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Revue Fiduciaire : Yves de la Villeguérin dirige l’entreprise centenaire comme une start-up

Et cela marche. L’entreprise centenaire spécialisée dans les contenus rédactionnels et les développements serviciels, le groupe familial Revue Fiduciaire s’est imposé comme un éditeur juridique de premier plan dédié aux nouveaux usages des métiers du chiffre et du droit. Président du groupe depuis 1997, Yves de La Villeguérin revient sur cette épopée entrepreneuriale hors norme.

Yves de La Villeguérin, président du groupe Revue Fiduciaire

L’entreprise centenaire spécialisée dans les contenus rédactionnels et les développements serviciels, le groupe familial Revue Fiduciaire s’est imposé comme un éditeur juridique de premier plan dédié aux nouveaux usages des métiers du chiffre et du droit. Président du groupe depuis 1997, Yves de La Villeguérin revient sur cette épopée entrepreneuriale hors norme.

En tant qu’entrepreneur, quelles valeurs portez-vous ?

Yves de La Villeguérin : Je soutiens de multiples projets à titre personnel, mais celui de la marque de produits co-construits en soutien aux producteurs, « C’est qui le Patron ? ! », me tient particulièrement à cœur pour changer le monde. En refusant d’acheter un produit qui ne correspond pas à son éthique, le consommateur est en mesure de faire respecter ses choix et de dire non à des valeurs qui ne lui correspondent pas.

Quelle est votre philosophie de vie ?

La pratique régulière et soutenue d’activités sportives participe à mon équilibre. Je pratique de nombreuses disciplines dont certains sports extrêmes tels que la chute libre, ou la compétition de slalom en ski nautique qui présente beaucoup de similitudes avec le pilotage d’une entreprise : rien n’est jamais acquis, il faut sans cesse s’améliorer et se remettre en cause à chaque passage pour gagner les précieux centimètres qui feront la différence.

D’où tenez-vous votre goût pour l’entrepreneuriat ?

J’ai la passion d’entreprendre chevillée au corps depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été mu par la volonté de créer des entreprises. Entreprendre dans les affaires, dans le sport ou plus largement dans la vie est avant tout une aventure humaine fondée sur une constante remise en cause afin de sans cesse s’améliorer, progresser et innover. Mon épouse, elle-même entrepreneuse, m’apporte son soutien et l’équilibre dont un chef d’entreprise a besoin.

À quand remontent vos premières expériences entrepreneuriales ?

J’ai lancé ma première affaire à l’âge 14 ans en vendant des balles de golf que je ramassais. J’ai ensuite multiplié les petits business afin d’avoir de l’argent de poche. Je n’ai cessé d’avoir de nouvelles idées. Un peu après mes 18 ans, j’ai créé ma première vraie entreprise spécialisée dans le rachat et la revente de stocks de matériel de sport. L’aventure ne faisait que commencer et mon parcours fut aussi dense qu’hétéroclite. J’ai touché à de nombreux domaines dont l’import-export, la publicité et l’immobilier, j’ai même été photographe après mon service militaire pendant 2 ans.

Quelle est votre conception de l’entreprise ?

Mes entreprises sont comme mes enfants, j’y consacre beaucoup de temps et je m’y implique pleinement en essayant de les faire gagner en autonomie. J’aime fédérer les équipes autour de projets dont elles sont fières en les embarquant dans une spirale ascendante. Je suis heureux et je pense que cela transparait à travers ce que je fais. J’aime prendre soin des personnes avec qui je travaille, je me soucie de leur santé, de leur bien-être et de leurs réalisations.

« Il n’y a rien de plus frustrant que de perdre son temps à lire un contenu qui ne nous concerne pas. Réussir à pousser uniquement l’information dont l’utilisateur a besoin est un défi, surtout en matière juridique. »

Quelle est votre stratégie entrepreneuriale ?

Des produits de qualité qui reposent sur des équipes ultra compétentes et stables. Chaque collaborateur doit être en adéquation avec le poste qu’il occupe et s’épanouir dans son travail.

La richesse de votre parcours tient-elle à votre personnalité ?

J’ai suivi un double cursus de droit-économie à l’Université de Nanterre et enchainé des études de commerce international au CNAM en parallèle de mon activité professionnelle. Je suis un « self-made-man » animé par une intarissable soif d’apprendre. J’aime tout maitriser et je supporte difficilement que quelque chose m’échappe. Pour l’anecdote, j’ai complètement refait ma maison de campagne. Maîtriser tous corps de métier est très utile dans la vie !

Pourquoi avoir fait le choix d’une grosse structure comme Sanofi et y être resté
dix ans ?

Je suis rentré chez Sanofi en 1984 car je souhaitais voir comment cela se passait dans les grandes entreprises. J’ai commencé par photocopier les appels d’offres avant de devenir deviseur. En 1985, je prenais le poste de directeur commercial adjoint d’une filiale d’Elf, SFEH, (Société française d’équipement hospitalier), qui vendait des hôpitaux clé en main. Au départ, je n’aurais jamais imaginé que j’y resterais 10 ans. J’avais une rémunération très confortable, mais je souffrais d’un important manque de liberté et d’un climat très politique. J’avais conscience que si je ne prenais pas la décision de partir, j’y ferais toute ma carrière et cela ne correspondait pas à mon projet de vie. Conserver ma liberté a toujours été une priorité, l’aspect financier ne passant qu’au second plan.

En quittant Elf, je me suis remis devant une page blanche afin de créer quelque chose de nouveau. J’ai voyagé en Asie, puis j’ai fait du commerce international à mon propre compte avant de créer une société de marchand de biens. J’ai renoncé à cette activité car je ne m’épanouissais pas à gérer les corps de métiers, les travaux…

Votre trajectoire est celle d’un entrepreneur touche-à-tout…

J’ai eu une très belle opportunité avec ma société de commerce international, et en 1990, je suis devenu un acteur français majeur du pin’s et le deuxième importateur en volume avec plus de 20 millions de pièces par an. Deux ans et demi après, j’ai décidé de me diversifier en rachetant une maroquinerie spécialisée dans les objets sur mesure pour les entreprises. Je faisais fabriquer mes produits dans notre atelier à Houilles ainsi qu’en Asie et j’avais déposé des brevets pour protéger nos innovations. Je me suis rapidement rendu compte que pour gagner de l’argent dans ce métier, nous devions en modifier complètement le fonctionnement. J’ai alors décidé d’informatiser toute la partie découpe et optimisation pour ne pas perdre de cuir.

Suite à un article paru dans la presse, j’ai été contacté par la RATP qui rencontrait un problème de gestion des maintenances des rames de métro, sachant qu’une rame de métro est constituée d’un assemblage de pièces. Interloquée en apprenant que j’étais l’auteur de ce développement, la RATP s’était intéressée au système informatique que j’avais développé dans la maroquinerie pour assembler de nombreux accessoires. Je les ai accompagnés et conseillés dans le développement de leur solution. Cela m’a donné l’idée de créer une société de développement informatique (LTO). J’ai conquis de nombreux clients en me spécialisant dans la gestion des bases de données et les flux rédactionnels dont le groupe de presse dirigé par mon père qui en était encore à la gomme et au crayon…

« Innover comporte le risque d’être parfois trop en avance sur son temps, mais lorsque cela fonctionne, c’est très porteur. »

Comment en êtes-vous venu à reprendre les rênes du Groupe familial Revue fiduciaire ?

J’avais pour projet de racheter une société de périphériques informatiques spécialisée dans les votes automatisés, mais au même moment, alors que mon père avait pris sa retraite, les trois frères actionnaires m’ont demandé de reprendre la direction du groupe, afin de remplacer le dirigeant en place qui partait quelques mois après avoir pris ses fonctions. J’ai donc renoncé à cette opération pour reprendre la direction du groupe familial.

Quels projets innovants avez-vous conduit ?

La gestion automatisée des flux rédactionnels nous a permis de créer « GRF », une application papier connectée permettant de suivre les dernières mises à jour en visant un ouvrage grâce à un smartphone. Nous avons encore beaucoup d’utilisateurs qui plébiscitent le papier car il est plus confortable de travailler sur une version imprimée du Code du travail, mais au moment où l’ouvrage sort, 10% du code a déjà été modifié. « GRF+ » permet donc de suivre ces modifications en temps réel, l’application permettant de visualiser les mises à jour grâce à un code couleur. Nous avons développé de nombreuses autres technologies dont l’application RF MyActu, un service numérique de veille personnalisée inédit sur le marché permettant aux professionnels du chiffre et du droit d’être rapidement informés des actualités juridiques et financières.

Le service répond à deux préoccupations majeures : être informé avant les autres et choisir ce qu’on lit. Il est particulièrement adapté à l’univers de l’entreprise, pluridisciplinaire par nature, mais personnalisable en fonction du métier exercé. En moins de 18 mois, le produit a convaincu plus de 14 000 utilisateurs. L’ensemble de ces solutions reposent sur des brevets mondiaux que je commercialise actuellement pour d’autres éditeurs outre-Atlantique. Depuis presque deux ans, nous avons transformé tous nos ouvrages en y intégrant des infographies qui sont un véritable outil pédagogique d’accompagnement. Nous disposons aujourd’hui d’une base d’infographies très conséquente et leur utilisation est très appréciée de nos clients.

Alors que le groupe subissait des pertes lorsque vous l’avez repris, le résultat de l’entreprise est en constante progression depuis plus de 22 ans et le groupe affiche une très belle rentabilité. Comment expliquez-vous cette réussite ?

Selon moi, notre réussite est imputable à trois facteurs : la qualité de nos équipes, l’innovation et une remise en question permanente. Nous avons beaucoup innové, mais il est arrivé que nous ne soyons pas dans le bon tempo. Nous nous sommes positionnés trop tôt sur des solutions automatisées de gestion des documents pour les experts comptables et nous n’avons pas trouvé le marché. Nous avons également proposé trop tôt un système automatisé de comptabilité ou nous réussissions à gérer 90% de la compatibilité en automatique avec un système de reconnaissance.

Innover est-il risqué ?

Innover comporte le risque d’être parfois trop en avance sur son temps, mais lorsque cela fonctionne, c’est très porteur. Il ne faut pas être trop en avance car même le meilleur projet au monde ne peut aboutir s’il ne trouve pas son marché et si le client n’est pas prêt. Le « time to market » est essentiel. Cependant, renoncer à innover paralyse l’entreprise dans un immobilisme stérile. Innover crée une dynamique vertueuse qui fait avancer et progresser l’entreprise et les hommes qui la composent. Il faut également partir du principe que jamais rien n’est acquis. Il faut arbitrer entre la nécessaire stabilité et la constante remise en question. Le système du «on a toujours fait comme ça», bien que confortable et très arrangeant pour certains, sclérose très rapidement l’entreprise.

Vous n’êtes pas un adepte des opérations de croissance externe…

En effet, nous n’avons pas effectué beaucoup d’acquisitions. Nous avons surtout privilégié la croissance organique. Intégrer des hommes est souvent compliqué, l’état d’esprit, la culture et le fonctionnement de l’entreprise sont parfois très différents et l’alchimie parfois complexe. Pour autant, l’intégration du groupe Courrier Cadres (Courrier Cadres Magazine, Rebondir, L’Officiel de la Franchise, Vente Directe Magazine, Le Nouvel Entrepreneur), racheté à l’automne 2015, s’est bien passée. Nous avons permis à ce groupe, qui perdait beaucoup d’argent, de devenir rentable.

Comment avez-vous fait évoluer votre groupe ?

Je ne suis pas homme à m’accommoder d’une situation « plan plan » (sic), la routine ne correspond ni à mon tempérament ni à mes ambitions. J’ai donc fait évoluer le groupe tout en sécurisant ses actifs et en le structurant autour de trois pôles : Finance (20% du CA), Immobilier (20 % du du CA) et Activité (60% du CA). Sur la partie finance, nous soutenons le financement d’entreprises (environ 70 à ce jour) dans de multiples secteurs d’activités (services, télécoms, infrastructures…) à travers du private equity conseillé par Aymeric Plassard, spécialiste du secteur.

Nous apprécions particulièrement cette typologie d’investissement car elle participe à la dynamisation du tissu industriel français en soutenant des entreprises éloignées des marchés cotés en misant sur le projet d’entreprise et le dirigeant qui l’incarne. Par ailleurs les performances non négligeables de ces investissements nous apportent des moyens supplémentaires pour soutenir d’autres projets à la rentabilité moins immédiate et qui nous tiennent à cœur.

Sur la partie Activités, Capelain est notre fonds d’accélération qui accompagne des entrepreneurs talentueux pour passer du « start » au « up ». Les sociétés auxquelles nous nous intéressons ont généralement des connexions avec ce que l’on fait. Nous utilisons un écosystème d’entreprises et nous nous appuyons sur des technologies multiples. J’ai très vite compris que gérer l’innovation en interne est très compliqué et que nous devions mobiliser des compétences externes. Solliciter l’intervention de prestataires extérieurs n’est pas idéal car la convergence des intérêts n’est pas toujours évidente. Toutes les sociétés dans lesquelles nous investissons bénéficient de notre soutien logistique sur les aspects marketing, commerciaux, juridiques, financiers.

Nous organisons des réunions trimestrielles et les entreprises échangent entre elles afin de s’apporter des compétences et parfois du business. Il existe une vraie animation et nous les soutenons dans leur développement en leur apportant notamment des compétences dont une entreprise de petite taille ne dispose pas forcément. Nous avons donc privilégié un autre modèle vertueux afin de veiller à un alignement de nos intérêts avec ceux des entreprises que nous accompagnons dans leur développement. D’un côté, nous leur servons de use case (cas d’usage) vis-à-vis de leurs clients ; de l’autre, ces entreprises nous permettent de progresser dans nos nouveaux métiers.

Comment décrire le Groupe Fiduciaire ?

Le Groupe Fiduciaire a toujours été précurseur dans les métiers du chiffre et du droit en apportant aussi bien des services que des produits innovants dans ses six domaines d’expertise (fiscal, social, paye, vie des affaires, comptabilité et patrimoine). Le groupe édite des ouvrages et des revues hebdomadaires et mensuelles (70 titres et 5 collections), des modèles de documents, des dépêches… Cette énorme machine, fortement impactée par toutes les questions réglementaires et des mises à jour quasi permanentes, requiert une logistique à la hauteur des volumétries gérées et une forte adaptabilité pour répondre aux défis des nouveaux usages des métiers du chiffre et du droit.

Quels défis devez-vous relever vis-à-vis de vos utilisateurs ?

J’ai souhaité que nous les accompagnions tout au long de leur parcours en les suivant dans leur évolution personnelle et professionnelle. L’idée était d’assurer une continuité depuis leurs études jusqu’aux changements de métier de nos utilisateurs en entretenant un lien permanent avec eux. Ce lien se matérialise sous différentes formes : accompagnement en formation présentielle ou distancielle à travers des capsules d’e-learning, création de clubs (ex : le Club de la paye) par région permettant aux professionnels de se réunir et d’échanger, mise à disposition de documentations et d’outils… Nos utilisateurs ne sont pas simplement abonnés à une revue, ils accèdent à un ensemble de produits, de services et d’outils applicatifs dédiés à leurs métiers.

Ces services additionnels doivent évoluer à mesure du temps et bénéficier de l’apport des nouvelles technologies sous peine d’être rapidement dépassés et obsolètes. La formation distancielle évolue rapidement et doit s’appuyer sur les dernières technologies pour permettre la mise en place de QCM en ligne, de modules d’évaluations, etc. A terme, l’idéal est de proposer une offre sur mesure à l’abonné-utilisateur en fonction de la taille de son entreprise et de son activité. Il n’y a rien de plus frustrant que de perdre son temps à lire un contenu qui ne nous concerne pas. Réussir à pousser uniquement l’information dont l’utilisateur a besoin est un défi, surtout en matière juridique. Nous y travaillons activement en faisant de plus en plus appel à l’intelligence artificielle.

Quels sont vos nouveaux projets à l’horizon de 2022 ?

Nous déploierons le projet « Alter ego » entre 2022 et 2024. Ce projet concerne la mise en place d’outils et de prestations intellectuelles à forte valeur ajoutée spécifiques en fonction du secteur d’activité du client pour l’accompagner dans son métier. Nous prévoyons également le développement d’un outil de CRM intuitu personae permettant de suivre et d’accompagner les clients tout au long de leur parcours professionnel. Nous lancerons également des formations certifiantes en 2022, ainsi que des formations de reconversion professionnelle.

Nous devons simultanément garder les pieds sur terre, tout en nous projetant très loin à travers notre écosystème de start-up qui nous sert de laboratoire pour imager et préparer l’avenir. Enfin, nous regardons plusieurs projets d’acquisitions, dont un, très important, que nous espérons boucler cette année.

Propos recueillis par Isabelle Jouanneau


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