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Quel type de manager voulez-vous être ?

Parce qu’il a l’intime conviction que la finalité d’une entreprise n’est pas de faire des profits et que l’humain est au cœur de la performance entrepreneuriale, Hubert Joly invite tous les dirigeants à exercer leur leadership autrement « en libérant la magie humaine ».

Entreprendre - Quel type de manager voulez-vous être ?

Parce qu’il a l’intime conviction que la finalité d’une entreprise n’est pas de faire des profits et que l’humain est au cœur de la performance entrepreneuriale, Hubert Joly invite tous les dirigeants à exercer leur leadership autrement « en libérant la magie humaine ».

Pourquoi avoir tenu à transmettre une autre vision de l’entreprise et du leadership que vous avez-vous-même incarnée à la tête de grands groupes ?

Hubert Joly : J’ai souhaité démontrer que l’humain est au cœur de la performance des entreprises, en remarquant que tout ce que j’avais appris à l’école et dans les premières années de ma carrière était soit faux, soit incomplet, soit dépassé. Le modèle dominant des trente à cinquante dernières années, c’était Milton Friedman – la primauté du profit – mais aussi le management du haut vers le bas. Moi qui suis pourtant un éternel optimiste, pendant la crise j’ai été obligé de dire à voix haute : « le monde dans lequel on est ne marche pas ».

Nous vivons une crise sanitaire, économique, sociétale, une crise raciale ou ethnique dans beaucoup de pays, une bombe à retardement environnementale, mais aussi des tensions géopolitiques. Bref, ça ne marche pas. Quelle est la définition de la folie selon Einstein ? « Faire la même chose et espérer un résultat différent ». J’ai beaucoup travaillé sur ces sujets de la performance et de la transformation des entreprises et, avec la crédibilité du redressement inouï de Best Buy, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive cet ouvrage. De nombreux entrepreneurs sont convaincus aujourd’hui que les vieux paradigmes sont dépassés.

Qu’est-ce qui vous a motivé dans votre parcours à donner toujours plus de place à l’humain et de sens au travail, notamment chez Best Buy ?

H.J. : Je suis personnellement convaincu qu’on peut voir le travail comme quelque chose d’essentiel à notre humanité et à notre quête de sens, même si 80% des gens voient encore aujourd’hui leur job comme un mal nécessaire. Si on peut faire que notre travail corresponde à ce qui nous mobilise dans notre vie, à notre propre raison d’être individuelle, alors on aura tout gagné. Je prône le leadership de l’intérieur vers l’extérieur en fait. C’est-à-dire, connecter à notre travail ce qui nous motive intimement. Et si, en plus, on peut le faire au service de l’entreprise mais aussi d’une cause sociétale et environnementale plus grande que nous, alors là, cela devient magique !

Effectivement, j’ai vécu cela chez Best Buy lorsqu’on a engagé la 2e phase de redressement. Une magie humaine s’est alors libérée dans l’entreprise, où chacun a senti qu’il pouvait s’éclater dans son boulot, même à 15 dollars de l’heure. J’aime beaucoup cette idée du patron Satya Nadella qui a dit à ses équipes : « Il faut que Microsoft marche et travaille pour vous ».

On voit bien dans votre livre qu’on ne naît pas leader, « on le devient grâce aux autres ». Expliquez-nous.

H.J. : C’est un voyage en fait. L’histoire de nos vies, c’est comment on peut progresser et évoluer. Vous avez raison, tous les leaders sont nés, mais aucun n’est né leader ! On devient leader en écoutant les autres et en apprenant d’eux. Les quatre grandes qualités d’un leader sont l’écoute, l’apprentissage, l’humilité et l’empathie. Moi, ce qui m’a énormément aidé, c’est le. A partir de 2009, j’ai eu la chance d’avoir un coach, Marshall Goldsmith, spécialisé auprès des leaders qui réussissent, pour les aider à devenir encore meilleurs, comme Jim Yong Kim, le patron de la Banque mondiale ou encore Alan Mulally le CEO de Ford.

Sa méthode de coaching est un processus qui implique totalement les collaborateurs et les parties prenantes afin qu’ils interagissent avec le leader, lui permettant ainsi de décider s’il a envie de s’améliorer sur certains points, sur les conseils de ses propres équipes. Et ça change tout ! Car l’état d’esprit, c’est de de devenir meilleur en écoutant les autres et en travaillant sur soi. Pour ma part, j’ai appris non pas à « plus » mais à « mieux » déléguer et à créer un environnement plus propice à la croissance en libérant les énergies. S’il y a 100% des 100 meilleurs joueurs de tennis au monde qui ont un coach, ce n’est pas un coach, ce n’est pas un hasard non ?

Vous invitez les entrepreneurs à « libérer la magie humaine ». C’est-à-dire ?

H.J. : Je vais vous en donner un exemple. Un jour, dans un magasin de Best Buy, un petit garçon est venu avec un jouet dinosaure cassé, dont la tête était déconnectée du corps, expliquant que son dinosaure était « malade » et qu’il fallait le guérir. Ce jour-là, deux vendeurs, au lieu de dire que le jouet était cassé et qu’il fallait le remplacer par un neuf, ont expliqué au petit garçon qu’ils allaient lui faire immédiatement « une opération chirurgicale » avant de lui rendre son dinosaure « entièrement guéri ». Vous imaginez bien qu’il n’y avait pas de mémo interne pour agir et parler ainsi. Ces deux collaborateurs ont trouvé la réponse dans leur cœur pour rendre ce petit garçon heureux. C’est cela, créer et libérer de la magie humaine au service de la performance et des résultats de l’entreprise.

Pour y arriver, il faut que ça parle à chacun, à chaque collaborateur, à chaque client. Pour cela, il faut chercher à se traiter les uns les autres, comme si nous étions des amis inspirants les uns pour les autres. Chaque manager, quel que soit son niveau, devrait poser à chacun de ses collaborateurs deux questions : « Raconte-moi l’histoire de ta vie, y compris les hauts, y compris les bas. » Et deuxièmement, « Quel est ton rêve ? Quel est le sens de ta vie ? Qu’est-ce qui te donne de la joie ? » Et bien entendu, d’écouter avec attention leurs réponses. Car le boulot d’un leader, d’un patron, c’est d’aider chaque collaborateur à accomplir son rêve, d’où l’importance de bien le connaître en lui donnant la possibilité de le formuler.

Quelles sont les qualités essentielles d’un bon leader ?

H.J. : C’est d’abord un leader porteur de sens, qui est clair sur le sens de sa propre vie et qui s’intéresse au sens que les collaborateurs souhaitent donner à leur vie, afin de les connecter ensemble. Deuxièmement, le leader est celui qui crée l’environnement dans lequel peut se libérer cette magie humaine. Troisièmement, il doit être clair aussi sur qui il sert, c’est-à-dire ses collaborateurs et ses clients. Quatrièmement, il doit être imprégné de valeurs. Et cinquièmement, il doit faire preuve d’authenticité et surtout l’empathie qui est devenue certainement la qualité essentielle du leader, car c’est sa capacité à se mettre à la place de l’autre, qu’il soit collaborateur, actionnaire, client ou fournisseur, pour essayer de comprendre ce qui est important pour lui.

Pourquoi la vision unique de la maximisation du profit est-elle devenue non seulement erronée, mais surtout dangereuse et inadaptée ?

H.J. : Se focaliser sur le profit, même s’il est important, c’est comme si un médecin ne se focalisait que sur la température, alors qu’on souhaite qu’il s’intéresse globalement à notre santé. C’est pour cela que c’est dangereux, parce que ça peut conduire à des erreurs. C’est également inadapté, parce qu’aujourd’hui, on l’a bien vu pendant la crise, les entreprises sont interdépendantes et elles ont le besoin de s’intéresser à l’ensemble des parties prenantes, en prenant en compte leur responsabilité sociétale et environnementale dans tout un écosystème.

Vous lancez un appel à l’action qui passe par une implication de tous vers une nécessaire transformation. Quels conseils donner aux entrepreneurs ?

H.J. : Cette transformation, elle passe d’abord par une transformation de soi-même. Tout part de soi. Aller de l’intérieur vers l’extérieur est essentiel. Posez-vous la question : « Quel type de leader je veux être ? Comment je souhaite qu’on se souvienne de moi ? » Ma femme, qui est coach de dirigeants, leur propose l’exercice d’écrire leur oraison funèbre ! On ne peut pas diriger les autres, si on ne sait pas se diriger soi-même.

Que pensez-vous de l’enseignement du management en France ?

H.J. : Les grandes écoles de management sont toujours très bien classées et ce qui est positif, c’est l’évolution qui a été engagée, car ma réponse aurait été différente il y a cinq ans. Auparavant, l’enseignement était trop centré sur la technique. Or, ce que je constate, c’est que ce qui distingue un leader, ce n’est pas sa capacité à avoir le meilleur résultat de calcul de la valeur actuelle nette, mais tout ce dont on vient de parler ensemble. Il y a les savoirs, les savoir-faire, mais aujourd’hui, il faut aussi mettre l’accent sur les savoir-être.

C’est vrai à HEC, à l’Essec, à Sciences-Pô, tout le monde y travaille. Ce qui est passionnant, c’est qu’on a l’occasion d’inventer, au démarrage de cette nouvelle ère, comment concilier à la fois croissance et environnement, mobilisation des collaborateurs et profit, long terme et court terme, sans oublier le rôle des entreprises sur les questions sociétales. Aujourd’hui, la plupart des entrepreneurs consacre plus de 50% de leur temps à des questions dont ils ne s’occupaient pas il y a encore cinq ans.

Quel est votre regard sur la situation économique de la France et que doit-on changer pour l’améliorer et performer ?

H.J. : En France, on est pessimiste depuis Voltaire. La première chose, c’est qu’il ne faut pas perdre de vue toutes les qualités et les atouts de l’économie française. On a de très beaux grands groupes qui réussissent très bien sur le plan international, et depuis quelques années, nous sommes devenus la « Startup Nation ». Dans ma famille, la majorité des enfants travaille dans des startups. C’est inouï. Et là, je dis bravo ! Sans oublier qu’en matière d’intelligence artificielle, Paris Sud est reconnu mondialement. En termes de performance, on a cependant un taux de croissance économique qui depuis quarante ans est un peu en deça des Etats-Unis et de l’Allemagne.

Donc, on perd du terrain. En France, ce qui me désole un peu, même si l’objectif est noble, c’est qu’en voulant protéger les plus faibles, on a créé une rigidité dans l’entreprise, avec une augmentation des emplois en CDD et des stagiaires. En rigidifiant, on crée de la vulnérabilité, au augmente les délais et on s’interdit des opportunités de croissance. Des efforts récents ont été faits. Il faut donc continuer à libérer la facilité de production et l’agilité des entreprises.

Propos recueillis par Valérie Loctin


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