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Par Yann Benchora – Expert-Comptable associé – Commissaire aux Comptes chez CF
Dans un contexte budgétaire très difficile, l’Etat entend lutter contre la fraude fiscale (et notamment la fraude à la TVA) via des mesures fortes. Ainsi, l’ordonnance du 15 septembre 2021 a introduit l’obligation de facturation électronique dans les échanges entre entreprises établies en France et assujetties à la TVA. L’émission obligatoire de factures électroniques s’opérera selon un calendrier précis, prenant en compte la taille de l’entreprise (1er juillet 2024 pour les grandes entreprises ; 1er janvier 2025 pour les ETI ; 1er janvier 2026 pour les PME et microentreprises). Les sociétés doivent se préparer à ce tournant stratégique. Entre obligations et opportunités, comment faire de la facturation électronique un atout pour son entreprise ?
Pourquoi avoir instauré l’obligation de la facturation électronique ?
En instaurant la facturation électronique, l’Etat aura accès aux données avérées sur l’activité de l’entreprise, un levier majeur pour contribuer à la lutte contre la fraude à la TVA. Cette démarche lui permettra de renflouer ses caisses puis de stabiliser, voire diminuer, les prélèvements obligatoires sur les personnes physiques et morales. Ce potentiel de rentrée fiscale est sans commune mesure avec le gain financier procuré par la nouvelle réforme des retraites par exemple.
En effet, les estimations de l’INSEE sont de l’ordre de 20 à 25 milliards d’euros de fraude à la TVA par an ! Par ailleurs, cette nouvelle réglementation vise à augmenter le pouvoir d’achat des personnes physiques (étudiants, actifs ou retraités), rendre leur compétitivité aux entreprises, desserrer l’étau fiscal et social pour accroître les rentabilités et les salaires puis in fine augmenter le PIB.
Comprendre les enjeux que cela implique pour les entreprises
Souvent mal interprétée, la facture électronique n’est pas une facture digitale au format PDF, mais bien une facture au format « xml », émise, transmise et reçue sous une forme dématérialisée générée par un logiciel de gestion commerciale hébergé sur un portail légiféré par l’État.
Globalement, les logiciels de gestion commerciale recenseront automatiquement tous les éléments requis, et seront soit intégrés à un portail de dématérialisation partenaire (PDP), soit directement labellisés Portail de dématérialisation partenaire, ce qui en simplifie le processus. Chaque entreprise aura l’obligation de s’inscrire officiellement sur le portail public de facturation (PPF) pour créer son compte avec l’ensemble de ses identifiants juridiques (SIRET, SIRENE, APE, etc.) et fiscaux (memento fiscal, numéro TVA, etc.), afin d’être en capacité de recevoir les factures électroniques de ses fournisseurs (échéance 01/07/2024) et d’émettre ses factures (échéance 01/01/2026). Les entreprises qui travaillent sur des marchés publics sont déjà familières de ce fonctionnement, notamment via le portail Chorus Pro.
S’entourer des compétences nécessaires
Pour anticiper le bouleversement que cette réglementation va provoquer, il sera nécessaire de repenser son organisation administrative pour favoriser une gestion de projet optimale. La création d’une équipe dédiée est une première étape à la bonne réussite de ce projet. Ateliers, workshops, intervenants spécialisés, etc. pourront être un avantage significatif pour faciliter l’embarquement de l’ensemble des collaborateurs et tout particulièrement l’expert-comptable.
Au-delà du traitement comptable pur et simple, l’expert-comptable a accès aux flux de trésorerie (banques), aux flux RH (bulletins de salaires, cotisations sociales, frais de déplacement…) et aux flux des investissements (actifs et immobilisations). Sa position stratégique fait de lui l’élément clé pour une transition fluide et sereine. Il va de soi que sa légitimité n’en sera que décuplée dès lors qu’il aura lui-même digitalisé ses process quotidiens (dématérialisation des documents, récupération intégrale des flux bancaires, coffre-fort numérique, gestion RH digitalisée, signature électronique, etc.).
Les acteurs de la facturation électronique
Toute la transition se passera à travers son outil de facturation. Les entreprises devront donc se rapprocher de leurs éditeurs de logiciel pour bénéficier d’une part de la mise à jour nécessaire à cette évolution technologique et d’autre part d’une formation pour la préparation des factures. L’écosystème de la facturation électronique sera ainsi composé d’Entreprises de Services Numériques éditrices de logiciels de gestion commerciale qui pourront soit adopter le statut d’ Opérateur de Dématérialisation (dit OD) soit devenir directement une Plateforme de Dématérialisation Privée (dite PDP).
Les PDP sont des plateformes qui ont intégré des solutions techniques spécialisées dans le traitement et l’envoi de factures électroniques, certifiées et enregistrées auprès des autorités fiscales. Chaque PDP proposera sa propre gestion de plateforme de suivi des factures, avec un niveau d’exhaustivité et de précisions des données qui lui sera propre. Il s’agira là davantages concurrentiels en termes de qualité de services qui engendreront un coût proportionnel.
Les OD proposeront des outils et services à forte valeur ajoutée pour accompagner les facturations. Cependant, pour garantir la conformité de la facture établie par l’OD, cette dernière devra être automatiquement déposée sur le portail des plateformes PPF ou PDP.
Le choix du prestataire pourrait être un sujet délicat ; l’émergence de nombreux PDP et OD peut rendre confusant cette analyse et ce choix. Le point de vigilance reste de sécuriser l’ensemble des données car chaque PDP devra être interopérable afin d’éviter tout risque en matière de cybersécurité.
Au-delà des gains de temps promis par l’arrivée de la facture électronique, il sera nécessaire et indispensable de passer par la case « coût ». Que proposent les éditeurs de logiciel de gestion commerciale ? Que me propose mon expert-comptable ? Comment se positionne la balance bénéfice / risque sur ce sujet ? Les échéances sont très proches, la réactivité et l’adaptabilité vont être les maîtres mots de cette transition vers la facturation électronique.
C’est un prérequis, mais il faut avoir conscience que certaines petites entreprises et/ou artisans, ne disposent pas de logiciel de gestion commerciale. C’est sur eux que cette transition risque de peser le plus. L’enjeu primordial reste la compétitivité de nos entreprises dans un contexte économique mondial en perpétuelle évolution. Les chefs d’entreprise ont déjà traversé de nombreuses turbulences : le passage à l’euro, le prélèvement de l’impôt à la source, la déclaration sociale nominative… Ce tournant, lui annonce l’émergence de la digitalisation de la fonction administrative de son grand ensemble. Un fait incontournable quand on observe un phénomène comme Chat GPT, qui semble inarrêtable et dont l’impact sur les modèles économiques risque d’être sans commune mesure.
Yann Benchora