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La Fintech Nexo réclame 3 milliards d’euros à l’Etat bulgare

Alors que l’Union européenne vient de mettre fin au mécanisme par lequel elle surveillait, depuis plus d’une quinzaine d’années, les progrès de Sofia en matière de lutte contre la corruption, l’affaire impliquant la fintech Nexo, qui demande maintenant 3 milliards de dollars de dommages et intérêts à l’État bulgare, remet en lumière le retard coupable de la Bulgarie sur le respect de l’État de droit. La fintech avait fait l’objet de plusieurs enquêtes qui, pour certains observateurs, relevaient de la « persécution politique » du fait de la proximité du groupe avec l’opposition politique.

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« C’est officiel : la Bulgarie (a) satisfait aux critères de référence et nous clôturons officiellement le mécanisme de coopération et de vérification. Félicitations ! » : sur le réseau social X, la vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la transparence, Vera Jourova, a le 15 septembre dernier fièrement annoncé la fin des opérations de surveillance de l’État bulgare par l’Union européenne (UE). Depuis leur adhésion en 2007, la Bulgarie et la Roumanie étaient, en effet, soumises à une procédure, inédite dans l’histoire de l’élargissement européen, consistant à vérifier après – et non avant – leur adhésion que les deux pays se conformaient bien aux standards européens en matière d’État de droit, d’indépendance de la justice ou encore de lutte contre la corruption ou le crime organisé.

Le mécanisme de coopération et de vérification (MCV) aura donc duré un peu plus de seize ans. Un intervalle pendant lequel les services de la Commission auront produit des milliers de pages de rapports annuels – le dernier sur la Bulgarie datant de 2019 –, détaillant les lacunes à combler et la manière de se mettre au niveau des pratiques en cours au sein de l’UE. Non sans mal, comme en témoigne la durée pendant laquelle s’est étalé le processus ou les résistances auxquelles il s’est heurté au sein des élites bulgares – la société civile accueillant, elle, plutôt favorablement ces évolutions imposées par Bruxelles. Alors que les pays de l’est de l’Europe sont désormais en première ligne face à l’impérialisme russe, la Commission européenne a donc décidé d’accorder son satisfecit à deux d’entre eux et de clore la page du MCV.

Quelques résistances de l’ancien monde ?

Pour stratégique qu’elle apparaisse à première vue – l’UE veut montrer un front uni, surtout à l’Est, face à un Poutine plus belliciste que jamais –, cette décision est-elle fondée ? Si la Commission semble satisfaite des progrès réalisés par Sofia, plusieurs pays membres de l’UE (l’Autriche et les Pays-Bas) continuent de s’opposer à l’entrée de la Bulgarie dans l’espace Schengen, invoquant, justement, les récurrents problèmes de corruption qui émaillent la réputation du pays. Une suspicion corroborée tant par les ONG, comme Transparency International, que par les Bulgares eux-mêmes, qui sont près d’un sur deux (48%) à estimer qu’au cours des mois écoulés la corruption a augmenté, et non baissé, dans leur propre pays.

Plusieurs scandales semblent leur donner raison. Ainsi de l’affaire Nexo, du nom de ce géant mondial des cryptomonnaies, dont le siège de la filiale bulgare a été, en janvier 2023, la cible d’une perquisition aussi musclée que médiatisée. Soupçonnés de blanchiment d’argent, l’entreprise et trois de ses dirigeants ont fait l’objet d’une enquête menée par l’ancien procureur général de Bulgarie, un certain Ivan Geshev, dont le nom est étroitement lié à la corruption du système judiciaire bulgare. L’avocat et spécialiste de la région Toby Cadman a dénoncé « une attaque coordonnée (…) basée sur des allégations fabriquées et politiquement motivées » par la proximité supposée des dirigeants de Nexo avec certains membres de l’opposition bulgare, catégorisés comme pro-européens, pro-occidental et anti-corruption.

Ivan Geshev a, depuis, quitté son poste. Le procureur général a été remplacé par Borislav Sarafov, qui assure l’intérim mais souffre, lui aussi, d’une sulfureuse réputation. De quoi faire sortir de ses gonds l’avocat Mihail Ekimdzhiev, selon qui « dans l’affaire Nexo, Sarafov a participé à la conférence de presse du procureur général, au cours de laquelle, en violation de la présomption d’innocence, des données non vérifiées et fausses sur les activités de l’entreprise ont été présentées, dans le but évident de la diaboliser publiquement ». Et l’avocat d’estimer dans les colonnes de la revue Conflits que cette affaire est « emblématique de l’utilisation abusive du bureau du procureur bulgare pour saisir des affaires et ruiner la réputation de sociétés commerciales pour des intérêts privés et politiques ».

« Chasse aux sorcières »

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose… En décembre 2023, la justice bulgare a fini par clôturer l’affaire Nexo. Raison invoquée : « manque de preuves ». Reste que la médiatisation de l’affaire, bien au-delà des frontières bulgares, a coûté cher à la plateforme spécialisée dans les opérations en Bitcoin et autres crypto-actifs. Dénonçant une véritable « chasse aux sorcières », l’entreprise a déposé plainte le 18 janvier dernier au Secrétariat du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale, à Washington. Estimant que les affres de la justice bulgare avaient terni sa réputation et empêché, notamment, son introduction en Bourse, Nexo évalue ses pertes à environ 3 milliards de dollars, du fait d’une perte de confiance des investisseurs.

Victime d’actions « injustes et politiquement motivées impliquant des enquêtes criminelles injustifiées et oppressives », Nexo réclame désormais 3 milliards de dollars de dommages et intérêts à la Bulgarie. Un coup dur pour les autorités de Sofia, dont les pratiques illibérales et le tournant autoritaire vont désormais être étalés et disséqués au grand jour, de même que les persécutions qui s’abattent sur l’opposition pro-Bruxelles. De quoi donner du grain à moudre à ceux qui, de plus en plus bruyants à l’Ouest, refusent tout nouvel élargissement de l’UE à des pays qui ne se conformeraient pas totalement aux normes et usages régulant la vie politique, économique et judiciaire européenne.

A. Bodkine


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