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Avec Casino, Kretinsky dans la lignée des Pinault et Bolloré

Daniel Kretinsky (Photo par Khanh Renaud via Le Point/ABACAPRESS.COM)

Pinault avait repris Conforama, Bolloré lui s’était lancé dans la logistique portuaire en Afrique. Chacun de nos grands capitaines d’industrie a su, à un moment donné de son parcours d’exception, relever des défis extérieurs à leur secteur d’activité traditionnel.

Séisme dans la grande distribution française, car c’est la première fois qu’un grand opérateur historique (Carrefour, Leclerc, Auchan, Intermarché ou Système U) passe dans le giron d’un groupe non-tricolore. Il y avait bien jusqu’à présent l’offre du trio Niel-Pigasse-Zouari, mais celui-ci a dû jeter l’éponge suite à la trahison in-extremis du fonds activiste Attestor, qui a donné le coup de grâce à leur offre finale. Principal créancier « sécurisé » de Casino, le fonds aux 7,5 milliards d’euros d’actifs du financier allemand Jan-Christoph Peters est passé maître dans l’art des restructurations express après son passage chez CarVal (groupe Cargill).

Le chevalier teutonique de la finance spéculative, marié à une descendante des rois de Naples, a fait de la prise de contrôle surprise d’entreprises acculées par les dettes et obligées de convertir en capital sa véritable spécialité. Son soutien surprise à Daniel Kretinsky a été décisif au moment de conclure.

La prise de contrôle du distributeur stéphanois (Casino, Monoprix, Franprix, Naturalia) par le milliardaire tchèque allié au rusé et méthodique ardéchois Marc Ladreit de Lacharriere (Fimalac) devra aussi passer sous les fourches caudines du contrôle des investissements étrangers effectué par Bercy. On se souvient que Bruno Le Maire avait bloqué, il y a quelques années, le rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard.

Concernant Casino, une surprise n’est pas à exclure non plus, car Daniel Kretinsky, avec 50,4% de Casino, détient aussi 50% du distributeur allemand Métro, 10% du britannique Sainsbury, l’espagnol Eroski ; ce qui pourrait constituer le meilleur des chevaux de Troie de l’industrie internationale pour une distribution hexagonale déjà mise à mal par la pénétration croissante des supermarchés germaniques Lidl ou Aldi, toujours plus agressifs. Le rachat de Casino tel qu’il était envisagé initialement en février dernier avec Teract, structure contrôlée par le géant tricolore agricole In-Vivo, dirigé par Thierry Blandinières, aurait de ce point de vue pu constituer un débouché inégalable pour toute la filière agricole tricolore. On n’en est plus là.

L’homme d’affaires tchèque, Daniel Kretinsky, a dégainé plus vite et plus fort. Avec une fortune estimée à 8,9 milliards d’euros, ce bel esprit francophone également repreneur du splendide Château du Marais (91), le « Versailles de l’Essonne » racheté pour 43 millions d’euros, qu’il est en train de transformer en palace hôtelier de luxe, va pouvoir étendre spectaculairement son empire. Après avoir repris l’éditeur de livres Editis à Vivendi, puis 10% de la chaîne M6, 5% de TF1 et 25% de Fnac-Darty, ou FootLocker ; Citizen K (Elle, Marianne, France Dimanche…) met la main sur l’un des principaux distributeurs français au prix de 2,4 milliards d’euros d’investissement.

Au plan financier, ce maître du tour de table apte à la prise de décision rapide, avec l’entremise de son lobbyiste préféré, le discret Etienne Bertier, Essec / IEP, et homme de réseaux réputé impitoyable, efface d’un coup 6 milliards de dettes pour un apport d’1,2 milliard en argent frais (900 millions apportés par lui et 300 millions par le propriétaire de Fimalac), le solde intervenant en conversion de créances en capital.

Après s’être engagé à préserver l’intégrité du groupe, y compris le siège social historique du groupe à Saint-Étienne, le tycoon franco-tchèque devra s’atteler au sauvetage opérationnel du distributeur créé en 1898 par Geoffroy Guichard et présidé par Jean-Charles Naouri, le brillant ex-Directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy. Il comptera pour cette mission de redressement sur deux managers de choc : Philippe Palazzi, ex-dirigeant de Metro, et aussi Jean-Paul Michet, ex-DG de Franprix et de Monoprix. Avec Casino, Daniel Kretinsky réussit à 48 ans son plus beau coup en France.

Une montée en puissance assez exceptionnelle pour le tycoon pragois qui, pour l’instant, réussit parfaitement sa percée sans trop irriter l’establishment tricolore, décidément plus ouvert qu’on ne le dit. Il est vrai que le propriétaire du journal « Le Monde », qui a ses entrées à l’Élysée ou dans les ministères, sait se faire entendre. L’hebdomadaire « Franc Tireur » lancé par CMI est clairement positionné sur une ligne européenne, progressiste voire macroniste. Il vient d’ailleurs, tout un symbole, d’acquérir aussi rue de l’Élysée à Paris un splendide hôtel particulier pour y installer ses propres bureaux.

Passionné d’arts, le patron du magazine Marianne n’a pas fini de surprendre son petit monde. Une excellente nouvelle pour le cercle feutré des affaires parisiennes, qui a toujours tendance à ronronner. Dans la lignée des Pinault, Arnault, Bolloré des meilleurs jours, le monde économique a plus que jamais besoin de nouveaux bâtisseurs. Des challengers capables de relever les plus incroyables paris avec des stratégies au long cours mêlant soudaineté, précision et calcul financier de long terme.

Le propre des grands capitaines d’industrie avec une spécificité selon un banquier de la place, Nicolas Merindol, président de Thémis Banque et du groupe Carmin Finance : « L’homme qui a fait fortune dans le gaz et les centrales à charbon tout en investissant dans les médias, rachète à bas prix et en bas de cycle des activités jugées en déclin, mais aptes à générer des liquidités pendant suffisamment de temps pour rembourser largement les emprunts. » Une authentique martingale facile à énoncer mais plus difficile à mettre en œuvre.

Après Casino, Monsieur Daniel pourrait jeter son dévolu sur le club mythique de l’AS Saint-Étienne, mis en vente par Bernard Caiazzo et Roland Romeyer. Le club de football mythique des Verts, actuellement en Ligue 2, pourrait se négocier selon le site « Le Quotidien du Sport » sur une base de 25 millions d’euros minimum. Pour la ville de la Loire, ce serait une double résurrection. Pour Kretinsky, ce serait une manière de se faire encore plus apprécier. Lui qui arbore un visage si sérieux !

Robert Lafont


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