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ZUPdeCO : François-Afif Benthanane, le choix de l’entrepreneuriat social

Optimiste forcené, François-Afif Benthanane refuse de considérer le décrochage scolaire comme une fatalité. L’entrepreneur social, qui explique ce fléau par l’absence d’accompagnement des enfants après l’école, multiplie les initiatives novatrices et appelle l'Education nationale à oser faire confiance aux entrepreneurs pour sortir l’école de l’ornière.

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Optimiste forcené, François-Afif Benthanane refuse de considérer le décrochage scolaire comme une fatalité. L’entrepreneur social, qui explique ce fléau par l’absence d’accompagnement des enfants après l’école, multiplie les initiatives novatrices et appelle l’Education nationale à oser faire confiance aux entrepreneurs pour sortir l’école de l’ornière.

François-Afif Benthanane se définit aujourd’hui comme un entrepreneur social. « Il est évident que je ne pense pas aujourd’hui comme il y a 20 ans, précise le fondateur de ZUPdeCO, je me suis construit et j’ai bâti ma relation aux autres au fil des années. » Alors que le monde de l’entreprise classique favorise une relation à soi et au marché, l’entreprise sociale valorise une relation à soi et aux autres.

La bienveillance vis-à-vis des autres et la détermination étant des points essentiels pour « FAB ». « L’entrepreneur s’inscrit par nature dans une dynamique de projet pour lequel il est passionné et auquel il a envie de croire. L’entreprise est associée à une logique de croyance dans le produit ou le service que l’on propose, alors que l’entreprise sociale s’inscrit dans une approche de détermination par rapport à la cause que l’on défend, on ne travaille donc pas sur les mêmes stimuli. »

On s’inscrit d’un côté dans une logique où la dynamique est avant tout portée par la recherche de plus-value financière et de résultats, les relations humaines venant en second plan. De l’autre, la plus-value humaine prévaut, les relations financières n’étant qu’un moyen et non une fin.

« J’ai traversé une période personnelle assez pénible lorsque j’ai dû fermer ma structure après avoir vécu plusieurs trahisons. Suite à cette importante déception, j’ai vécu une phase de transition où je souhaitais donner du sens à ma vie. Je me suis posé des questions existentielles : quel sens y a-t-il à monter une entreprise pour gagner de l’argent et faire une plus-value ? »

C’est alors que François-Afif Benthanane a commencé à s’intéresser au monde social. Issu d’un quartier populaire, uk se décrit comme un pur produit de l’échec scolaire. N’ayant pas obtenu son bac, il découvrira les grandes écoles en passant le concours de HEC et suivra le programme « Challenge Plus » destiné aux entreprises innovantes.

« FAB » a passé plus de 10 ans de sa vie professionnelle dans les nouvelles technologies et la grande distribution, univers dans lesquels le fonctionnement est, de son propre aveu, très binaire. « Ça marche ou ça ne marche pas et si cela ne fonctionne pas, vous êtes dehors. » Tout le contraire de l’univers dans lequel il évolue désormais.

« Dans ce secteur, les gens sont dans une logique sociale, ils donneraient leur chemise, leur temps, leur énergie, leur argent sans compter. Vous découvrez que ce sont les plus pauvres qui donnent le plus. Je me suis rendu compte que certaines associations ne s’inscrivaient pas dans une culture du résultat, je ne parle pas des grosses ONG comme la Croix-Rouge ou la Ligue Contre le cancer. Certains sujets comme la santé sont délicats mais d’autres peuvent être solutionnés de façon très pragmatiques. »

La justice sociale est-elle une utopie ?

La justice n’est pas un vain mot pour François-Afif Benthanane. « L’endroit où l’on est né, notre milieu social et l’environnement dans lequel on a grandi rendent les choses plus ou moins difficiles. Lorsque l’on parle d’ascenseur social, ponctue l’entrepreneur social, certains partent du troisième étage et même s’ils n’arrivent pas forcément en haut, l’ascension leur est plus facile. Il ne s’agit pas de juger mais de constater les faits. »

Pour François-Afif Benthanane, « le seul point commun entre une personne qui dort dans la rue et une autre qui loge dans un 150m2 est que leur journée dure 24h. Pour le reste, tout les oppose : la première vit dans une profonde misère, tandis que la seconde évolue dans un confort extrême. »

Aujourd’hui, près de 9 millions de Français vivent sous le seuil de la pauvreté avec moins de 1 000 euros par mois. Dans le même temps, un dirigeant d’entreprise est soumis au poids des responsabilités. « Tout le monde a des responsabilités et des préoccupations, prévient François-Afif Benthanane, et ce, quel que soit le niveau de salaire ou le niveau de charges. La situation reste cependant beaucoup plus difficile pour certains que pour d’autres. »

ZUPdeCO : répondre à des situations d’injustice

Avant la création de ZUPdeCO, François-Afif Benthanane se souciait de répondre à une problématique de marché. L’entreprise qu’il avait créée en 1995 était spécialisée dans le datamining (préhistoire du big data, Ndlr) mais elle permettait de collecter et analyser les données à partir des tickets de caisse récupérés sur les points de ventes.

Son discours à l’époque consistait à expliquer aux hypermarchés qu’ils n’exploitaient pas les informations des personnes qui rentraient dans leur magasin et ignoraient donc qui étaient leurs clients et ce qu’ils achetaient. Les promotions étaient donc aléatoires alors qu’ils auraient pu mieux cibler leur relation client en fonction de ce qui les intéressait vraiment.

François-Afif Benthanane répondait donc simultanément à la préoccupation du consommateur en adressant mieux ses besoins et à la préoccupation d’un hypermarché pour qui il était dommageable de disposer d’informations et de ne pas s’en servir.

Lorsque ZUPdeCO est créée en mars 2005, beaucoup d’autres structures se développent en parallèle, telles que Mozaïk RH, leader du recrutement des diplômés de la diversité, ou encore Passeport Avenir qui accompagne des jeunes issus des milieux populaires dans leur réussite scolaire et professionnelle.

« Je me suis rendu compte que les sujets autour de l’éducation, de l’insertion et la formation sont des sujets centraux sur lesquels on peut agir et obtenir des résultats en adoptant une approche pragmatique. » L’entrepreneur s’est ensuite intéressé à un sujet plus sensible et complexe : l’éducation des enfants du primaire et du collège. « Tout se joue entre 6 et 15 ans, voire même plus tôt pour ce qui concerne la diction. Si cette tranche de vie est « ratée », la séquence 15-30 ans sera plus compliquée et la suivante encore d’avantage faute de bagage solide et de réseau. »

Sixième entreprise civile mondiale, l’éducation nationale regroupe près d’un million de personnes. Ce gigantisme n’est pas sans poser quelques problèmes. « Les professeurs ont la mission de gérer ces masses humaines. J’ai beaucoup de respect pour ce travail et n’oppose pas les uns aux autres, le public au privé : chacun amène sa contribution. »

À travers les actions menées par ZupdeCo – aide aux devoirs, création d’écoles web pour les personnes qui n’ont pas de qualification, travail sur l’insertion des femmes -, « FAB » répond à la préoccupation d’individus en situation d’injustice, qu’ils soient issus d’un milieu social défavorisé, en situation d’échec scolaire, soumis à un plafond de verre ne leur permettant pas d’accéder aux grandes écoles ou en situation de chômage à 45-50 ans…

« L’entrepreneur social répond toujours à une problématique mais cette fois propre à l’individu et sans lien marchand », glisse François-Afif Benthanane.

La Web@cadémie : une formation gratuite pour les jeunes déscolarisés

 
François-Afif Benthanane a le déclic en 2010 lorsqu’un ami lui explique que son fils souhaite faire de l’informatique mais qu’aucune école ne l’accepte car il n’a pas son bac. L’entrepreneur trouve alors dommage qu’un « gamin passionné par l’informatique ne puisse pas en faire son métier au simple motif qu’il ne soit pas bachelier ».

Selon lui, l’échec au bac n’est pas lié à un niveau en maths ou en français mais à une multitude de facteurs (familiaux, environnementaux…). « Je trouvais incohérent que des bac +5 fassent du développement web alors qu’il suffisait d’un bac +2. Ces profils bac +5 étant beaucoup trop chers sur le marché, les entreprises sous-traitaient la prestation dans les pays de l’Est, au Maghreb, en Afrique ou en Inde afin d’avoir des développeurs à un prix compétitif alors qu’il suffirait de former ces jeunes qui n’ont pas leur bac et qui sont passionnés. »

Sûr de son fait, François-Afif Benthanane ne renonce pas malgré des débuts difficiles. Alors qu’à l’époque les ministères et les universités lui ferment la porte au nez, il se rapproche de l’Epitech (école d’informatique privée).

Bien que formation coûte 8 000 euros, l’école accepte d’abaisser le coût à 5000 euros et lui propose même de monter une formation spéciale. François-Afif Benthanane crée alors la Web@cadémie avec Nicolas Sadirac, devenu le patron de l’école 42, et Fabrice Bardèche, vice-président du Groupe Ionis dont l’Epitech fait partie. Les résultats de cette formation dépasseront les attentes de son inspirateur.

« J’ai recruté des centaines de jeunes qui avaient loupé leur bac, qui venaient indifféremment d’un milieu social très défavorisés ou ultra favorisés, des personnes que j’ai trouvées dans la rue, d’autres qui étaient au chômage, raconte l’entrepreneur. Il y de très belles histoires de vie derrière ce projet. »

Le Samsung Campus : un formation pour les non-bacheliers passionnés d’informatique

Le projet se poursuit dans la même philosophie et quatre ans plus tard, le Samsung Campus destiné à des jeunes de 18 à 25 ans sans qualification voir le jour. Ouvert en septembre 2014 à Saint-Ouen, l’évènement donne chaque année à une cinquantaine de jeunes l’opportunité de se former gratuitement aux métiers du numérique.

Pilotée par Sophie Vigier qui en est la directrice, la formation Web & Apps Coding est mise en œuvre par l’association ZUPdeCO et Epitech. Son action porte sur l’égalité des chances en faveur des jeunes en difficulté et assure le recrutement et le suivi des étudiants.

Sur la partie soutien aux devoirs, le schéma était assez similaire : François-Afif Benthanane organisait des tournées dans les quartiers populaires afin d’expliquer que le talent n’a pas de domiciliation. Il se déplaçait en compagnie de diplômés de grandes écoles – ENA, HEC, ESSEC, Polytechnique -, de l’université ou de CAP afin de démontrer que le champ des possibles était ouvert quelque soient ses origines sociales.

« Venir d’un quartier défavorisé ou d’une zone rurale ne rend pas l’accès à ces formations impossibles. »

Mesurer la nuisance de l’échec scolaire

« Les personnes qui payent des impôts doivent également pouvoir aider leurs enfants. » Le raisonnement selon lequel l’aide doit se concentrer uniquement sur les personnes issues des quartiers populaires ne tient pas pour François-Afif Benthanane qui rappelle que tout ceci est rendu possible par l’argent de la collectivité – 100% de l’argent de la collectivité lorsqu’il s’agit de subventions publiques, 50% lorsqu’il est question d’acteurs privés.

« Il n’y a pas de raison que tout soit fait pour les gens les plus démunis et que rien ne soit fait pour les gens qui ont les moyens car les enfants, quel que soit leur univers, rencontrent des difficultés. L’échec scolaire est partout, il ne se borne pas aux quartiers populaires. »

Dans certains univers sociaux, les parents peuvent compenser en aidant leurs enfants lorsqu’ils en ont la capacité mais force est de constater qu’ils décrochent à mesure que les enfants grandissent et avancent dans les études. 49% des parents consacrent moins de 15 minutes par jour aux devoirs de leurs enfants et pour un tiers d’entre eux cela pose une vraie difficulté.

Autre chiffre frappant: 54% des élèves en décrochage scolaire ont des parents qui étaient déjà en échec scolaire. Par ailleurs, la moitié des jeunes de 19 à 25 ans au chômage le sont suite à un échec scolaire. « L’échec scolaire provoque des dégâts énormes dans les familles (chômage, précarité, délinquance) et coûte une fortune à la collectivité. »

La nécessité de s’ouvrir à des acteurs privés

François-Afif Benthanane est favorable à ce que  l’Éducation nationale, comme les autres ministères, s’ouvre à des acteurs de la société civile. « Des centaines d’entreprises travaillent sur le recrutement pour Pôle Emploi et le Ministère du Travail alors que cela relève de leurs prérogatives. Il en est de même dans les secteurs de la santé, du sport, etc. Pourquoi l’Éducation nationale ne ferait-elle pas la même chose ? »

François-Afif Benthanane milite sur ces sujets depuis dix ans et se réjouit que le ministère actuel ait décidé de déployer ce type d’approche en permettant aux enfants de faire leurs devoirs à l’école. « Je comprends quand certains professeurs disent que les enfants doivent produire un travail personnel mais si un enfant n’a pas compris quelque chose durant le cours, il se peut que ces 20% d’incompréhension lui fassent rater son contrôle et, au-delà, l’empêche de comprendre la leçon suivante. »

Laisser les enfants face à leurs incompréhensions conduit au fil des années à des difficultés, les élèves ne possédant pas les fondamentaux et les bases indispensables. « Les deux matières principales étant les mathématiques et le français, les élèves maîtrisant mal les énoncés décrochent petit à petit. C’est ici que nous intervenons avec les personnels de  l’Éducation nationale, en ayant en tête l’intérêt des enfants et uniquement l’intérêt des enfants. »

Education nationale : les mesures d’urgence

L’action prioritaire consiste, selon François-Afif Benthanane, à mettre en place les devoirs à l’école. Si l’Éducation nationale réalise un travail conséquent en conduisant 700 000 élèves jusqu’au bac chaque année, il y a toujours 100 000 « décrocheurs », soit 1% des 12 millions d’élèves.

Si certains estiment qu’un tel total constitue un pourcentage acceptable, « FAB » n’est pas de cet avis. « Nous ne parlons pas de voitures, d’ordinateurs ou de téléphones mais d’êtres humains ! Sur une décennie, cela fait 1 million d’élèves en échec, et sur deux, trois ou quatre décennies, on arrive à 4 ou 5 millions. Avec cette logique, on se retrouve avec ces 2,5 millions de personnes illettrées, sous le seuil de pauvreté, au chômage… C’est bien eux qui forment la masse des 6 millions de chômeurs et c’est sans parler des personnes qui ne sont pas inscrites à Pôle Emploi. »

Pour construire son raisonnement, François-Afif Benthanane est parti d’un constat factuel : un étudiant qui intègre une université ou une grande école a profité de la collectivité et du système éducatif pendant une grosse quinzaine d’années. Il propose donc que l’Éducation nationale et l’enseignement supérieur imposent aux 700 000 étudiants qui se lancent dans des études post-bac de consacrer deux heures hebdomadaires, soit 40 heures dans l’année, pour agir sur une cause collective de leur choix (éducation, pauvreté…).

« De façon assez simple, vous solutionnez le problème, ajoute l’entrepreneur. Je vous garantis qu’en 10 ans, on peut transformer la France. À partir du moment où quelqu’un prendra conscience que l’échec scolaire coûte plus de 26 milliards par an à la collectivité, je pense que la décision sera prise. »

ZUPdeCO ne se situe pas dans une logique consistant à trouver des fonds pour financer des personnes démarchant les universités à la recherche de tuteurs bénévoles : l’argent est désormais consacré aux actions menées. Malgré des résultats probants et une action peu onéreuse, la classe politique n’a pas encore pris la pleine mesure de l’utilité du dispositif porté par François-Afif Benthanane.

« Plutôt que de penser qu’ils savent tout et qu’ils sont capables de tout gérer, qu’ils confient une partie de l’action terrain à des entrepreneurs pragmatiques, préconise-t-il. Leur rôle est de gérer la masse et de fluidifier le système. Le dispositif « Devoirs Faits » qui s’inspire de notre action est un premier pas en ce sens mais il faut aller plus loin. »

Imaginer et vivre la société de demain

Les évolutions introduites par le numérique ont un influence positive, notamment en matière de services à la personne. Cette logique de disruption et de rapprochement avec le consommateur final est porteuse de solutions. De nombreux métiers étant amenés à se transformer, cela suppose l’élévation du niveau éducatif global.

« On ne peut imaginer laisser un pan de la population dans des métiers d’exécution au sein des usines. Ces personnes doivent également disposer d’une formation leur permettant de s’adapter à ce nouveau monde. » Fort d’un optimisme naturel, François-Afif Benthanane souhaite s’engager sur le sujet afin de faire bouger les lignes.

« Il est important d’avoir des personnes déterminées, qui se battent pour faire en sorte de prendre des décisions que beaucoup ne prendraient pas. Certains sont des leaders, animés par la volonté d’entreprendre et de prendre des risques, d’autres sont plus des suiveurs qui partent du principe que le leader n’existe pas sans un suiveur. Si on prend l’exemple du football, sans les autres joueurs de l’équipe, Zidane n’aurait pu exister. Aujourd’hui, sans les 35 personnes, les 2 000 tuteurs bénévoles et les 200 jeunes en service civique qui travaillent avec passion pour ZUPdeCO, nous n’en serions pas là. »

Pour l’entrepreneur social, le monde à venir doit être celui de la relation interpersonnelle, de la bienveillance et de la psychologie. Avec un credo : l’esprit d’entraide. « L’éboueur est aussi important que le cadre dirigeant. Pour ceux qui ont un doute : imaginez une seconde que les éboueurs fassent une grève pendant 3 semaines… » Intégrer le fait que chacun a un rôle à jouer dans son entreprise, dans sa commune et dans la société, tel est au fond le message porté par François-Afif Benthanane.


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