Par Eric Decalf, operating partner chez I&S Adviser
Diverses raisons conduisent les chefs d’entreprises français à avancer de manière empirique, sans aucun plan à moyen ou long terme. Or, même sous tension, se fixer un cap et un plan d’action opérationnel est fondamental. C’est l’une des conditions de la relance post “crise Covid”.
Les chefs d’entreprise français ont la tête dans le guidon. L’incertitude économique, à laquelle s’ajoutent les stop-and-go de la crise sanitaire et l’attentisme induit par l’actualité politique et l’élection présidentielle d’avril prochain, ne les incite pas à envisager leur activité sur le temps long.
Ceux qui avancent et ceux qui peinent
Parmi les dirigeants, deux situations sont à distinguer. Une première catégorie est composée des chefs d’entreprise qui s’en sortent plutôt bien, voire très bien malgré la crise. Leur activité est peu ou pas affectée ; leur marché est parfois même porté par de nouveaux besoins conjoncturels, et donc en croissance. Ils ont certes à gérer des problèmes d’approvisionnement et de transport mais cela ne les empêche aucunement de se développer. Et face au contexte inflationniste actuel, la pression de la demande sur leurs produits leur donne une marge de manœuvre pour augmenter leurs prix.
La seconde catégorie est dans une posture bien différente. Il s’agit des chefs d’entreprise dont l’activité souffre de la crise et qui souffraient déjà avant. Nombreuses PME n’ont pas automatiquement bénéficié des dispositifs gouvernementaux. Il s’agit essentiellement de PME dont la santé était fragile en 2019 et ne relevaient pas des secteurs aidés. Plusieurs se sont même vu refuser le PGE par leurs banques faute d’un nombre suffisant de bilans positifs à présenter – être en train de redresser son activité ne suffisait pas pour convaincre. N’ayant quasiment plus de trésorerie, une énorme épée de Damoclès plane toujours en permanence au-dessus de leur tête, ce qui ne leur permet de réfléchir à des plans pour le futur. Leur seule urgence est d’assurer la survie de l’entreprise et de verser les salaires aux collaborateurs. Pourtant, pour se relever, pour survivre, il est indispensable qu’elles arrivent à se projeter à nouveau et donc qu’elles retrouvent un peu de sérénité.
De la nécessité de projeter l’entreprise dans un temps long
Même si la situation est tendue, il est en effet fondamental de fixer un cap à son entreprise et un plan d’action opérationnel pour l’atteindre. C’est l’une des conditions pour redémarrer en période post “crise Covid”.
Pourquoi ? Parce qu’une stratégie adaptée à un avenir sans visibilité moyen-long terme reste une stratégie. Elle est nécessaire et doit être formalisée par le chef d’entreprise. Bien entendu, elle sera révisée chaque semestre, et adaptée. Mais elle reste essentielle car elle est une boussole. Peu importent les conditions météo, le chef d’entreprise adaptera son rythme et son chemin comme le capitaine du bateau le fait.
Trois axes pour penser sa stratégie
Une fois cela dit, le chef d’entreprise peut mettre en œuvre quelques-unes des bonnes pratiques identifiées chez leurs pairs ayant eux-mêmes été confrontés à des turbulences.
Une démarche efficace est de déléguer au maximum pour se concentrer sur la vision et le chemin. Le dirigeant doit oser confier la responsabilité de certains sujets à un manager idéalement meilleur que lui sur la question.
Deuxième impératif : se débarrasser de toute urgence du stress qui est inhibiteur. Pour cela, il pourra par exemple,si la situation nécessite une présence de chaque instant (ex. gestion de situations complexes, suivi d’une trésorerie très basse…), se réserver une demi-journée dans la semaine pour se poser et réfléchir sereinement. Il gagnera aussi à s’appuyer sur des pairs, à les solliciter en leur exposant le(s) problème(s) rencontré(s). En parler, les formaliser, c’est souvent la moitié de la solution.
Enfin, le chef d’entreprise peut aussi se benchmarker avec d’autres, en cherchant à identifier ce qui fonctionne ailleurs et les modèles vertueux. Il peut par exemple s’interroger sur la vitesse des changements en cours et celle de son organisation – sont-elles synchronisées ? Il peut aussi chercher à savoir si l’entreprise est disruptive ou si elle est en train d’être pernicieusement disruptée. Enfin, il doit s’interroger sur le fait de disposer suffisamment de talents qui viennent de l’extérieur et qui ont vécu d’autres choses pour ne pas être en circuit fermé.
Trouver le temps et les pistes pour réfléchir à sa stratégie doit donc figurer parmi les priorités des chefs d’entreprise en 2022. Si cela peut assez facilement être mis en œuvre par les dirigeants dont l’entreprise est en croissance, il faut donner aussi aux autres la capacité à se relancer. Un chef d’entreprise qui gère son entreprise et sa trésorerie en flux tendus n’a pas le temps de préparer sa relance. Pour celles en situation complexe qui ont été frappées par la crise Covid et non automatiquement aidées par l’état, c’est comme un patient atteint d’une longue maladie et qui ne serait pas pris en charge à l’hôpital parce que, statistiquement, ses chances de guérison sont moindres, aléatoires et prendraient plus de temps. La double peine…
Trouver des moyens de relancer ces PME en grande difficulté devrait être une priorité en ce début d’année. Pourquoi pas imaginer une subvention « accompagnement » permettant de se faire aider en cas de besoin avéré, un peu comme l’Assurance maladie en France finance les visites des malades chez le médecin et les traitements qui s’ensuivent, avec contrôle du résultat jusqu’à la guérison quand elle est possible. Une piste que devrait creuser le Ministère de l’Économie à l’heure où les risques de faillites réapparaissent ainsi que le laisse voir en Ile-de-France le dernier rapport de l’Observatoire consulaire des entreprises en difficulté…
Eric Decalf