Seule marque européenne, Thomson Computing veut jouer dans la cour des grands en contestant la domination des géants américains ou chinois. A 51 ans, son PDG, Stéphan Français, poursuit sa marche en avant.
Rien ne semble pouvoir vous arrêter. Malgré la pandémie, vous réussissez à garder le cap et à booster vos ventes…
Stéphan Français : La pandémie nous a contraints à suspendre complètement notre production durant quelques mois, une situation pour le moins inextricable car nous n’avions alors plus de PC à vendre. Malgré ce début d’année complexe, nous avons connu un deuxième et un troisième trimestre très largement positifs par rapport à l’année dernière, avec un doublement de notre chiffre d’affaires.
Nous ambitionnons d’atteindre un CA de 70 M€ cette année contre 50 M€ sur l’exercice précédent. Nous avons su créer une opportunité et tirer notre épingle du jeu dans cette situation désastreuse qui a malmené nombre de nos concurrents.
Quelle stratégie avez-vous adopté pour relancer la production ?
Nous avons positionné des commandes de composants sur des lots plus petits de processeurs de cartes mères qui nous ont permis de palier au déficit mondial des grosses productions. Nous avons fabriqué nos PC avec des produits de grande qualité sans être contraints aux mêmes niveaux de production que nos concurrents.
Comment avez-vous fait de votre « petite » taille un atout majeur ?
Alors que le marché mondial sera de plus 160 milliards d’euros cette année, nous réalisons 70 M€ de chiffre d’ affaires. Ayant moins de volumes à vendre, nous avons donc naturellement une flexibilité et une agilité plus importantes nous permettant de trouver des solutions. Nous sommes restés fidèles à notre modèle qui consiste à sourcer les composants pour fabriquer nos machines et faire évoluer notre catalogue produits tout en conservant nos bestsellers, ce que les grandes marques ne font pas.
Les ténors du secteur ont des catalogues figés sur trois ou quatre années, voire cinq, alors que nos catalogues et nos gammes produits évoluent tous les trois et six mois. Nous n’ avons pas les mêmes volumes que les autres acteurs leaders à livrer. Nous avons donc une facilité à identifier des solutions et à trouver des volumes de production suffisants pour réaliser notre chiffre d’affaires.
Malgré une situation complexe, Thomson honore ses commandes et continue de livrer partout dans le monde. Quel est votre secret ?
La guerre que Trump livre aux Chinois n’est pas sans conséquence sur le marché de l’ informatique américain et sur les marques américaines. La plus grosse usine du leader américain, HP, a fermé ses portes en Chine, entrainant une baisse importante de la capacité de l’entreprise à assurer ses livraisons à travers le monde. Toutes les grandes marques se heurtent à d’importants problèmes de livraisons, alors que Thomson a été jugé fidèle à son esprit de respect des livraisons par ses partenaires de distribution.
Nous avons tenu nos livraisons malgré un Covid qui a très largement complexifié les choses et nous a conduit à décaler des livraisons du premier trimestre sur le second trimestre. Nous nous réjouissons d’avoir réussi à honorer l’ensemble des commandes de nos clients sans être contraints d’en annuler.
Morale de l’histoire : le petit Poucet réussit là où les mastodontes défaillent ?
Nous avons démontré notre résilience et notre détermination en cette période de crise. Nous réussissons à livrer là où les grandes marques mondiales défaillent et ne parviennent pas à honorer leurs engagements. HP affiche une baisse substantielle de ses livraisons, ainsi que qu’Acer et Lenovo (une entreprise chinoise, Ndlr) et que les annulations de commande sont légions. Nous continuons à nous battre avec des armes désormais de plus en plus égales et une situation plus équilibrée car notre dextérité et notre agilité nous ont permis de mieux supporter cette crise que les géants de l’informatique fortement ébranlés par cette crise de la production.
La crise vous a-t-elle obligé à revoir l’implantation de vos marchés et de votre stratégie de développement à travers le monde ?
Nous avions mis un gros focus sur les États-Unis et nous avons continué en ce sens. La crise sanitaire a généré de nombreux problèmes de livraison chez les grandes marques installées, qu’elles soient américaines ou asiatiques, ce qui nous a permis d’ouvrir tous les grands distributeurs que nous visions l’ année dernière.
On a l’impression que le marché américain vous intéresse de plus en plus ?
Nous avions commencé en 2018 avec des enseignes comme QVC (chaîne de télévision spécialisée dans le télé-achat et le commerce en ligne, Ndlr) et BrandsMart (détaillant d’électronique grand public, Ndlr). Le Covid a eu pour effet d’accélérer notre référencement et d’ouvrir de grandes enseignes américaines, telles que Baseby, Worldmart ou encore Amazon.
Nous avons saisi l’opportunité de développer un réseau de distribution américain sur un marché de 350 millions de consommateurs avec le même clavier et une marque française certes, mais avec une résonance anglo-saxonne, et même américaine, puisque Thomson a vu le jour grâce à un ingénieur américain qui travaillait chez Houston Thomson. La marque correspond bien aux Américains.
Comment avez-vous réussi le tour de force de percer ce marché américain ?
Nous avons réussi à atteindre les objectifs ambitieux que nous nous étions assignés aux États-Unis et ce malgré notre taille microscopique au regard du gigantisme des acteurs américains. Nous avons redoublé d’audace et d’ingéniosité pour réussir à multiplier par quatre notre chiffre d’affaires cette année (de 1 à 4 M€). Nous n’entendons pas nous arrêter en si bon chemin et nous pensons être en capacité de multiplier encore par cinq notre chiffre d’affaires aux États-Unis l’année prochaine en atteignant les 20 M€.
Comment évoluent les ventes de Thomson ?
Nous observons une progression des ventes au niveau mondial, avec une croissance de 5 % en France. Cinq mois durant, nous avons constaté un ralentissement lié à la crise sanitaire avant qu’un rattrapage ne s’amorce. Il n’est pas question d’une euphorie générale avec un doublement des ventes de PC, mais la dynamique a repris positivement. Nous avons pu honorer nos commandes et faire de la croissance là où nos concurrents ne seront pas en mesure d’honorer leurs commandes ou avec deux ou trois mois de retard dans les livraisons.
C’est une véritable opportunité pour Thomson au niveau européen et américain que nous entendons saisir dans les semaines et les mois à venir. Nous souhaitons proposer des solutions technologiques innovantes, à l’image de notre gamme de PC Qualcomm que nous avons mis sur le marché il y a un an et demi. Notre partenaire Qualcomm (entreprise américaine leader mondial des puces mobiles, Ndlr) est en train de se lancer avec succès sur le marché de l’informatique à nos côtés et de devenir un concurrent de taille face à Intel (premier fabricant mondial de semi-conducteurs, Ndlr).
Avez-vous été contraint de licencier durant cette période ?
A l’inverse de nombre d’entreprises qui ont licencié, nous avons embauché durant la période du Covid. Nous avons même signé un bâtiment de production en France, à proximité de nos bureau commerciaux en Seine-et-Marne, abritant un centre de production, un centre de réparation et un service R&D et technologique.
Vous êtes désormais leader sur les PC à petits prix. Comment avez-vous pu vous faire un espace face aux géants de l’informatique ?
Grâce à un élan français de solidarité, nous sommes leader sur les ordinateurs à moins de 300 euros depuis trois ans avec à peu près 25 % du marché annuel. Nous sommes donc le petit Français qui bat fièrement et sans complexe les géants de l’informatique sur le créneau de l’entrée de gamme. Avec les dernières innovations technologiques, nous abordons également le « middle price » et le haut de gamme avec nos gammes de produits Thomson Qualcomm connectés qui, grâce à leur puce, permettent d’être connectés partout en France grâce à la 4G et demain grâce à la 5G.
Nous souhaitons être les premiers à sortir des produits 4G-5G sur le marché mondial. C’est un important tournant pour l’ informatique. Nous étions déjà les premiers à avoir sorti une gamme d’ordinateur en processeur ARM puisque Qualcomm et ARM sont en partenariat. Apple a annoncé qu’il sortirait des ordinateurs en ARM en 2021… Je ne peux m’empêcher de sourire en constatant qu’Apple sortira des produits ARM deux ans après Thomson !
Au niveau financier, êtes-vous en recherche d’investisseurs afin de poursuivre votre croissance ?
Nous sommes effectivement en quête d’investisseurs dans la perspective d’une levée de fonds. D’importantes sociétés d’ investissement s’ intéressent à nous. Dans les deux mois à venir, nous aurons vraisemblablement l’engagement d’un groupe financier et/ou industriel à nos côtés.
Votre entreprise, seule marque française et européenne de PC, est-elle soutenue par les pouvoirs publics ?
Nous avons sollicité une aide auprès de la région Ile-de-France afin de nous soutenir dans le cadre de la relocalisation que nous avons opérée depuis le mois de juin en implantant un centre de production en Seine-et-Marne. Valérie Précresse (présidente de la région Île-de-France, ndlr) et son équipe se sont montrés très à l’écoute du projet et ont manifesté un réel enthousiasme. La région Ile-de-France est par ailleurs à l’initiative d’un programme intitulé « Relance industrie ».
L’État vous accompagne-t-il dans votre croissance ? Estimez-vous disposer des mêmes armes que vos concurrents étrangers ?
Nous avons également rencontrée la ministre de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher dans le cadre de ce projet de relocalisation en France, mais il n’y a eu aucune avancée significative jusqu’à présent. La passivité du gouvernement français à notre égard n’est pas de nature à aider une entreprise comme la nôtre. Il existe un véritable souci concernant les aides gouvernementales sur l’exportation au niveau de l’économie française.
La France doit prendre conscience qu’elle doit faire comme les Chinois en subventionnant toute l’exportation française. Cela permettrait d’inverser le déficit économique et le déficit de l’exportation française, de conserver une valeur ajoutée en France et de relancer une économie moribonde. L’État est loin d’avoir envie ou même de songer à ces projets car il n’existe pas de volonté manifeste de croire dans les entreprises françaises qui peuvent réussir à l’étranger. C’est un drame pour notre pays, cela constitue un vrai frein.
Comment lutter face à des Chinois qui, par ailleurs, ont des charges salariales moyennes huit fois inférieures aux nôtres ? Un ouvrier chinois coûte environ 600 dollars, tandis qu’ un ouvrier français aux 35 heures coûte à peu près 2 500 euros chargés. Bien que nous ne nous battions clairement pas à armes égales, nous avons souhaité relocalisé une partie de notre production en France car nous nos collaborateurs français attestent d’une importante valeur ajoutée en matière de R&D et de développement de logiciels.
Il semble cependant difficile de lutter à armes égales lorsque la seule question posée par le ministre consiste à savoir si nous produisions tout en France… Imaginez le ministre américain interroger Apple sur le fait que sa production soit bien assurée à 100 % aux États-Unis. C’est ridicule.
Est-ce à dire que la région est réactive là où l’État peine à se mobiliser ?
La région est effectivement beaucoup plus active et je m’en réjouis. Nos régions ont envie d’aider les entreprises françaises. Nous avons identifié en dehors de la sphère politique nationale des acteurs au niveau régional qui prendraient position pour influencer les politiciens dans le bon sens. Les politiciens mettent en place des politiques sans suffisamment consulter les professionnels de chaque secteur.
Comment Thomson réussit brillamment à tirer son épingle du jeu malgré l’absence d’aide de l’État ?
Aujourd’hui, nous développons le produit Thomson sur quatre continents sans aucune aide de l’État. Cela ne nous favorise guère, d’autant que nous sommes face à six géants qui pèsent 10 milliards, et que chacun, qu’il soit chinois, taïwanais ou américain, est aidé par son gouvernement. Thomson prend des parts de marché et remporte d’ impressionnants succès au regard de sa taille.
Cette réussite est le fruit d’une équipe riche et investie, de l’enthousiasme de l’entreprise et de l’ aide des banques françaises (Crédit Agricole Picardie, Caisse d’Épargne Ile-de-France, BNP, Palatine et LCL, ndlr) qui a favorisé le développement de l’entreprise et nous a porté . A terme, nous souhaitons que l’ensemble des managers soient actionnaires de la société et que l’ensemble des salariés puissent accéder à l’actionnariat.
Propos recueillis par Isabelle Jouanneau
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