Pour Bernard Cohen-Hadad, fondateur du think tank Etienne Marcel, la droite a l’opportunité en début de quinquennat de se repositionner en réconciliant enjeux sociaux et esprit d’entreprise pour contribuer à relever les défis prioritaires de la période et préparer la suite.
Tribune. Depuis plusieurs années la droite se cherche. La droite républicaine et de gouvernement a récemment délaissé ses valeurs de liberté, de responsabilité et de solidarité pour se laisser entraîner sur des positions ultra-libérales sur le plan économique et très sécuritaires sur le plan régalien. Ce glissement axiologique et politique dextrogyre ne lui a guère réussi aux élections présidentielles puis législatives de 2022.
Un contexte porteur
Les Français encaissent depuis plus de deux ans les conséquences des chocs et des crises de tous ordres qui s’enchaînent et déstabilisent notre société. Depuis le début de l’année, leur pouvoir d’achat est tout particulièrement attaqué par l’inflation, même si cette dernière n’atteint pas en France les niveaux de ses voisins européens. Ces Français, à commencer par les plus fragiles d’entre eux, ont besoin de protection via un interventionnisme économique et social renforcé de l’État. Au lieu de quoi, la droite sénatoriale a préféré abaisser début août la revalorisation anticipée du RSA votée par les députés…
A ce “moment social” correspond aussi un “moment entrepreneurial”. Les bons chiffres de l’emploi et de la croissance, nonobstant les crises, confirment la pertinence de la politique de l’offre déployée par le Président de la République dès son premier quinquennat et maintenue depuis. Ainsi beaucoup reprennent-ils conscience de l’efficacité d’une politique qui favorise la création des richesses avant leur redistribution.
Dans ce contexte, il appartient à la droite de réaffirmer opportunément ses valeurs sociales et entrepreneuriales.
Légitime sur les enjeux sociaux
La droite est historiquement légitime sur les enjeux sociaux, depuis de GAULLE jusqu’à CHIRAC. C’est elle qui, dès 1967, proposait de faire participer les salariés aux fruits de l’expansion d’une entreprise. Une mesure d’actualité dans le cadre de la discussion du projet de loi sur le pouvoir d’achat, perçue comme éminemment vertueuse car dans l’intérêt durable de tous : le salarié mais aussi l’entreprise, l’économie et la société. Last but not least, ce partage améliore aussi le dialogue social en rappelant que le progrès est une œuvre avant tout collective.
Parmi les valeurs cardinales de cette droite attachée au progrès social figure la confiance dans une économie sociale de marché. En d’autres termes, la recherche d’un équilibre entre, d’une part, une économie de marché mue par la libre initiative des acteurs socioéconomiques et, d’autre part, un système de solidarité nationale très développé avec une forte intervention de l’État dans la vie économique et sociale. S’y ajoutent le travail, le mérite, la dignité des personnes et le partage des richesses.
Ces valeurs républicaines sont au fondement du pacte social français. Elles garantissent la cohésion sociale et l’unité nationale. Cette droite sociale n’est pas dupe pour autant. Elle est pleinement consciente des imperfections du “modèle social français”. Un modèle qui dysfonctionne trop souvent dans les domaines de l’emploi, du chômage et de la redistribution. En partie par conservatisme, tant il reste arc-bouté sur les distinctions de statuts.
L’entreprise a fait ses preuves
Les crises subies depuis deux ans n’ont pas seulement permis de (re)découvrir les bienfaits de l’intervention économique et sociale de l’État. Beaucoup de Français (re)découvrent aussi les bienfaits d’une politique de l’offre qui réunit et optimise les conditions de la création des richesses par l’entreprise, avant – et dans la perspective – de les redistribuer. La compétitivité des entreprises et la bonne tenue de l’emploi sont apparues comme des protections efficaces, tout à la fois, du pouvoir d’achat des Français, de la sauvegarde du système social et du modèle de solidarité et de santé. Sans oublier le rééquilibrage du rapport de force au sein de l’entreprise en faveur des salariés, leur redonnant ipso facto du pouvoir de négociation.
La poursuite de cette politique par l’Exécutif, avec la volonté renouvelée de baisser les impôts qui pèsent sur la production des entreprises et celle d’atteindre le plein emploi, notamment via une refonte de l’assurance-chômage, mérite d’être saluée. C’est aussi ce Gouvernement qui a facilité la mise en place de l’intéressement dans les PME de moins de 50 salariés, les moins dotées de dispositifs de partage de la valeur et dans lesquelles le dialogue social est peu développé.
L’entreprise étant le meilleur financeur du modèle social et la confiance dans le marché son meilleur garant, la droite progressiste a tout intérêt à réaffirmer ses valeurs entrepreneuriales, son attachement à la liberté de travailler et d’entreprendre, sa promotion du rôle des entreprises citoyennes dans les territoires, son soutien à tous ceux qui innovent et prennent des risques, y compris pour l’innovation sociale.
Pour quoi faire ?
Ces valeurs de progrès et humanistes ne doivent pas disparaître du débat public. Il est donc temps que la droite mue par des valeurs sociales et entrepreneuriales soit à nouveau force de propositions pour contribuer à relever les défis prioritaires de la période et préparer la suite. Les enjeux ne manquent pas, en effet, pour bâtir une France plus libre, plus forte, plus solidaire, qui redonne aux Français – et notamment à la jeunesse – confiance dans l’avenir en général et dans la politique en particulier : concentration de l’effort national sur l’éducation ; accès à un logement abordable et amélioration de la mixité sociale ; allègement des charges des entreprises ; meilleur accès aux services publics du quotidien (santé, numérique, transports, culture, etc.) ; nouvelles solidarités nationales, y compris entre les générations, en redonnant des perspectives d’avenir aux jeunes et en apportant des réponses au défi de la perte d’autonomie et de la dépendance, etc. Et ce dans un contexte contraint par le retour de l’inflation et le défi climatique qui fragilisent potentiellement les fondements de la cohésion sociale.
Cette droite “entrepreneuse sociale” devra enfin procéder avec méthode. D’abord les idées et les messages, ensuite l’incarnation et les visages. En franchissant les étapes sans les brûler. En ouvrant grand les portes et les fenêtres aux Français et aux Françaises de tous les âges, de toutes les catégories socioprofessionnelles, de tous les territoires, de sorte d’impulser un mouvement ouvert, aussi représentatif et proche que possible des besoins, des attentes et des espoirs des Français. Le tout en luttant pied-à-pied contre la démagogie et le populisme des entrepreneurs de chaos politique et institutionnel.
Bernard COHEN-HADAD
Président du Think Tank Etienne Marcel