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Romy Schneider, Jeff Buckley… Le poids de la malédiction familiale   

Romy Schneider (Photo Horst Ossinger/DPA/ABACAPRESS.COM)

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Par Catherine Muller, psychanalyste, auteur de « Freud en un clin d’oeil » (Éditions First)

Tribune. Le 29 mai 1982, Romy Schneider était retrouvée morte dans son appartement du septième arrondissement de Paris, elle avait quarante-trois ans, et n’aura survécu que quelques mois à la mort de son fils David. Artiste mythique depuis qu’elle avait incarné à l’écran la non moins mythique Sissi, et marquée comme elle du sceau de la tragédie, elle aura, toute sa vie, essayer d’échapper à l’horrible culpabilité qui la rongeait depuis qu’elle avait découvert les accointances suspectes de ses deux parents avec les dignitaires du régime nazi et de la SS.

Et le 29 mai, c’est aussi la date anniversaire de la mort d’un autre très grand artiste, une légende du rock, Jeff  Buckley, disparu, lui, en 1997, à l’âge de trente-et-un an. Considéré comme l’un des plus grands chanteurs de tous les temps par le magazine Rolling Stone, Jeff Buckley avait de qui tenir! Fils de Tim Buckley, musicien aux multiples talents, étoile filante qui avait succombé à une overdose d’héroïne à l’âge de vingt-huit ans. A une année près, il aurait pu faire partie, avec Brian Jones, Jim Morrison ou Amy Winehouse, du très funeste et très fameux « Forever 27 Club », rockers tous morts à vingt-sept ans des conséquences  de leurs excès en tous genres.

Et la coïncidence ne s’arrête pas là ! Il y a quelque chose d’un peu mystérieux dans les circonstances de leur mort, et, pour l’un comme pour l’autre, la question d’une mort accidentelle ou non se pose. Romy tentait désespérément de panser la plaie ouverte jusqu’au plus profond d’elle-même par l’accident atroce qui avait tué son fils,  en consommant alcools et  médicaments en quantités insensées et dangereuses. Quant à Jeff Buckley, sa mort est presque surréaliste et pourrait figurer dans le top 50 des Darwin Awards,  un palmarès qui classe les morts les plus stupides de l’Histoire. Ce 29 mai 1997, Jeff rentre d’un dîner avec un ami lorsqu’ils longent la Wolf River, un affluent du Mississipi aux eaux particulièrement boueuses. Tout d’un coup, Jeff décide de plonger tout habillé, avec ses bottes aux pieds, prenant le risque que ses vêtements,  gonflés d’eau, le fassent couler; sourd aux avertissements de l’ami qui l’accompagne, il se met à nager en chantant, insensible à la menace, pourtant bien réelle.

« La plus jolie petite fille de Berchtesgaden »

 Magda Schneider a dit un jour en confidence que sa fille Romy était considérée comme « la plus jolie petite fille de Berchtesgaden », le Nid d’Aigle d’Hitler, dont elle était voisine et où elle était régulièrement invitée. Romy aurait très bien pu être de ces petites filles blondes en robe blanche, aux tresses enrubannées, qu’Eva Braun filmait aux vacances d’été, et dont Hitler caressait les cheveux. Il était en effet un grand admirateur de Magda, et la relation entre la comédienne et le dictateur fut pour le moins équivoque ! Toute sa vie Romy va porter le passé sulfureux de sa mère comme une « étoile jaune », une marque d’infamie et de honte, et, toute sa vie, elle essayera vainement de l’exorciser, mais il la rattrapera toujours. Jusque dans le choix de son dernier film, La Passante du Sans-Souci, un roman de Joseph Kessel qui met en scène une femme et un enfant juifs, emportés dans l’horreur du nazisme. A l’horreur de la fiction va venir  se surajouter la monstruosité de la vie réelle! Le début du tournage était en effet programmé pour octobre 1981, et c’est David qui devait interpréter  le rôle du jeune garçon. Mais la mort ne le permettra pas…

 « Je n’ai jamais demandé à être ta montagne »

Pas plus que Romy, Jeff ne pourra échapper à la malédiction familiale, et ne vivra guère plus longtemps que son père. A la naissance de son fils, Tim n’a que vingt ans,  et refuse ce rôle dont il ne voulait pas et qu’il ne remplira jamais. Et si Jeff respectait le talent de musicien de son père, il n’avait que réprobation pour l’homme, qui avait disparu de sa vie quasi à sa naissance, et qui ne lui donna jamais aucune nouvelle, « ni coup de fil, ni carte pour son anniversaire ».  « Un si total abandon », c’est avec ces mots que Jeff décrira leur relation.  Le seul « cadeau » qu’il  reçut jamais de son père, c’est une chanson aux paroles explicites, enregistrée en 1967, où il lui dit, « je n’ai jamais voulu être ta montagne, et je me fiche de savoir pourquoi ». Des paroles tristes à mourir, et dont il est peut-être mort…

Sur la route de Thèbes

Et ce qui lie les destinées de ces deux grands artistes, c’est une blessure qui ne se sera jamais cicatrisée, malgré le succès, malgré la reconnaissance du public!  Ce  qui les a vraiment tués, c’est d’avoir reçu en héritage les souffrances et les errances familiales, dont le poids les a écrasés l’un et l’autre. Crimes et culpabilité, c’est ce qui caractérise aussi la plus célèbre des familles de la mythologie, celle des rois de Thèbes et d’Œdipe, poursuivie par la vengeance de Zeus depuis que leur ancêtre l’avait insulté, et dont les drames ont inspirés la poésie antique et la psychanalyse.

Chez les Schneider ou chez les Buckley aussi, tout a commencé par la faute d’un père ou d’une mère, qui a transgressé les lois de la société en fréquentant des criminels ou en abandonnant son propre enfant. Comment se délivrer de ce fardeau? Romy choisira la réparation, en vivant comme si elle était juive, en épousant un metteur en scène juif, en donnant à ses enfants des prénoms bibliques, et même en se faisant enterrer avec une étoile de David autour du cou! Jeff, lui, optera pour le déni en se persuadant et en déclarant haut et fort qu’il ne devait son talent qu’à son beau-père. Ni l’une ni l’autre ne trouveront l’apaisement qu’ils appelaient de leurs vœux, et c’est la mort qui frappera à leur porte…

 Œdipe, lui, ne va pas mourir tout de suite. Il prend le chemin de l’exil, accompagné par le chœur des Thébains, clamant à la cantonade, « regardez cet homme, il avait tout, il n’a plus rien. Ne dites jamais d’un être  qu’il est heureux avant qu’il n’ait tourné sa dernière page ». Heureusement, la proposition inverse est toute aussi vraie,  » ne dites jamais d’un être qu’il est perdu avant qu’il n’ait fait ses derniers pas », et c’est la version qui a ma préférence !

Catherine Muller
Psychanalyste, auteur de « Freud en un clin d’oeil » (Éditions First)


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