, c’est-à-dire comment la mettre en œuvre en tenant compte de l’environnement social et professionnel, y compris le lieu géographique, et pas seulement vérifier son efficacité, fait partie intégrante du modèle d’évaluation élaboré par la NPIS.

Pensez-vous que ces protocoles de prévention seront mieux adaptés aux personnes qui souffrent de troubles fonctionnels chroniques qui sont liés au mode de vie ?
La médecine soulage ces troubles mais dans 70% des cas, ils récidivent, deviennent chroniques et évoluent vers une maladie métabolique.
Une intervention du Professeur Bruno FALISSARD, psychiatre, auteur du rapport sur l’évaluation de l’ostéopathie en 2012 et membre de la section thérapies complémentaires de l’Académie de médecine, résume très bien la situation.
Je cite : « Le système de soins est en crise. Les psychiatres aiment les crises, c’est l’occasion de faire bouger ». « Les patients changent, avant il s’agissait pour le médecin de traiter une méningite, un infarctus… maintenant ce sont essentiellement des pathologies chroniques. Les patients viennent avec des maladies mais ne sont pas malades ce qui impose aux médecins de réaménager leur prise en charge ».

Autrement dit, ces patients souffrent mais ne sont pas malades.
C’est exact, et ces pathologies chroniques créent un véritable problème. Leur augmentation constante impose une nécessaire évolution du système de santé avec des programmes de soins adaptés et évalués. Les douleurs musculo-squelettiques représentent plus de 60% des motifs de consultation d’un médecin généraliste.

C’est quasiment toute la population qui est concernée.
De nombreuses personnes car le médecin prescrit un médicament à un patient qui a de la fièvre, mais peut être désemparé devant une personne qui ne se sent pas bien et qui présente un trouble sans aucun signe clinique ni biologique, et c’est le cas des troubles fonctionnels liés au mode de vie.
Le Professeur Thierry SCHAEVERBEKE, Président de la Société Française de rhumatologie, a souligné l’absence d’intéressement au mode d’alimentation par les médecins et la nécessité d’une évolution de la médecine considérant les troubles fonctionnels digestifs comme majeurs. Il évoquait également l’absence d’examen palpatoire me rappelant ainsi au bon usage des mains des ostéopathes comme outils de diagnostic.

En tant qu’ostéopathes vous prenez en compte le mode d’alimentation ?
C’est un facteur indispensable que tout ostéopathe devrait recueillir lors de l’anamnèse pour établir les liens existant entre la structure, le squelette, l’organique, les organes, et le métabolique, c’est-à-dire l’ensemble des réactions chimiques dans le corps qui inclut la digestion des aliments. Par exemple, l’ostéopathe ne pourra soulager durablement une douleur d’épaule gauche chez une personne qui présente une colopathie fonctionnelle sans obtenir de son patient un changement de son mode d’alimentation quasiment toujours en cause. Cette approche multi-factorielle manque dans l’enseignement initial.

Mais les professionnels qui vont intervenir dans ces programmes vont devoir suivre une formation qui leur apporte une surqualification.
Oui et cela justifie une révolution du monde de la formation comme pour obtenir et conserver une qualification spécifique. Le Professeur Thierry SCHAEVERBEKE a pris l’exemple d’un pilote d’avion qui est tenu d’assurer une formation continue pour conserver sa licence.

Mais qui va financer ces programmes de prévention santé ?
Le Docteur Dominique Martin, médecin conseil de la Caisse nationale d’Assurance Maladie (CNAM) s’est dit favorable aux INM qui présentent l’avantage de rendre le patient acteur de sa santé dans le cadre d’un parcours de soins.

Mais il a également rappelé que la CNAM travaillait sur recommandation de la Haute Autorité de Santé et que son coeur de métier était la gestion du risque. Toute décision étant liée à l’efficience (l’efficacité) et à la pertinence (la qualité, la sécurité et la preuve des actions).

La Mutualité Française a également rappelé la nécessité d’un financement sécurisé pour favoriser l’accessibilité aux INM scientifiquement validés, plus intéressée à recruter des personnes qui font appel aux INM considérant qu’elles prennent plus soin de leur santé.

Maintenant qu’un modèle d’évaluation a été défini, allez-vous programmer l’évaluation d’un programme de soins basé sur l’ostéopathie ?
Une démarche a été engagée auprès de médecins épidémiologistes du Groupe COCHRANE pour obtenir une aide méthodologique et la mettre en œuvre.

Et pour son financement ?
Dès lors où le protocole de l’étude suit les recommandations d’évaluation et qu’il présente un intérêt pour la santé de la population, son financement devrait suivre.

Et en conclusion ?
En conclusion de cette conférence de consensus, le Professeur Grégory NINOT a soulevé l’importance de constituer un modèle économique avec l’ambition de porter ce modèle d’évaluation (NPI model) à l’international notamment en Europe plus connectée sur les produits que sur les services de santé. Un véritable changement de paradigme qu’il définit ainsi : «  Prévenir, guérir et pas seulement soulager, accompagner ».

Le sénateur Philippe Mouiller, a conclu sur la difficulté de financer un parcours de soins quand bien même il soit évalué, sans coordination et stratégie de pilotage.

Nous disposons maintenant d’un modèle d’évaluation qui manquait, reste à évaluer les programmes de prévention santé, à les mettre en pratique avec des acteurs qualifiés, à les coordonner et à les contrôler.

Jean-Pierre Marguaritte, ostéopathe et expert de justice



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