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Tout électrique et numérique, télétravail, exode urbain : les entreprises ont intérêt à coller aux nouveaux usages

Quand on y pense bien, quand on regarde objectivement les chiffres, il est très rare qu’une grande entreprise cotée fasse faillite. C’est même rarissime. Ces grandes entreprises sont généralement rachetées, ou renflouées parce que « trop grosses pour faire faillite ».

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Quand on y pense bien, quand on regarde objectivement les chiffres, il est très rare qu’une grande entreprise cotée fasse faillite. C’est même rarissime. Ces grandes entreprises sont généralement rachetées, ou renflouées parce que « trop grosses pour faire faillite ».

La dernière grande faillite d’entreprise cotée remonte à la chute de la grande banque américaine la Lehmann Brothers en 2008, et encore, c’est parce qu’il avait été décidé, à l’époque, par les autorités américaines de ne pas soutenir la banque et de la laisser « tomber ». En France, le Crédit Lyonnais a été sauvé des eaux, de même que l’ancienne Compagnie Générale des Eaux devenue Vivendi à l’époque de Jean-Marie Messier.

On sauvera également Renault et PSA en renflouant le secteur automobile pour éviter sa chute en 2009. Vous pouvez chercher, les exemples de faillites retentissantes chez les très grands groupes sont rares. Très rares. Pourquoi ? Parce qu’ils ont atteint une taille où ils ne risquent plus grand-chose. Les crises, même violentes, finissent toujours par passer et ces grandes entreprises peuvent encaisser quelques années de pertes en étant toujours financées par les banques elles-mêmes approvisionnées en liquidités par les banques centrales.

Les crises déstabilisent les grandes entreprises, peuvent leur coûter plus ou moins cher, mais si elles plient, elles ne rompent pas. Les crises tant redoutées par les épargnants et les boursicoteurs ne sont, en réalité, pas un problème insurmontable pour les sociétés cotées, ce qui, plaide en termes analytiques sans conteste pour le placement boursier. Mais, il y a un grand « MAIS ».

Le changement d’usage

Le vrai risque pour les entreprises et leur pérennité, le risque « vital » c’est le changement d’usage. Souvenez-vous, pour illustrer cette idée, de Kodak ou de Fujifilm. Je me souviens, au début des années 80, gamin, ma cours de récréation d’école primaire qui était survolée par un immense dirigeable blanc sur lequel se détachait le logo vert de Fujifilm. Nous avions également Konica ! Qu’est-il arrivé à ces très grandes entreprises, mondiales ? Elles ont disparu, emportée par le changement d’usage et l’arrivée de l’appareil photo numérique fonctionnant sans pellicule là où le métier même de ces entreprises était de vendre de la pellicule, du développement et du « papier mpossible adaptation, elles sont mortes.

Balayées. Je parle des activités photos, les conglomérats nippons ayant généralement plusieurs très grandes branches. C’est la même chose dans la téléphonie mobile. La star des téléphones portables du début des années 2000 était Nokia. Balayée rapidement par l’arrivée de BlackBerry, elle-même totalement dépassée par l’arrivée du premier I-Phone, précurseur des premiers « smartphones » que nous utilisons aujourd’hui. Les gens ne voulaient plus juste un téléphone qui téléphone, ils voulaient un téléphone qui faisait tout ou presque, de l’appareil photo aux e-mails en passant par Internet ou l’utilisation comme GPS. Tous les produits ont fusionné dans les Smartphones dont le moindre modèle d’entrée de gamme propose un agenda, là où les plus anciens comme moi se souviennent encore de ces appareils équipés d’un stylet et servant d’agenda électronique et appelés PDA.

Balayés par les changements d’usage. Balayée aussi par l’évolution de la société ma petite épicerie du coin qui s’appelait Felix Potin et qui consignait les bouteilles de vin de table, elle aussi balayée par les lois Evin le mal-nommé pour l’avenir des bouteilles de rouge du midi ! Changement d’usage encore. Pour le vin une campagne de santé public et des interdictions de consommation. Pour Felix Potin l’émergence de la grande distribution qui a laminé tous les petits commerces.

Mais pourquoi la grande distribution a-t-elle pu émerger ?

Grâce à la voiture puisque les grands hypermarchés sont installés en périphérie, qu’il faut bien s’y rendre, et que l’intérêt c’était les petits prix et les quantités. Il fallait y « remplir » son coffre, pas juste un « cabas » ! Changement d’usage. Ce sont les changements d’usages qui changent la société et menacent plus ou moins même les grandes entreprises qui ne savent pas toujours voir arriver les évolutions qui deviennent parfois de véritables révolutions. Internet en a été une. Une énorme. à court terme, vous avez deux changements d’usage majeurs qui sont à l’œuvre et vont considérablement influer sur les tendances des prochaines années et qui sont déjà l’œuvre.

La fin de la voiture !

Ce n’est pas qu’il n’y aura plus de voiture, c’est qu’il y en a déjà nettement moins et qu’il y en aura nettement moins dans les années qui viennent. La fin des moteurs thermiques et leur interdiction à horizon 2035 par la Commission Européenne va profondément refaire changer notre société. Nous vivons comme nous vivons actuellement parce que tous les ménages ou presque disposent d’une ou deux voitures. L’urbanisme de banlieue, les supermarchés de périphérie, les grandes zones commerciales où se regroupent toutes ces grandes enseignes, l’étalement urbain, les voyages et déplacement en « Airbnb » le temps d’un week-end à la campagne, tout ceci n’est possible que grâce à la voiture.

Sans la voiture, c’est la fin des supermarchés et la résurrection des Félix Potin. Si nous étendons un peu la réflexion également à l’avion nous pouvons anticiper, en l’absence d’avion « propre » pour le moment, une réduction massive du tourisme de masse, car la fin de la voiture et des moteurs thermiques, c’est avant tout un choix environnemental. Il ne s’agit pas ici de discuter du bien fondé de ce choix. Le tout électrique est illusoire à périmètre constant. Je m’explique. Nous ne remplacerons pas chaque voiture thermique actuelle par une voiture électrique.

Il y a une question de prix, il y a une question de ressources et de matières premières nécessaires et nous en manquons cruellement au niveau mondial, il y a une question de gestion des batteries, il y a une question d’autonomie et de logistique pour le rechargement simultané de 3000 véhicules sur une aire au mois d’août de l’A6 avec 10 bornes de charges rapides, il y a enfin un problème de production d’électricité, car il faudrait doubler le parc de centrales nucléaires en France pour recharger nos voitures. Quant aux avions électriques, difficile de faire voler des batteries au plomb, nous attendrons donc les avions à hydrogène ou autre énergie plus ou moins décarbonée.

Cela finira par arriver, mais les volumétries de quantités transportées seront sans doute très différentes et bien plus faibles. Un monde sans moteur thermique sera un mode radicalement différent où vous fonctionnerez beaucoup plus en circuits courts puisque vous ne pourrez plus aller loin ! Votre rayon d’action devient celui de votre trottinette électrique, et celui que vous autorise les transports en commun dont vous disposez à proximité. Les impacts sur le marché immobilier seront considérables avec la hausse des biens situés à proximité des commodités et d’une gare, et la baisse substantielle des autres par exemple. Les grandes foncières de centres commerciaux risquent de souffrir par exemple.

Si vous prenez l’exemple parisien, où la voiture est combattue sans relâche depuis plus de 10 ans, nous voyons bien qu’elle a déjà presque perdu la bataille. Toutes les grandes agglomérations emboitent actuellement le pas à la Capitale, et les ZFE, les zones à faibles émissions, qui vont concerner plus de 40 grandes villes françaises arrivent pour 2024. Demain donc ! La vie en ville change donc radicalement et les effets de « seuils » sont atteints.

L’exode urbain

Cela nous amène au second changement d’usage majeur et il concerne justement l’usage que nous avons de la ville. Historiquement, Paris et sa banlieue ne dépasse pas le million d’habitants de l’époque de Lutèce en 1840. Et 1840 ce n’est pas rien comme date, c’est bien évidemment le début d’un changement majeur à l’époque, qui est celui de la révolution industrielle. Les machines à vapeur sont là, des usines se créent partout et il faut de la main-d’œuvre et des ouvriers pour les faire tourner. Ce sera le début de l’exode rural, les populations vont migrer progressivement des campagnes vers les villes et passer d’emplois agricoles vers des emplois industriels.

Ce phénomène sur deux siècles va provoquer le développement de villes tentaculaires et monumentales. Ces villes ont d’ailleurs besoin désormais d’une débauche d’énergie et de transport pour pouvoir les alimenter dans tous les sens du terme, de la nourriture aux besoins de chauffage. On voit bien sur ce graphique l’évolution de l’Ile de France au sens large avec plus de 12 millions d’habitants. Or cette densité pose de nombreux problèmes. Tensions, délinquance, mais aussi stress, manque d’espace, prix prohibitif du logement et des salaires qui n’y sont pas forcément plus élevés qu’ailleurs ce qui est notamment le cas des « petits » salaires et des gens payés au SMIC le salaire minimum étant le même à Paris qu’en Province.

Mais ce ne sont pas les seuls éléments. La ville qui s’est agrandie avec les usines et la révolution industrielle a vu passer la robotique, l’automatisation des usines, et surtout les délocalisations et la mondialisation. Fermées les usines Renault à Billancourt. Si l’expression « il ne faut pas désespérer Billancourt » est restée, les usines, elles, sont fermées depuis bien longtemps. La ville doit son existence aux usines. Sans usine la ville n’a plus la même raison d’être. Ce phénomène de perte d’attractivité des grandes villes est renforcé évidemment par le développement d’une autre tendance lourde qui est celle du télétravail.

Rajoutez à cela les confinements, la pandémie, les prix du logement, la dégradation de la qualité de vie, les transports en commun quasi obligatoire sans l’usage de la voiture ce qui rend difficile la vie des familles ou des seniors qui se déplacent difficilement en trottinette électrique et vous avez tous les ingrédients réunis pour voir s’installer durablement un « exode urbain ». Ce mouvement est d’ ailleurs à l’ œuvre et nombreux sont ceux qui arbitrent entre emploi, localisation.

La ville perdant de son attractivité, les sièges sociaux se vidant de leurs salariés (en partie du moins) on se retrouve déjà avec des restaurants qui perdent un pourcentage non négligeable de leur chiffre d’affaires parce qu’ils ont moins de clientèle de « bureau », des prix de l’immobilier qui se réajustent, et pour le moment ce sont les petites villes qui tirent leur épingle du jeu.

La civilisation des loisirs

Si vous conjuguez la fin de la voiture thermique (au sens large des moteurs avions inclus) et la perte d’attractivité des grandes villes (pour une partie de la population), vous obtenez deux changements d’usage majeurs dont il faut se méfier car ils sont évidemment de nature à provoquer des bouleversements notamment au niveau de la pérennité de certaines entreprises dont les modèles économiques seront largement remis en cause. Ce n’est sans doute pas le moment d’investir dans des parkings, dans des foncières de centres commerciaux cotées ou des SCPI d’immeuble de bureaux, pas plus que dans des parkings sans voiture, dans des chaînes hôtelières basées sur le tourisme de masse, ou encore dans un centre de réparation automobile.

Les entreprises résistent aux crises mais peuvent mourir lorsqu’il y a des changements d’usage, lorsque les sociétés changent brutalement. C’est cela qu’il faut surveiller, et nous avons deux tendances très fortes et très brutales sous les yeux.

Charles Sannat, économiste Insolentiae


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